27/09/2019

Les arguments fallacieux des « Gouines contre Nature »

L'« intégrisme LGBT » que j'avais dénoncé dans un précédent article vient enfin de se doter d'une expression politique : les Gouines contre Nature (que nous appellerons ci-après GCN, pour simplifier la lecture).

Quelque part, paradoxalement, je considère que c'est une bonne chose que ce mouvement se dote d'une expression politique et d'une appellation, car jusque là, pour désigner cette idéologie, il fallait recourir à des termes trop ambigus (comme « lesbianisme radical », « intégrisme LGBT »), qui pouvaient laisser croire que nous étions hostiles aux droits LGBT dans leur ensemble, alors que si l'on parle de « GCN », on sait tout de suite à qui on a affaire.

Les GCN ont récemment organisé un événement place Saint-Michel à Paris, le 5 octobre. L'objectif en est de dénoncer les « manquements » du projet de loi actuel, à savoir les insuffisances en matière de parentalité trans mais surtout, aussi, la levée de l'anonymat des donneurs (et ce, bien que l'accès aux origines fasse partie des revendications de l'Inter-LGBT en 2019).

Soyons clairs : ce ne sont absolument pas les questions liées à la parentalité trans (qui me semble être un combat tout à fait légitime) que je conteste (même si les GCN instrumentalisent certainement la question pour gagner des sympathisant-e-s et ne pas parler du reste). Plutôt le fait que dans ce cas, l'anonymat soit toujours défendu avec des arguments qui ne résistent pas à l'analyse critique.

En effet, dès l'introduction, il est écrit : « Nous appelons au rassemblement le 5 octobre 2019 pour les droits reproductifs, pour le droit à disposer de nos corps librement, nos gamettes [sic] comprises. »

J'aimerais revenir sur cette notion de « droit à disposer de son corps librement », qui me semble mobilisée à tort et à travers. Pour moi, cette notion n'est rien d'autre qu'un artifice rhétorique. Rien que sur l'IVG, par exemple, on ne va jamais totalement au bout de ce que cette notion implique. À part quelques illuminé-e-s, personne ne défend le droit d'avorter jusqu'au neuvième mois de grossesse, par exemple. De même (à part les libertariens, probablement les plus cohérents dans cette démarche) personne n'aurait l'idée saugrenue d'utiliser cette notion pour revendiquer le droit de rouler en voiture sans mettre sa ceinture de sécurité, ou même de conduire en état d'ivresse et sans permis.

Ensuite, techniquement, ce n'est même pas du « droit à disposer de [leur] corps librement » que parlent les GCN. Cette loi ne changera rien - ou presque, et dans un sens positif - à l'utilisation de leurs propres gamètes. En réalité, paradoxalement, les GCN militent surtout, à première vue, pour le droit des donneurs (majoritairement masculins) à disposer de leur corps à eux. Je dis à première vue, car sous le régime français d'anonymat pur et simple, ce droit à disposer de son propre corps est en réalité très restreint, ce que beaucoup de donneurs déplorent eux-mêmes.

Bref, on acceptait déjà auparavant que le droit des donneurs à disposer de leur corps connaissait de nombreuses limites, ce principe reste le même, seules les modalités vont changer.

(Addendum du 8 décembre 2021 : l'idée sous-jacente, à savoir défendre sa « liberté de disposer de son corps » juste parce qu'on pense en avoir le droit, a très mal vieilli avec la pandémie de Covid-19 ; il n'y a qu'à voir comment l'extrême-droite a récupéré le slogan « mon corps, mon choix » pour s'opposer à la vaccination et aux mesures sanitaires. 
Paradoxalement, sur la question de l'anonymat des dons de gamètes, la vision qu'ont les sympathisantes GCN de la libre disposition de son corps a davantage à voir avec celle des anti-vax qu'avec celle du militantisme féministe traditionnel. C'est d'autant plus étonnant que, si on peut reprocher des choses aux sympathisantes GCN, il faut leur reconnaître qu'elles se sont le plus souvent montrées très pro-vax et pro-mesures sanitaires, depuis le début la pandémie)



Continuons. Au début de leur tract, il est écrit « La PMA voulue par la majorité et défendue par la ministre de la santé Agnès Buzyn transforme le donneur de gamète en “père biologique”, et le don de spermato en “origines” pour nos enfants. »

À ce sujet, il faut dores et déjà noter que non, ce n'est pas la réforme qui transforme le donneur de gamètes en « père biologique » (l'expression ne figure d'ailleurs même pas dans le projet de loi) et les spermatozoïdes en « origines »[1]. Ce sont des personnes, le plus souvent elles-mêmes concernées, qui utilisent ce langage - parfois, mais pas tout le temps. Pour défendre la première assertion (père biologique), les GCN s'appuient sur une phrase d'Agnès Buzyn qu'elle a prononcée lors d'une interview, pour prétendre que ce serait comme cela que tous les partisans de la réforme verraient les choses. Certes, elles peuvent déplorer qu'Agnès Buzyn parle d'« origines » et de « père biologique » (expressions pourtant techniquement correctes) mais le déploreront-elles lorsque ce seront leurs propres enfants qui le feront ?

Ensuite : « Nous refusons de laisser l’Etat nous imposer des présences masculines dans nos familles, car nous y voyons une manière de nous rappeler que celles-ci n’ont de la valeur seulement quand nous avons un lien avec un homme. Nous voulons vivre nos maternités librement et nous n’admettons pas que l’ordre répressif hétérosexuel nous impose ses termes et sa vision réactionnaire de la famille. »

Ce passage révèle une profonde méconnaissance des revendications des personnes IAD, qui entrevoient toutes l'accès aux origines comme un droit ouvert à l'enfant et non pas comme une obligation imposée aux parents. Je répète encore, en quoi, pour un enfant, le fait de pouvoir avoir accès à l'identité de son géniteur à sa majorité légale constitue-t-il un moyen d'imposer une « présence masculine » à sa famille ? À ce stade-là, je me pose donc la question : ou bien les GCN n'ont pas compris le projet de loi, ou bien elles n'utilisent cet argument que comme façade pour cacher d'autres intentions. Notamment, et je le dis tel quel, la peur de la liberté que pourraient avoir leurs propres enfants dans leur façon d'envisager leur famille[2].

En fait, ce passage relève de la désinformation pure et simple, et c'est à cela qu'il faudra être particulièrement vigilant.

« On nous rejoue la musique de 2013, en opposant le droit des femmes lesbiennes et célibataires à faire famille à la thèse préférée de l’extrême droite : l’intérêt de l’enfant. Nous devrions tout accepter, de la levée de l’anonymat des donneurs au monopole complet des médecins sur le processus de procréation, sous peine d’être pointée du doigt comme des femmes capricieuses, égoïstes et négligentes du bien-être de leurs enfants. Ces arguments, nous les connaissons bien, puisque nous les entendons quand nous avortons, quand nous accouchons sous X, et à chaque fois que nous luttons pour le droit de disposer librement de nos corps. »

Ou quand le simple fait de parler d'intérêt de l'enfant fait de vous une personne d'extrême-droite... Rappelons à ce sujet que la notion d'intérêt supérieur de l'enfant provient de la Convention des droits de l'Enfant de 1989 (en fait, elle est même plus ancienne que cela). D'extrême-droite, l'ONU ?

Par ailleurs, l'extrême-droite, la vraie, a toujours été profondément hostile aux droits de l'enfant, et ne  ne fait en réalité qu'instrumentaliser la question contre les populations LGBT lorsque cela l'arrange, de la même façon qu'elle instrumentalise les droits des femmes et la laïcité contre les populations d'origine étrangère lorsque cela lui convient.

Par opposition, ce serait une idée de gauche que de prétendre que l'enfant n'a pas d'intérêt ? Étrange perspective...

Lorsqu'on lit la suite, on se rend compte qu'elles revendiquent en réalité un droit à ce que leurs décisions personnelles ne puissent être critiquées, même lorsqu'elles ont un impact sur d'autres personnes (ce qui est le cas, dans le cas de l'accouchement sous X). Va-t-on promouvoir le droit à boire de l'alcool et à fumer pendant la grossesse au nom des mêmes arguments ?

Je ne reviendrai pas sur les deux derniers paragraphes, car y répondre serait réitérer mes précédents arguments (juste préciser : personne de sérieux ne nie que leurs familles existent déjà ; mais leurs enfants aussi, pris comme groupe abstrait,  sont déjà en train de retrouver leur géniteur que cela leur plaise ou non. Donc cet argument peut être retourné pour défendre la levée de l'anonymat).

Il y aurait beaucoup à dire sur cette étrange fascination paradoxale, très certainement inconsciente, qu'exercent certaines idées libertariennes et/ou conservatrices, notamment un certain type de modèle familial autoritaire, sur les sympathisantes GCN[3], notamment l'idée que « si les enfants n'appartiennent pas à leurs parents, ils appartiennent à l'Etat » ou « les parents comme premiers éducateurs de leurs enfants », toutes historiquement des idées de droite. C'est là qu'on voit que les extrêmes se rejoignent.

Certaines sympathisantes GCN semblent même envier aux hétérosexuels leur capacité à cacher à leurs enfants le secret de leur conception, alors que les personnes IAD ne le voient justement pas comme une bonne chose. Paradoxalement, certaines associations autrefois opposées à la levée de l'anonymat s'opposent à la RCA, qui garantirait l'accès aux origines pour les enfants de couples hétérosexuels, et les sympathisantes GCN elles-mêmes soutiennent, indirectement, l'idée que les couples hétérosexuels puissent cacher son mode de conception à leur enfant.

Bref, tout cela illustre parfaitement bien l'écueil, voire l'impasse d'un certain militantisme dogmatique enfermé dans un carcan idéologique et peu ouvert à la discussion. Les LGBT valent mieux que ça. S'il est impossible d'avoir un débat rationnel avec les sympathisantes GCN les plus extrémistes, il est en revanche possible de discuter avec des personnes qui seraient tentées par cette idéologie, afin d'en réfuter les arguments les plus répandus. D'où la nécessité de rester le plus inclusif possible envers les populations LGBTI+, afin de leur éviter de tomber dans le piège d'une idéologie sans issue.

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[1]Dans ce contexte, parler d'accès aux origines est certes une simplification, mais aucune personne conçue par don que je connais ne réduirait ses origines personnelles à son propre donneur uniquement.

[2]En réalité, on peut constater que les Gouines Contre ont saisi les enjeux du projet, dès lors qu'on les pousse à s'exprimer davantage dessus. C'est ainsi que j'ai pu écouter une interview d'une de leurs militantes sur le site Gouinement Lundi, qui évoque spontanément son opposition à la levée de l'anonymat : contrairement à d'autres personnes, ses arguments ne reposent pas sur de la désinformation ou des lieux communs (« chute des dons », etc...), mais sur des motivations purement idéologiques, voire sémantiques. Même si elle ne pense probablement pas en ces termes, elle peine d'ailleurs à cacher sa méfiance envers la liberté dont pourraient disposer ses propres enfants.

[3]Ce que trahit un de leurs slogans officiels (« Pas d'État dans nos familles ! »), leur intérêt personnel pour le homeschooling (source), ainsi que la revendication implicite de voir leurs familles « protégées », et non leurs enfants.

19/09/2019

Y aurait-il bel et bien un « intégrisme LGBT » ?

Mise en garde (août 2021) : cet article a initialement été rédigé à une époque où il était de bon ton, y compris chez certains sceptiques et progressistes, de tourner en dérision les « SJW ». Avec le recul, je réalise que si j'avais à le refaire, je ne pourrais certainement pas ré-écrire un tel article aujourd'hui, en tout cas en utilisant certains des termes que j'avais employés alors. Voir aussi ici, pour davantage de détails.

"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde." 
Albert Camus

Il existe des intégristes dans tous les milieux, malheureusement. Chez les catholiques, les protestants, les juifs, les musulmans, les majorités et les minorités. Par delà leur extraordinaire diversité, tous les intégristes ont bien davantage en commun qu'ils ne voudraient l'admettre. Par exemple, tous semblent partager la conviction commune selon laquelle si les enfants n'appartiennent pas à leurs parents, c'est qu'ils appartiennent à l'État. Par ailleurs, tenter de débattre avec un intégriste, quel qu'il soit, c'est un peu comme essayer de jouer aux échecs avec un pigeon : il va renverser les pièces, chier sur le plateau et se pavaner fièrement l'air de rien, comme s'il avait gagné. C'est simple, les intégristes de tout genre ne font aucun effort pour comprendre la perspective de l'autre, puisqu'ils ont déjà toutes les réponses.

Malheureusement, il existe aussi, en un sens, des personnes qui partagent ce genre de mentalité chez les LGBT, pourtant historiquement victimes de ces mêmes intégristes. Ce sera donc le sujet de cet article.

Tout d'abord, je dois apporter quelques précisions. Pour qui en douterait, tou-te-s celleux qui me connaissent savent que je n'ai absolument rien contre l'idée que les homosexuels puissent élever des enfants, y compris en ayant recours à la PMA. Un homosexuel n'est donc pas un « intégriste » pour la seule et unique raison de vouloir élever des enfants, que ce soit seul ou en couple. Par ailleurs, les quelques familles homoparentales que je connais sont parmi les familles les plus ouvertes d'esprit qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer.

Avant d'aller plus loin, sans même parler d'« intégrisme », les idées de complot, de propagande ou même tout simplement de lobby LGBT, sont des clichés réactionnaires et, partout dans le monde, ces notions sont souvent brandies contre des revendications tout à fait raisonnables, voire en opposition au simple respect élémentaire des droits humains.

Une fois ces précisions posées, avançons.

Pour commencer, ce que je vais dorénavant appeler l'« intégriste LGBT » (n'ayons pas peur des mots) est avant tout une espèce de SJW(TM) dont l'activisme concerne principalement les questions LGBT[1]. Iel est particulièrement extrémiste et virulent en la matière. En fait, pour résumer, on pourrait dire que cet « intégriste » est un peu au combat LGBT ce que les Indigènes de la République sont à la lutte antiraciste.

Ce qui préoccupe le plus l'« intégriste LGBT » en ces temps de débats bioéthiques, c'est la volonté de rendre les dons de gamètes non-anonymes (les enfants du dons pourra accéder à l'identité de leur donneur à leurs 18 ans). Pour diverses raisons, l'« intégriste LGBT » y voit une forme de lesbophobie honteuse, à peine dissimulée.

Certes, certains arguments avancés peuvent sembler légitimes. Il est vrai qu'on peut critiquer le timing de cette proposition (l'ouverture de la PMA à toutes les femmes et la levée de l'anonymat sont discutés au même moment) ainsi que le langage employé par la ministre Agnès Buzyn, qui ne témoigne pas toujours d'une véritable maîtrise du sujet.

Mais s'appuyer uniquement sur ces deux arguments n'est pas très honnête, intellectuellement.
Il y a d'autres arguments. Examinons-les de plus près.

L'« intégriste LGBT » avance que la fin de l'anonymat entraînerait mécaniquement une chute, voire une disparition des dons de sperme. Cela a beau être démenti par l'expérience des pays voisins qui nous ont devancés en la matière, l'intégriste LGBT n'a que faire des études, de l'empirisme et de ce qui se passe à l'étranger.

L'« intégriste LGBT » avance aussi que la fin de l'anonymat précariserait sa famille et la menacerait d'être exposée à l'existence d'une figure masculine. Historiquement, il s'agissait effectivement d'une préoccupation légitime, mais on se demande bien en quoi le fait de pouvoir découvrir l'identité de son géniteur à 18 ans seulement, à sa majorité légale, à un âge où l'on censé être suffisamment mature pour bien faire la distinction entre géniteur et père, contribuerait à précariser des familles.

Ce qui m'emmène à ce qui est peut-être la véritable raison, non-avouée, de cette opposition à la levée de l'anonymat : à savoir, la volonté de pouvoir exercer une forme de contrôle idéologique sur ses propres enfants, voire leur nier le droit à exprimer leurs propres opinions sur le sujet, afin de ne pas être ébranlé-e dans le confort de ses propres certitudes dogmatiques.

Attention, si on ose plaisanter sur le fait que les « intégristes LGBT » traiteraient leurs propres enfants de lesbophobes parce que celleux-ci se demandent où est leur « papa », on se voit tout de suite taxé de lesbophobie puante par mépris pour leur capacité pédagogique. À vrai dire, je ne pense pas littéralement que ces personnes accuseraient leurs enfants d'être lesbophobes si iels posaient des questions sur leur « père ». Mais l'on est en droit de douter, néanmoins, que l'adhésion à une idéologie aussi extrême facilite véritablement le dialogue vis-à-vis de ses propres enfants[2], à moins de chercher à tout prix de se séparer du reste de la société dans une véritable démarche intégriste.

Il s'agit en effet d'une idéologie qui, en termes aristotéliciens, entend réduire l'origine d'un individu à sa pure cause finale, alors que les autres causes sont peut-être tout aussi importantes pour lui.

Ainsi, il ne faut pas parler d'« origines », même biologiques, mais uniquement de « sperme » ou de « matériel génétique ». Il s'agit pourtant là d'une des causes matérielles et formelles de la formation d'un individu, et en un sens, il s'agit donc bien d'origines, au moins au sens biologique du terme.

De même, il ne faut pas parler de « don » mais d'« assistance médicale ». Il ne faut pas parler de « père biologique », ni même de « géniteur » ou de « donneur » ; en fait, il faut aller jusqu'à nier l'existence d'un homme, ou même d'une personne, derrière le don de gamètes[3].

Enfin, il ne faut pas parler de « PMA » mais de « faire un enfant ».

On comprend qu'avec ce genre d'argumentaire, les partisans modérés de la PMA n'ont pas besoin d'ennemis.

Cela montre que cette opposition à la levée de l'anonymat ne s'appuie pas que sur des arguments juridiques, elle est aussi « morale ». Par exemple, on peut être favorable au double guichet mais reconnaître qu'idéalement, il est préférable d'avoir recours à un donneur connu (par exemple chez certain-e-s libertarien-ne-s, par pure application de principes idéologiques). Ce n'est pas leur cas. Pour elleux, la morale est un truc de bourgeois, si bien qu'il est immoral de critiquer une femme qui aurait recours à un don anonyme, au nom de la formule « son corps, son choix » quand bien même la libre disposition de son corps connaîtrait de nombreuses limites, notamment celle de ne pas utiliser son propre corps de façon qui puisse porter préjudice à d'autres personnes.

Cela suggère aussi que, contrairement à ce que prétendent les réactionnaires - et contrairement à ce qu'iel prétend iel-même parfois - l'« intégriste LGBT » ne veut aucunement abolir la famille. En réalité, iel veut la recréer de façon tout aussi autoritaire, voire davantage, qu'auparavant. Un peu à la manière des bolchéviks de 1917, qui pensaient que l'on pouvait détruire l'État en renforçant considérablement son pouvoir.

L'« intégriste LGBT » a toujours raison. Iel prétend que la levée de l'anonymat est lesbophobe parce que la PMA concerne les lesbiennes, mais si on lui dit qu'elle concerne aussi les hétéros, iel y voit la preuve que la levée de l'anonymat est une revendication d'hétéro. Les biais liés au système actuel (en France, PMA réservée aux couples hétéros, avec très peu de donneurs non-blancs) sont complètement ignorés et mis de côté.

L'« intégriste LGBT » connaît le sens de l'Histoire mieux que quiconque (et surtout vous) et sait que vous êtes réactionnaire et iel progressiste. 

L'« intégriste LGBT » veut absolument des enfants, mais ne se renseigne pas d'abord sur ce que vivent ces enfants (ou retient uniquement ce qui l'arrange). Iel n'écoute pas les concerné-e-s quand leur discours la dérange, et pratique le « saucissonnage du concernement », en rejetant les témoignages des personnes qui ne sont pas suffisamment concerné-e-s selon iel. Iel serait même presque prêt-e à les envoyer en camp de rééducation pour tenter les débarrasser de leurs pensées négatives, si iel le pouvait.
De toute façon (et c'est une caractéristique qu'iel partage avec le réactionnaire), l'« intégriste LGBT » n'a que faire des études et des témoignages (sauf ceux qui vont dans son sens). Seule lui importe son idéologie[4].

L'« intégriste LGBT » est un-e habitué-e des faux dilemmes. Si on lui dit que les enfants sont concerné-e-s aussi par la PMA, tout d'un coup les LGBT cessent de l'être.

L'« intégriste LGBT » accuse celleux dont les ressentis ne lui plaisent pas de verser dans le « pathos » mais son indignation à iel doit toujours être considérée comme parfaitement légitime, sans jamais verser dans le pathos.

L'« intégriste LGBT » pratique le purisme idéologique, et sur les réseaux sociaux, bloque souvent - et parfois même si iel n'a jamais interagi avec elleux - les personnes qui émettent des opinions qui lui déplaisent, même lorsqu'elles sont raisonnables et argumentées.

L'« intégriste LGBT » aime les procès d'intention. Pour iel, si on demande l'accès aux origines c'est que l'on prétend que les enfants iraient forcément mal si iels ne les connaissaient pas. Il ne lui vient pas à l'esprit que ce n'est que parce qu'il est possible qu'iels aillent mal que nous le demandons.

L'« intégriste LGBT » adore les amalgames et les raccourcis foireux[5]. Par exemple, pour iel, le simple fait de parler d'intérêt de l'enfant est « fasciste ». Lorsqu'on lui fait remarquer que ne pas avoir la possibilité de connaître ses origines biologiques n'est peut-être pas dans le meilleur intérêt de l'enfant, iel fait dévier la conversation en parlant de choses certes tout aussi importantes,  mais sans rapport direct.

L'« intégriste LGBT » est généralement misandre et hétérophobe (et le revendique ouvertement), tout en considérant que la misandrie et l'hétérophobie n'existent pas, parce que ces oppressions ne font pas système. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'intégriste LGBT ne propose rien pour les enfants nés dans des couples hétérosexuels, et se moque de leur ressenti.

L'« intégriste LGBT » s'identifie à la communauté LGBT toute entière (alors qu'il n'en constitue iel-même qu'une infime minorité) parce qu'iel s'en croit à l'avant-garde, et pour rendre impossible la critique rationnelle de ses arguments[6].

L'« intégriste LGBT » est pétri-e de contradictions. Iel peut simultanément prétendre que la levée de l'anonymat ferait chuter les dons et qu'il n'y a personne derrière les gamètes fournis, ou que la biologie n'a aucune importance et vouloir un donneur de la même ethnicité qu'iel pour son enfant.

L'« intégriste LGBT » est toujours en colère contre la « méchante société » et lui attribue tous les problèmes que pourraient éventuellement connaître ses enfants. Si on lui dit que certain-e-s enfants de familles homoparentales sont carrément devenus homophobes en partie à cause d'un problème de communication avec les parents, ils en déduisent que si les enfants de familles homoparentales deviennent homophobes ce serait à cause de l'orientation sexuelle de leurs parents (et uniquement à cause de cela). Cela devient vite pratique comme excuse pour lui éviter de se remettre en question.

Un résumé des arguments.

Pour résumer, l'« intégriste LGBT » cause énormément de tort à la communauté LGBT, d'autant plus que les homophobes s'imaginent volontiers que tous les LGBT ressemblent à cela, à cause d'une minorité de personnes qui braillent plus fort que les autres sur Twitter.

Maintenant, se pose la question de savoir comment réagir face à cela. Des personnes que je croyais de bonne volonté se sont récemment fait-e-s l'écho de leurs désinformations sur Twitter, parce qu'iels gravitaient autour de cette sphère. Pour contrer ce genre de rhétorique, je pense qu'il est essentiel de :

- montrer que nous ne sommes pas « de droite » (certains peuvent l'être à titre personnel, mais certainement pas tous) ;
- rester le plus inclusif possible envers les populations LGBT+ et mettre en avant leurs expériences, pour contrer celles des « intégristes » ;
- et surtout, le plus important, refuser le jeu de la concurrence victimaire.

Si cela ne convaincra évidemment pas les « intégristes LGBT » elleux-mêmes, cela semble dores et déjà fonctionner sur certaines personnes sensibles à leur désinformation.

De toute façon, à force de rester les un-e-s sur les autres et de se fâcher avec tout le monde, les « intégristes LGBT » sont de plus en plus minoritaires, même au sein de la communauté LGBT. Leur sympathie potentielle dans l'opinion publique est proche du zéro absolu et leur poids politique inexistant.

Iels ne sont qu'une nuisance temporaire. Nos véritables adversaires sont, et restent, La Manif Pour Tous.

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[1]En réalité, surtout L, parfois G et T, plus rarement B. Mais dans tous les cas, une minorité de minorité. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les personnes qui partagent cette idéologie ne sont pas nécessairement elles-mêmes LGBT.

[2]En ce sens, toutes proportions gardées, les « intégristes LGBT » ressemblent un peu aux terroristes qui dénoncent les caricatures qu'on en fait, tout en ressemblant un peu eux-mêmes à ces mêmes caricatures.

[3]À l'inverse, on ne verra jamais un homme gay ou bi, même « extrémiste », nier qu'une femme a joué un rôle dans la conception de son enfant. Vu les préjugés actuels autour de la GPA, ce serait vu comme extrêmement misogyne de sa part.

[4]Il se peut qu'il y ait des enfants d'« intégristes LGBT » qui ne questionneront jamais leurs origines et adhéreront entièrement à leur idéologie, néanmoins on peut se poser les raisons de la construction d'un tel attachement.

[5]Dans ce milieu, les militants pour l'accès aux origines sont parfois comparés aux militants anti-avortement, comme ceux des Survivants. En réalité, il y a beaucoup trop de différences entre les deux questions pour qu'on puisse réellement les comparer.

D'une part,  l'opposition à l'avortement est profondément enracinée dans des conceptions religieuses relatives à l'« âme du fœtus » ou au contraire à une vision purement matérielle de la vie (le fœtus a des bras, des jambes, etc, donc c'est un humain). Elle ne s'appuie pas sur des preuves empiriques.

Ensuite, l'IVG est un moyen d'éviter les grossesses non-désirées, tandis qu'au contraire la PMA est un moyen de tomber enceinte. Cette simple différence fait que, si l'on compare certains arguments relatifs à une naissance par empêchement d'IVG et à une naissance par PMA, ils pourront sembler étrangement similaires, bien qu'utilisés par des bords opposés sur la « libre disposition de son corps » (on peut par exemple citer l'accusation d'eugénisme, pouvant être brandie aussi bien par les anti-IVG que par les lesbianistes radicales, contre leurs adversaires respectifs, mais pour des raisons en apparence très différentes).

Enfin, les Survivants ne sont pas des fœtus, et encore moins des fœtus avortés, alors que les membres de PMAnonyme sont au contraire des personnes directement concerné-e-s.

Pour invalider davantage la comparaison, on peut noter d'une part que ce n'est pas parce que l'IVG est autorisée que celle-ci l'est jusqu'au neuvième mois de grossesse, et que la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède, pays où l'anonymat des donneurs n'existe pas, ont des lois plus libérales que les nôtres en la matière (de 18 à 24 semaines de grossesse contre 12 chez nous).

Enfin, dernier point, les mouvements de personnes conçues par don sont souvent très proches des mouvements de personnes adoptées et nées sous X. Ces derniers mouvements, en général, n'apprécient pas de voir les anti-IVG considérer l'adoption comme une alternative à l'avortement (et l'accouchement sous X fut souvent vu de cette façon-là).

[6]On voit d'ailleurs le même genre de manipulation chez les intégristes des autres communautés, généralement.

16/09/2019

S'opposer à l'anonymat des donneurs de gamètes est-il lesbophobe ?

Sur Twitter, il peut parfois être dangereux de défendre la levée de l'anonymat des dons de gamètes (que ce soit sur le plan légal ou même simplement moral). En effet, quels que soient notre niveau de « wokerie » personnelle, de prudence dans l'expression de nos propos ou de qualité de notre argumentation, une accusation infamante et tristement commune dans certains milieux vise à couper court à toute espèce de débat rationnel : celle de lesbophobie[1].

Les arguments avancés pour étayer cette accusations sont principalement les suivants :

D'une part, on ne parlerait d' « accès aux origines » que depuis la proposition d'extension de la PMA à toutes les femmes. C'est bien sûr faux, puisque cette revendication existe depuis bien plus longtemps que cela, et qu'on attendait une nouvelle révision des lois bioéthiques pour faire d'une pierre deux coups[2].

Ensuite, s'opposer à l'anonymat des donneurs reviendrait à vouloir restreindre le recours à la PMA pour les lesbiennes (voire à s'opposer à la PMA tout court, pour certaines d'entre elles). A long terme, ce n'est pas nécessairement vrai, et plusieurs études suggèrent même le contraire.

De plus, renoncer au don anonyme reviendrait à imposer une figure masculine aux couples de femmes et contribuerait à précariser ces familles. À vrai dire, on est quasiment dans la désinformation, à ce niveau-là. En effet, découvrir l'identité de son géniteur est un droit qui ne reviendrait qu'à l'enfant et que celui-ci ne pourrait exercer qu'à partir de ses 18 ans (c-à-d à sa majorité légale). On voit mal comment un exercice aussi tardif de ce droit pourrait précariser des familles, d'autant plus qu'à cet âge les enfants sont légalement majeurs, et que ce droit n'ouvre de toute façon aucune possibilité de filiation (on trouve parfois quelques anecdotes qui suggéreraient le contraire, mais elles sont, justement, relatives à un cadre juridique peu sécurisé).
À moins que, tout simplement, cette inquiétude n'ait comme unique source la peur de la liberté que pourraient avoir nos propres enfants dans la façon de concevoir leur famille.

Le prochain argument relève du plus pur déshonneur par association : en effet, le simple fait de parler de « levée de l'anonymat » constituerait une forme de concession honteuse à la rhétorique de La Manif Pour Tous. Comme suggéré dans un précédent article, certaines militantes radicales semblent être devenues allergiques à toute forme de rhétorique tournant autour de l'intérêt supérieur de l'enfant, et n'abordent la question des droits de l'enfant que sous l'angle de la whataboutery. Que LMPT instrumentalise les concepts de droits de l'enfant et de vérité biologique est une chose, mais depuis quand défendre les droits de l'enfant est-il devenu une idée de droite ?

Enfin, on peut noter un recours constant au faux dilemme : si on leur dit que les enfants conçus par don sont concernés par l'ouverture de la PMA et la fin de l'anonymat, cela signifie-t-il tout de suite que les lesbiennes cessent de l'être ? Et comment prétendre sérieusement que les enfants ne seront pas concernés par cette avancée (ce qui est clairement sous-entendu, parfois) ?

Un dernier point concerne le vocabulaire utilisé, mais j'y reviendrais.

Les questions qu'il faut se poser, face à ces accusations, sont les suivantes :

- Est-ce que le recours à un don anonyme concerne exclusivement les lesbiennes (ou, de façon équivalente, les bisexuelles, les non-binaires ou les hommes trans...) ?

- Est-ce que le recours à un don anonyme est universel chez les lesbiennes ?

- Est-ce que les partisans du droit d'accès aux origines ne s'opposent au don anonyme que pour les lesbiennes ?

Les réponses à ces questions sont, respectivement, non (trivialement), carrément non (par expérience : toutes les lesbiennes n'ont pas nécessairement recours à un donneur anonyme pour devenir mères, et beaucoup d'alternatives existent - donneur avec possibilité d'être connu à la majorité de l'enfant, donneur connu, co-parentalité, adoption, etc...) et non (par défaut, puisqu'à ma connaissance, il n'existe pas d'association de personnes conçues par don, même franchement réactionnaire, qui ne s'opposerait aux dons anonymes que pour les lesbiennes).

De fait, et contrairement à certaines désinformations répandues dans ces milieux, le projet de loi actuel prévoit la levée de l'anonymat pour tous les couples, y compris hétérosexuels. Certes, ceux-ci pourront toujours, naturellement et légalement, garder le secret sur la conception de leur enfant, mais bizarrement, les militantes radicales s'opposent aussi aux arrangements légaux qui pourraient permettre de rompre le secret chez les couples hétéros.

Autrement, il est dangereux de catégoriser tout un mouvement comme lesbophobe, à moins de bien savoir de quoi on parle ; de même qu'il est dangereux, pour les personnes en colère vis-à-vis de leur propre mode de conception, de penser (à tort) que toutes les lesbiennes soutiennent l'anonymat des donneurs, ou de croire que la lesbophobie (c'est-à-dire la haine) est une réponse appropriée face à l'anonymat des donneurs de gamètes. Le mouvement pour l'accès aux origines se doit de combattre et de détruire ce sentiment, dans les quelques rares recoins où celui-ci existe encore.

De plus, ce serait oublier que l'anonymat des dons de gamètes est depuis longtemps un sujet de débat actif au sein de la communauté LGBT elle-même, et qu'il y a été remis en question dans de nombreuses publications ces dernières années (que ce soit en France ou ailleurs), avec des articles faisant notamment la promotion de la recherche des relations génétiques (donneurs, demi-frères et sœurs biologiques, etc...) et/ou de la réglementation de l'industrie afin d'abolir l'anonymat des dons, y compris dans les pays qui y sont les plus attachés. En particulier, l'anonymat du don a été remis en question dès les origines de la conception avec tiers donneur et, notamment, dès que les LGBT ont eu accès aux techniques de procréation médicalement assistée. Ceux-ci ont d'ailleurs été des pionniers pour réclamer des dons de gamètes non-anonymes de la part de l'industrie de la fertilité. Par la suite, l'anonymat a été contesté par des personnes conçues par don, y compris LGBT elles-mêmes, y compris issues elles-mêmes de parents LGBT, y compris LGBT et issues de parents LGBT. 

De fait, n'importe quel enfant élevé par des parents LGBT peut se revendiquer comme queerspawn (néologisme anglo-saxon désignant les enfants élevés par des parents LGBT), qu'il y ait eu recours ou non à des donneurs anonymes. Dans ce contexte, promouvoir l'anonymat des donneurs alimenterait l'idée que seuls les enfants nés de dons anonymes seraient de vrais queerspawns, voire pire, qu'ils ne le resteraient qu'à la condition qu'ils ne retrouvent pas leur donneur, et donc qu'en quelque sorte les donneurs seraient, en réalité, les vrais parents de l'enfant.

De même, il n'existe aucune preuve (sauf rumination complotiste) que la levée de l'anonymat constituerait une quelconque menace pour l'existence de la communauté LGBT. En fait, prendre cet argument au sérieux reviendrait peu ou prou à affirmer que la communauté LGBT, en France, n'existerait même pas encore à l'heure actuelle, puisqu'elle n'a toujours pas accès à la PMA de façon légale. De plus, malgré l'anonymat, beaucoup de personnes (y compris des queerspawn) ont déjà découvert leurs donneurs grâce à des tests ADN. 

En réalité, l'anonymat des dons est une institution aux motivations principalement natalistes, qui a été initialement conçue par des hétérosexuels et pour des hétérosexuels. Certain-e-s LGBT se le sont par la suite approprié parce que c'était l'option la plus protectrice qui existait à l'époque d'un point de vue légal, mais elle a tout de suite été critiquée. Encore aujourd'hui, la plupart des lesbiennes qui ont recours à des dons anonymes le font soit par nécessité (l'anonymat étant imposé localement sur le plan légal), par recherche d'un certain profil de donneur (qui ne serait disponible que si le don est anonyme), par idée préconçue (notamment celle qu'elles seraient toujours mieux protégées, d'un point de vue légal), ou encore parce qu'elles craignent que l'accès aux origines ne soit pas garanti, beaucoup moins souvent par conviction idéologique profonde.

Dernier argument frappant, l'anonymat des donneurs va à l'encontre des valeurs que le mouvement LGBT a historiquement toujours défendues au cours de son existence : le droit des enfants à se forger leurs propres opinions, à exprimer leur personnalité, à vivre leur vie et à concevoir leur existence comme ils l'entendent, à disposer de leur corps (y compris, par exemple, en faisant des tests ADN), à ne pas craindre de se sentir rejetés ni jugés par leurs parents. L'anonymat ne libère pas les lesbiennes ; au contraire, il leur inflige une pression supplémentaire dans l'éducation de leurs enfants, en les forçant à se conformer à un modèle idéologique intenable.

Pour finir, j'aimerais terminer sur le mode de pensée à l'origine de cette accusation.


Comme déjà évoqué, celles qui en sont à l'origine ne conçoivent pas l'homosexualité comme une simple histoire d'attirances mais comme une idéologie (ce qui constitue déjà en soi un gros fantasme de LMPT, mais passons) et on pourrait même dire que certaines aspirent à en faire une religion, avec ses commandements (l'anonymat des donneurs) et ses blasphèmes (parler de « père biologique », par exemple).

Cette idéologie repose notamment sur l'idée que les lesbiennes (ou plutôt une vision fantasmée de ce que devraient être les lesbiennes, selon les adhérentes de cette idéologie) constitueraient le groupe ultime d'opprimées et se trouveraient donc, par là-même, au-dessus de toute critique éventuelle. Ainsi est rejetée l'idée que les lesbiennes puissent éventuellement être dominantes par rapport à d'autres groupes (suivant les courants et les circonstances, cela peut être les bisexuels, les pansexuels, les trans, les asexuels, les adeptes du BDSM, les personnes conçues par don...)

On a déjà trouvé ce syndrome ailleurs dans l'histoire, que ce soit en Union Soviétique ou en Israël, par exemple.

La diffusion de cette idéologie est favorisée par un certain entre-soi militant, caractérisé par un important sectarisme, et par une fermeture délibérée à la discussion rationnelle.

Néanmoins, faut-il encore le rappeler, cette idéologie reste très minoritaire, même parmi les mouvements LGBT, et découle d'une mauvaise interprétation de ce que constitue le fait d'être de telle ou telle orientation sexuelle. En fait, plus que de nous amener à infléchir nos positions, j'ai surtout l'impression que cette situation risque de favoriser la lesbophobie (la vraie) dans nos rangs, chez des personnes peu informées, si l'on n'y prend pas garde et si elles se laissent instrumentaliser par La Manif Pour Tous. C'est pourquoi, à cet égard, les conseils que j'ai donnés précédemment sont d'une importance fondamentale.

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[1]Pour une définition de la lesbophobie de la part d'une grande organisation engagée sur le sujet, voir par exemple ici.

[2]De fait, malgré certaines imperfections et notamment les tendances personnelles homophobes de certains parlementaires de centre-droit (qui ont d'ailleurs fini par voter contre le texte dans son ensemble, pour la plupart d'entre eux), il n'y a rien dans le texte de loi qui permette d'affirmer que la levée de l'anonymat aurait été motivée par des considérations lesbophobes (et si tel avait été le cas, l'extension de la PMA n'aurait probablement même pas été à l'ordre du jour).

La levée de l'anonymat est d'ailleurs une mesure qui a été ouvertement soutenue par de nombreux partis progressistes et même certaines associations LGBT, et initialement, c'est surtout la droite qui s'y est opposée, dans un premier temps.

Se demander si, malgré tout, cette coïncidence des deux mesures n'aurait pas été causée en partie (et inconsciemment) par des motivations lesbophobes sous-jacentes, c'est une interrogation légitime, mais cela mériterait probablement d'être le sujet d'un autre article.

(Quoiqu'il en soit, dans les pays où existe une homophobie d'Etat avérée (Russie, Pologne, Hongrie...), celle-ci se drape le plus souvent dans la protection des personnes de moins de 18 ans. Or, avec le projet de loi actuel, c'est précisément cette catégorie de personnes qui n'aura pas le droit de découvrir l'identité de son géniteur.)

08/09/2019

Contre l'instrumentalisation des témoignages (positifs ou négatifs) autour de l'homoparentalité

Chez les gens de gauche (et les activistes LGBT, bien entendu), il est courant de partager des témoignages positifs autour de l'homoparentalité, pour montrer que « les enfants vont bien » et en espérant ainsi convaincre des personnes réticentes et/ou réactionnaires.

Mais généralement, ils ne comprennent pas pourquoi les gens de droite ne sont pas convaincus par ces témoignages. C'est parce que ceux-ci ne les intéressent pas. Pour certains d'entre eux, un seul témoignage négatif suffit à discréditer l'homoparentalité.

Et si on cherche des témoignages plus ou moins négatifs sur l'homoparentalité, on en trouve.

Certains sites se sont faits une spécialité de recueillir ce genre de témoignages.

Maintenant, penchons-nous sur la possibilité de décortiquer ceux-ci.
Tout d'abord, gardons-nous bien d'invalider tout ressenti, aussi négatif soit-il. Là-dessus, souvenons-nous de ce que disait Acermendax sur les SJW (paradoxalement) :

Laisser la parole en priorité à ceux qui sont frappés par les discriminations est évidemment une bonne chose, cette prise de parole fait partie de la solution : elle rappelle aux dominants que d’autres types d’individus existent, qu’ils ont un point de vue et que le résultat de la violence sociale, ce sont eux qui le vivent. L’expression de ce ressenti est importante ; le privilégié serait donc bien inspiré de prendre conscience de ses privilèges et de la mettre en veilleuse quand il a la possibilité d’entendre un moins privilégié que lui s’attaquer au problème. Ce principe rejoint une éthique personnelle dont il est utile de faire la promotion de manière pédagogique. Toutefois, si cette parole à l’opprimé fait sens dans le cadre du ressenti, elle devient absurde lorsqu’elle est étendue au cadre de la réflexion sur les dynamiques sociétales de préservation de stéréotype, ou sur les moyens de lutte contre les discriminations (extension que pratique volontiers le SJW).

Ce ne sont donc pas les ressentis qu'il faut critiquer, mais les implications qu'il y a derrière telle ou telle instrumentalisation. Nous supposerons également que les témoignages sont de bonne foi (il est trop facile de suggérer que tel ou tel témoignage relèverait d'une fabrication). Cependant, je suis aussi obligé de préciser que certains de ses témoignages sont tronqués. Souvent, le contexte d'origine peut permettre de relativiser l'interprétation homophobe qui peut en être tirée.

En l'occurrence, le premier témoin a deux mamans et se demande ce que cela ferait d'avoir un père, et se demande l'identité de son père biologique. Cela ne me paraît pas anormal. Il se trouve que l'un de mes grands-pères est mort bien avant ma naissance et que l'autre est décédé peu après. En conséquence, je me suis parfois demandé ce que cela faisait d'avoir un grand-père encore en vie. Le témoin indique même explicitement qu'il ne souhaite pas que celui-ci devienne un papa actif, qu'il veut juste connaître son identité. A aucun moment n'est sous-entendue l'idée selon laquelle l'homoparentalité serait quelque chose d'intrinsèquement mauvais et qu'il faudrait interdire le mariage pour tous.

La deuxième témoin est apparemment la fille d'une mère célibataire (bien que lesbienne), donc le rapport à l'homoparentalité est déjà assez ténu en soi. Elle considère le donneur de sperme comme son père (ce qui arrive plus facilement lorsqu'on est l'enfant d'une mère célibataire) et désirerait le connaître et entretenir une relation père-fille avec lui. C'est son droit le plus strict, bien entendu, mais au-delà de ça il n'y a pas de réel sous-entendu politique, à part qu'il s'agit d'un sujet dont il n'est pas facile de parler avec sa mère.

La troisième témoin considère ses deux mamans comme les meilleurs parents qu'elle et sa sœur ont pu avoir (en quoi est-ce un argument contre l'homoparentalité ?). Certes, elle veut un papa, mais cela ne me semble pas anormal (cf. précédemment) et elle indique qu'elle n'est ni contre le mariage pour tous, ni contre l'homoparentalité.

Le quatrième témoin est l'enfant d'une mère célibataire, peut-être décédée (vu le temps utilisé). Il exprime des sentiments mitigés : d'un côté il évoque la « kick-ass mom » qui l'a mis au monde, de l'autre il souligne qu'elle ne saura jamais les dégâts qu'elle a causé en le privant de père, mais n'explicite pas davantage à ce sujet.

La cinquième témoin a aussi une mère célibataire lesbienne. Elle a apparemment souffert de ne pas avoir de père, mais les arguments qu'elle donne n'ont que peu avoir avec le genre de son parent et visiblement davantage à voir avec la façon dont sa mère l'a élevée, et les difficultés qu'elle a eu à communiquer avec sa mère (dont elle n'est pas la seule responsable).

La sixième témoin veut elle aussi un papa et semble être aussi dans un rapport d'opposition vis-à-vis de ses parents.

La septième témoin aime ses deux mamans et veut un papa. Là encore, sa colère se situe contre la PMA et l'anonymat des donneurs en particulier, mais elle soutient l'adoption pour les couples homosexuels.

Le huitième a été élevé par deux mamans et ne veut pas connaître son « vrai » papa. Il considère comme probable le fait que son père biologique soit un médecin peu scrupuleux. Cela l'a évidemment paniqué, mais cette histoire n'a que peu à voir avec le bienfondé ou non de l'homoparentalité.

La neuvième voulait un papa parce que le papa de son meilleur ami était quelqu'un de génial qu'elle admirait. Elle a pleuré lorsqu'on l'a qualifiée de « fille à papa », sachant qu'elle ne saura jamais ce que c'est.

Le dixième avait une mère biologique bisexuelle, en couple avec une femme à la naissance, dont le père biologique est le neveu de sa mère sociale. Elle n'a pas cherché à le contacter, par respect pour cet arrangement, mais reste en contact avec la sœur et le cousin de ce monsieur. Mis à part que la situation n'est pas toujours facile à vivre pour elle à cause de tous ces arrangements et de ces séparations, il n'y a pas de réel sentiment négatif exprimé.

La onzième veut un papa (encore), considère une famille normale comme ayant un papa et une maman et ne connaîtra jamais son père biologique.

Le douzième est un athée élevé par des pères gays. Il met sa maladie mentale à l'adolescence sur le compte de leur homosexualité et considère même l'homosexualité comme une maladie mentale. A ma connaissance, il s'agit du seul de ces témoignages qui évoque explicitement l'idée selon laquelle les personnes LGBT feraient intrinsèquement de moins bons parents que les autres (mais d'autres témoins l'ont aussi indiqué ailleurs).

La treizième a deux mamans. Elle n'a appris que tardivement que son donneur de sperme était en fait son « oncle ». Là encore, on trouve la critique d'un certain type d'arrangement, mais pas de l'homoparentalité en général.

La quatorzième est la fille de deux mères lesbiennes séparées. Elle a souffert d'habiter dans un quartier conservateur à partir de l'âge de six ans, où elle a dû inventer des histoires pour cacher l'absence de père. Ce n'est que tardivement qu'elle s'est mise à rechercher son père biologique.

Le quinzième a lui aussi deux mamans divorcées. Il souffre de ne pas avoir de papa (ou au moins un frère) dans sa famille. Il s'entend mal avec sa mère sociale et la famille de celle-ci.

La seizième ne sait rien de son père/donneur et ne s'entend pas très bien avec sa mère biologique.

Le dix-septième a deux mamans et ne connait pas sa famille biologique. Autrement, son témoignage est quelque peu confus.

Le dix-huitième a deux papas et appelle sa mère biologique « maman » lorsque ses papas ont le dos tourné.

Enfin, la dernière témoin a deux mamans, voulait un père bien qu'elle aime ses deux parents, et considère qu'on lui a menti lorsqu'on lui a dit qu'elle n'avait pas de père. Elle a connu plusieurs problèmes de stabilité émotionnelle et mentale à cause de cela.

Que penser de tous ces témoignages ?

D'abord, les thèmes récurrents :

- séparation précoce des deux parents,

- blocage de la communication vis-à-vis d'un des parents ou des deux (surtout si cela est accompagné d'un « trip » idéologique de leur côté),

- décalage vis-à-vis d'un environnement conservateur, qui a contribué à ce que certains de ces témoins intériorisent leur homophobie, parfois jusqu'à l'extrême,

- critique de certains arrangements (dont l'anonymat des donneurs), plus que de l'homoparentalité en général.

Dans de nombreux témoignages, on ressent aussi un certain manque de préparation du côté des parents (ce qui est normal car personne ne peut tout anticiper dans la vie d'un enfant), mais qui devrait s'estomper dans d'autres familles avec le temps, notamment avec l'acceptation grandissante de l'homoparentalité et les revendications croissantes des personnes nées d'un don.

A la lecture de ces témoignages, faut-il donc s'opposer à l'homoparentalité ?

Je pense que non, et je vais vous expliquer pourquoi.

Tout d'abord, je pense que lorsque l'on est favorable à l'homoparentalité (ce qui est mon cas), il faut au contraire rechercher activement ce type de témoignages. Il ne faut pas être favorable à l'homoparentalité grâce aux témoignages positifs ; il faut y être favorable malgré les témoignages négatifs. C'est ce qu'en rhétorique, on appelle la défense de l'homme d'acier, c'est-à-dire s'attaquer à la forme la plus forte de l'argument de son adversaire. Ou, en termes poppériens, il s'agit de chercher la réfutation plutôt que la confirmation de nos thèses.

En l'occurrence, est-ce que ces témoignages remettent en cause l'homoparentalité ?

Non. Je pense que les difficultés qui traversent ces familles sont davantage dues à la façon dont celles-ci sont gérées (manque de communication et/ou de disponibilité des parents, difficulté de bien s'armer face à un environnement conservateur, manque de soutien et d'accompagnement des parents et des enfants...) qu'à l'homoparentalité en elle-même.

Certes, la personnalité des enfants eux-mêmes peut aussi favoriser ce genre de problèmes. Personne ne peut s'assurer qu'une personne née par don sera heureuse vis-à-vis de sa conception. On ne peut qu'augmenter la probabilité que ce sera le cas.

Et les traits de personnalité qui favorisent ce genre de difficultés et d'accrochages peuvent aussi favoriser le genre de rébellion adolescente des enfants contre la façon dont ils sont élevés dans les familles dites « normales », pour des raisons souvent légitimes : la rébellion peut être une attitude saine, qui permet de faire évoluer la famille en tant qu'institution. Cependant, pour ces familles-là, personne n'irait remettre en cause des droits fondamentaux, comme le droit au mariage, sous prétexte de désaccords avec la façon dont ces familles élèvent leurs enfants. Et c'est bien là qu'on voit le cœur du problème.

Dans le pire des cas, les personnes qui haïssent leurs propres origines, cela existe dans tous les milieux et dans toutes les communautés, et seuls les « antis » verraient cela comme un argument valable contre l'existence de ces milieux et de ces communautés.

Sur le plan de la santé mentale, à éventuellement une exception près, la plupart de ces témoins ne se débrouillent en réalité pas si mal que cela (leurs difficultés éventuelles existent aussi dans d'autres familles, pour d'autres raisons), et certains d'entre eux sont même de parfaits petits militants conservateurs.

Tous ces témoignages précédents permettent aussi de mieux comprendre pourquoi les familles hétéroparentales infertiles tiennent tant au secret, cette pure manifestation de privilège hétérosexuel : par peur qu'en cas de difficultés dans la famille, l'ouverture du secret ne serve d'argument au rejet d'un des deux parents. Malheureusement pour eux, le secret est difficile à tenir à long terme. L'abandonner permettrait de marquer une forme de solidarité avec les familles homoparentales dans la façon de faire famille et de déstigmatiser une bonne fois pour toutes l'engendrement par don.

Accès aux origines : l'instrumentalisation conservatrice en Amérique du Nord

En France, l'idée d'accès aux origines est en train de devenir largement consensuelle, et à part certaines personnes, notamment quelques beaufs hypocrites, dogmatiques et ignorants à droite et une poignée d'idéologues et de « lesbiennes radicales » à gauche, la grande majorité ont compris que s'y opposer était politiquement peu défendable.

Plus largement, dans la plupart des pays qui l'ont voté (pour l'instant, mis à part le Portugal, ce surtout des pays de culture germanique/anglo-saxonne, protestante et/ou progressiste), l'accès aux origines reste un sujet relativement consensuel. Là où il ne l'est pas, il est surtout controversé pour des raisons mercantiles et commerciales, dans des pays qui ne l'ont pas encore adopté, surtout des petits pays tels que le Danemark ou la Belgique (qui ont le double guichet), si l'on exclut l'Espagne. Récemment, c'est une eurodéputée transsexuelle verte belge qui a appelé à lever l'anonymat partout en Europe. Et globalement, cette idée ne fait pas paraître de clivage gauche-droite clairement identifiable.

Mais est-ce le cas ailleurs qu'en Europe ?

En Amérique du Nord, les choses semblent légèrement différentes.

En effet, si l'on se renseigne un tant soit peu sur le sujet, il est facile de tomber sur des sites se faisant le relais d'une idéologie conservatrice, voire très conservatrice, et qui instrumentalisent la question en ce sens. L'une des principales figures du mouvement, Alana Stewart Newman, propage un discours à la limite de l'homophobie pure et simple, même si je dois lui reconnaître d'avoir soutenu Evan McMullin plutôt que l'actuel président, lors des dernières présidentielles. Mais cela reste sans commune mesure avec le discours ultra-réactionnaire d'une Katy Faust, par exemple.

De fait, les quelques rares initiatives visant à réglementer l'industrie de la fertilité émanent plutôt d'hommes politiques républicains, les démocrates se montrant, à ma connaissance, encore plutôt frileux à ce sujet.

Bien sûr, cela ne signifie pas que tous les enfants nés de dons (même uniquement ceux favorables à la levée de l'anonymat) penchent à droite : comme on pourrait s'y attendre, toutes les tendances politiques sont représentées. La principale association de mise en relation des demi-frères et sœurs génétiques, le donor sibling registry, est politiquement neutre (voire progressiste) et évite de stigmatiser les familles en fonction de leur constitution. Cela semble également être la position des principales associations nord-américaines en train d'émerger. Leurs revendications bénéficient également d'une couverture médiatique plutôt favorable dans les principaux journaux et médias de centre-gauche du pays.
Mais il n'empêche que les personnalités les plus « bruyantes » sur le sujet ont encore un discours assez droitier.

Qu'est-ce qui pourrait expliquer cette situation ?

Je pense qu'il y a plusieurs éléments qui peuvent l'expliquer.

D'une part, d'un point de vue général, les pays européens sont des pays de tradition interventionniste qui ont pris l'habitude de réglementer tout et n'importe quoi. A contrario, les États-Unis sont un pays de culture beaucoup plus libérale et individualiste. C'est ce qui explique que la PMA ait souvent été très sévèrement réglementée dans de nombreux pays européens, alors qu'elle ne l'a quasiment jamais été en Amérique du Nord.

Mais il ne s'agit pas de la seule différence entre les deux continents en termes de culture politique. En effet, les États-Unis sont un pays extrêmement polarisé sur les questions de société[1], qui acquièrent souvent une importance qui serait difficile à imaginer en Europe, au point qu'on y parle souvent de culture wars.

Tous ces éléments contribuent à expliquer la différence de contexte entre les deux continents.

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[1]Pas seulement du côté conservateur ; en effet, certains arguments « libéraux » autour de l'avortement relèveraient quasiment du suicide politique s'ils étaient importés tels quels en Europe, comme Hillary Clinton qui déclare fièrement qu'elle soutient le droit à l'avortement jusqu'au neuvième mois de grossesse, par exemple. D'un point de vue européen, cette focalisation sur l'avortement en tant que droit de la femme a quelque chose d'assez paradoxal, lorsque l'on sait que l'IVG y est souvent très mal remboursée et peu accessible en pratique dans de nombreux États, en particulier pour les mineures (celles qui en auraient potentiellement le plus besoin, du fait des insuffisances de l'éducation sexuelle).

23/08/2019

« PMA sans père » : autopsie d'un slogan

Pour s'opposer au présent projet de loi bioéthique, l'un des arguments de La Manif Pour Tous consiste à agiter le spectre de la « PMA sans père ». De quoi s'agit-il exactement ? A quoi cela fait-il référence ?

Si l'on se fie à ce slogan, ce n'est pas la PMA en tant que telle qui dérange véritablement LMPT*. Ce qu'il faut comprendre, c'est que tant qu'il y avait un père social qui pouvait se faire passer pour le géniteur de son enfant, la PMA était acceptable. Or, depuis que le secret ne peut plus tenir, celle-ci devient tout d'un coup problématique, et il faut s'y attaquer d'urgence.

Un autre argument repose aussi sur la confusion, très fréquente à droite, selon laquelle la PMA serait ainsi détournée de son objectif premier « médical » et n'aurait donc pas à être remboursée par l'assurance maladie. La vérité est que la PMA n'a jamais été un traitement de l'infertilité (elle ne peut pas rendre fertile un homme stérile), même si on l'a souvent présenté ainsi. Puisque la PMA n'a jamais été un traitement médical et est pourtant remboursée par l'assurance-maladie, l'étendre à toutes les femmes ne devrait pas poser de problème de ce point de vue.
D'ailleurs, avec la levée de l'anonymat, LMPT est implicitement en train d'admettre elle-même l'argument de la non-médicalité de la PMA, sans vouloir le reconnaître directement.

Enfin et surtout, contrairement à ce que prétend LMPT, l'immense majorité des études menées à ce sujet ne montrent pas de différences significatives de développement entre enfants élevés par des familles homoparentales et enfants élevés par des familles hétéroparentales.

Bref, c'est là que l'on s'aperçoit que, décidément, La Manif Pour Tous a bien grand peine à dissimuler son homophobie.

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* En réalité, certains sympathisants LMPT hésiteraient carrément à s'opposer à toute forme de PMA avec tiers donneur, mais le pragmatisme politique leur fait préférer une forme de statu quo, officiellement du moins. Par mesure de cohérence, La Manif Pour Tous a renoncé à l'anonymat des donneurs depuis au moins 2016, mais cette position n'est pas universellement partagée à droite, notamment par les beaufs de Twitter et tous ceux qui confondent encore géniteur et père.

21/08/2019

Accès aux origines : l'opposition de « gauche »

Tout d'abord, je tiens à remercier et à féliciter l'ensemble de la gauche et du centre français (update du 2 octobre 2019 : à l'exception du PCF et de Jean-Luc Mélenchon) pour s'être montrés beaucoup plus sensibles à la question de l'accès aux origines que je ne l'aurais espéré de leur part. Aujourd'hui, si l'on se fie aux communiqués et engagements de leurs organisations LGBTI respectives, la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes est en passe d'être votée grâce aux voix de plusieurs grands partis de la gauche et du centre (et probablement même grâce à certaines voix de la gauche radicale et de la droite). Rétrospectivement, cependant, cela ne devrait avoir rien d'étonnant, pour plusieurs raisons au moins.

Tout d'abord, parce que les individus de gauche montrent en général une meilleure capacité à intégrer des informations contradictoires que les individus de droite, si l'on se fie à certaines études américaines menées sur le sujet. De fait, la gauche est passée championne dans l'art d'amalgamer des groupes dont on pourrait penser que les intérêts puissent parfois diverger, tels que les juifs, les musulmans, les personnes LGBT, les femmes, les défenseurs des animaux, etc... là où la droite a tendance à les opposer les uns aux autres sans réellement soutenir aucun d'entre eux.

Ensuite, comme d'autres l'ont déjà fait remarquer avant moi, quelque soit la cohérence de leurs revendications avec son propre système de valeurs, la gauche aime bien les mouvements militants, en particulier ceux qui émanent directement des personnes concernées. C'est pourquoi elle restait très discrète voire muette sur le sujet tant que la première génération d'enfants nés de dons n'avait pas atteint l'âge adulte, mais depuis qu'on les entend parler de leurs expériences, les gens de gauche intelligents cherchent maintenant à ne pas se les aliéner.

Enfin, je dirais qu'il y a tout simplement une grosse part de pragmatisme et une certaine volonté de « couper l'herbe sous le pied » de La Manif Pour Tous en la matière, de dénoncer l'hypocrisie et le misérabilisme de ses sympathisants, qui sont, dans le meilleur des cas, favorables au statu quo, et de partager la revendication d'accès aux origines pour mieux rejeter l'instrumentalisation absurde qui peut en être faite par le camp conservateur.

Est-ce à dire que toute la gauche s'est convertie à la cause de l'accès aux origines ? Malheureusement, non.

Avant d'aller plus loin, il me faut bien sûr préciser que la droite non plus ne s'y est pas entièrement convertie, et peut-être même dans des proportions moins fortes encore.

J'aurais donc très bien pu écrire un article sur l'opposition de droite à l'accès aux origines, qui est numériquement plus importante il est vrai (en tout cas si l'on considère Twitter comme une source fiable). Mais, contrairement à l'opposition de gauche, celle-ci n'a même pas le mérite d'offrir un discours objectivement cohérent à critiquer. Une critique de l'opposition de droite se serait donc réduite à une critique générale de l'hypocrisie, de l'opportunisme et du cynisme de droite, chose que font déjà beaucoup d'autres auteurs avec bien plus de talent que moi. Puis, je considère que critiquer la gauche radicale, là où elle se fourvoie, est bien plus stimulant d'un point de vue intellectuel, ce que les intéressé-e-s devraient logiquement considérer comme un compliment, même si je ne reconnais que cela ne me fait pas plaisir d'un point moral, même si cela s'avère parfois nécessaire.

Maintenant que les choses sont claires pour tout le monde, quelle est donc la nature de cette opposition ?

Je pense qu'il existe tout au plus deux petits groupes de personnes qui font partie de cette opposition de gauche, et qui partagent par ailleurs de nombreuses convergences dans leur analyse de ce sujet[1][1bis].

Le premier groupe est constitué de militants « pro-choix »  radicaux, tels que Daniel Borrillo ou Morgane Merteuil.

Le premier d'entre eux est un juriste et intellectuel argentin très engagé contre l'homophobie, et qui a accompli un travail remarquable sur les discriminations et la vulgarisation de la bioéthique. Malheureusement, ses analyses témoignent trop souvent d'un libertarisme suranné, ainsi que d'une certaine rancœur personnelle contre ceux qu'il appelle les « conservateurs de gauche ».
Son dernier article pour Libération, intitulé « L'accès aux origines, ruse de la raison conservatrice », est un pur concentré de désinformation, dans lequel les personnes déjà nées de dons sont totalement absentes de l'analyse. Ce faisant, Borrillo tombe paradoxalement dans les mêmes travers que La Manif Pour Tous, en confondant géniteur et pèrefiliation et accès aux origines, et autres confusions. De plus, Borrillo exagère (de façon carrément malhonnête, si j'ai bien saisi) l'importance de l' « expertise psychanalytique » dans cette revendication, alors même que d'une part cette « expertise » est, presque par définition, absente dans la plupart des autres pays, et que d'autre part la revendication émane avant tout des personnes concernées, le fait qu'en France celle-ci ait été récupérée par des psychanalystes étant secondaire au propos[2].

M'est avis que si Borrillo laissait tomber ses rancœurs personnelles et son dogme libertarianisant, il ferait preuve de davantage d'empathie envers les personnes concernées. Sans doute ne s'est-il pas intéressé à la question, ce qui illustrerait un point qu'ont en commun tous les opposants de gauche à l'accès aux origines (mais j'y reviendrais peut-être ailleurs). Je dois lui reconnaître néanmoins d'avoir, semble-t-il, légèrement évolué sur la question de l'accès aux origines (et il a toujours soutenu la légalisation des tests ADN), ce qui n'est pas nécessairement le cas d'autres personnes.

Notamment la seconde, Morgane Merteuil, qui est une activiste engagée pour les droits des travailleur-se-s du sexe, un combat tout à fait respectable, soit dit en passant. Cependant, elle s'oppose aussi à la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes, même pour une simple question d'antécédents médicaux. Décryptons un peu ses arguments.



D'une part, elle nous sort le classique « tout le monde ne connait pas son père biologique, alors c'est pas grave de toute façon » (c'est aussi ce qu'on appelle du nivellement par le bas ; Laurence Parisot ne renierait pas ce genre de rhétorique). Les situations qu'elle donne en exemples sont des conséquences de rencontres sexuelles avec possibilité, au moins théorique, de contester la filiation et d'interroger la mère à ce sujet, ce qui est très différent de situations provoquées délibérément et avec la complicité affichée de l'Etat.

Ensuite, son second argument me paraît autrement plus pervers. Elle écrit : « Mais utiliser l'argument du risque sanitaire pour légitimer toujours + le récit biologique me paraît être une mauvaise idée. » Quand « légitimer un récit » devient plus dangereux qu'un risque sanitaire... On nage en plein délire ! D'autant plus que, pour « délégitimer » ce récit, Morgane Merteuil propose en fait la possibilité (voire l'obligation ?) d'imposer à certains enfants un contre-récit anti-biologique, alors même que l'importance à accorder au « récit biologique » appartient aux enfants, pas aux parents !

C'est ainsi que paradoxalement, sur ce point-là précis, Morgane Merteuil incarne une gauche qui cesse de défendre les droits des personnes pour défendre des idéaux censés nous transcender. Mais où va le monde ?

Elle a aussi défendu l'idée, répandue dans ce milieu, selon laquelle la recherche de ses origines biologiques aurait avant tout des « causes sociales ». Certes, je pense que les défenseurs de l'accès aux origines devraient éviter d'utiliser l'argument selon lequel rechercher ses origines biologiques serait un besoin naturel et inné de la nature humaine. Mais dans ses implications, le raisonnement ne tient pas. Car le désir de parentalité a aussi des causes sociales. Un point partout, la balle au centre ? On pourrait même dire que le fait de ne pas rechercher ses origines a lui aussi des causes sociales, notamment par « loyauté » envers le parent social. Pression contre pression, qui a raison ?



Le deuxième groupe d'opposantes est constitué de personnalités émanant de la mouvance du lesbianisme radical, et qui préfèrent se terrer dans les tréfonds de Twitter (mais elles se trouvent en contact régulier et/ou en affinité idéologique profonde avec celleux précédemment cités). Elles doivent y être quelques dizaines au total, mais cela pourrait monter jusqu'à plus d'un millier de sympathisantes si l'on compte toutes celles qui se contentent de liker leurs posts, de les retweeter et/ou d'y répondre. Il faut bien comprendre que ce ne sont pas simplement des homosexuelles qui veulent juste vivre « normalement », y compris en se mariant et en ayant des enfants. Elles adhèrent à un projet « révolutionnaire » et utopique[3] qui vise à redéfinir toutes les notions communes de généalogie et de parenté, perçues comme intrinsèquement discriminantes, pour les affranchir totalement de leurs bases biologiques. Et cela passe par la volonté affichée de forcer leurs propres enfants à adhérer à ce schéma. Inutile de dire en quoi cette approche est contre-productive.

Pardonnez-moi l'expression, mais beaucoup d'entre elles présentent des traits typiquement « SJW » presque caricaturaux. En effet, tout y passe : procès d'intention, offensement perpétuel, binarité de pensée, ad hominems, déshonneurs par association, absolutisme de la parole de l' « opprimé », relativisme culturel[4], et même appels à la violence. Je veux dire, quand on voit ce genre de message :



Cela ne devrait pas être trop pris à la légère.

Néanmoins, il convient encore une fois de ne pas exagérer la « menace » que représenteraient ces milieux, celleux-ci, même au sein de la communauté LGBT, étant très minoritaires et quasiment inaudibles. Vu leur faible nombre, je pense qu'iels gagneraient davantage à rejoindre nos rangs pour pouvoir lutter ensemble contre La Manif Pour Tous (dont les sympathisants, même avec l'affaiblissement du mouvement, restent quand même autrement plus nombreux) plutôt que d'essayer de s'engager dans un combat perdu d'avance[5][6]. Je reste malgré tout confiant dans les possibilités de dialogue[7].

Update du 15 septembre : une brillante démonstration de ce que je dénonçais dans cet article vient de m'être fournie récemment. Tout a commencé avec ce tweet :



S'en sont suivies plusieurs réponses, pas toujours pour approuver ce post des deux mains, dont l'une d'entre elles a amené la twittos d'origine a être en contact avec une autre twittos, conçue par don, qui se décrit pourtant elle-même comme étant « très à gauche » et rejetant explicitement tout amalgame entre LGBT et refus de l'accès aux origines. S'en est suivie une discussion houleuse, parfois agressive, à la limite de la négation du ressenti et avec des tentatives claires de harcèlement, parfois juste parce que la seconde twittos a eu le malheur d'employer l'expression de « père biologique »[8], qui a abouti à ce que celle-ci ferme temporairement son compte Twitter par frustration liée à un dialogue de sourd-e-s (veuillez m'excuser l'emploi de cette expression validiste). A l'heure où je réalise mon update, ce shitstorm n'est d'ailleurs pas totalement terminé.

Cela m'a fait me rendre compte à quel point accuser l'adversaire d'être « -phobe » est pratique d'un point de vue rhétorique, car cela permet de clôturer tout débat et de ne pas avoir à écouter les arguments du camp d'en face.

En l'occurrence, la réfutation de l'idée selon laquelle l'accès aux origines serait, par essence, une revendication lesbophobe est simple, même si elle ne sera peut-être pas vue comme assez convaincante pour mes adversaires.

Tout simplement, les partisans de l'accès aux origines y sont favorables aussi pour les enfants de couples hétérosexuels. Mieux encore, ils cherchent même à combattre cette formidable manifestation de privilège hétérosexuel que constitue la possibilité du maintien du secret autour de la conception de son enfant. Ils sont cohérents avec leurs propres principes. D'autre part, des personnes trans peuvent aussi donner leurs spermatozoïdes (bien que cela ne soit pas le cas aujourd'hui en France, malheureusement).

Que l'accès aux origines ne devienne une préoccupation qu'à partir du moment où l'on projette d'étendre la PMA à toutes les femmes, cela devrait certes avoir quelque chose d'assez préoccupant et même regrettable, mais la faute en revient en tout premier chef au privilège hétérosexuel, pas à l'idée même d'accès aux origines. C'est une manipulation idéologique que l'on voit aussi poindre dans d'autres domaines.

Par exemple, dans le même genre de milieux, la laïcité et la liberté d'expression sont régulièrement accusées (pas toujours à tort, cependant) d'être utilisées comme armes contre les populations d'origines musulmanes. De même, les droits des enfants et des animaux font souvent l'objet de critiques du même ordre.

Le risque, avec cette confusion croissante entre progressisme et égalitarisme d'un côté et permissivisme, relativisme et communautarisme de l'autre, c'est non seulement de se retrouver avec un système de pensée qui placerait la communauté et les « groupes minoritaires » (TM) au-dessus de l'individu et des valeurs communes, mais aussi de se retrouver avec un mouvement progressiste affaibli et incohérent, qui est par ailleurs un des grands fantasmes de la droite.

Au nom du politiquement correct, va-t-on bientôt prétendre que s'opposer aux mutilations des personnes intersexes est un combat d'avant-garde tandis que s'opposer à la circoncision et à l'excision est antisémite et raciste, alors que tous ces combats devraient aller de pair ? Que s'opposer à la corrida est une cause noble parce que ce sont des blancs qui la pratiquent, mais que s'opposer à l'abattage rituel fait de nous des fascistes ?

Nul doute qu'il existe des personnes qui se servent de l'accès aux origines comme d'une véritable excuse pour déverser leur homophobie et leur lesbophobie sur la toile, mais généralement ces personnes vont beaucoup plus loin que simplement soutenir l'accès aux origines : en effet, elles s'opposent généralement à toute forme d'homoparentalité, et même parfois à la PMA en général.

Par ailleurs, on reproche à ceux qui veulent connaître leurs origines biologiques d'être une « minorité », de vouloir généraliser leur « cas particulier » et de soutenir des propositions qui pourraient avoir un impact sur beaucoup d'autres personnes ; mais n'a-t-on pas non plus accusé les activistes LGBT, il y a si peu de temps et encore aujourd'hui, d'être une « minorité » et que ce ne sont pas tous les LGBT qui désiraient avoir le mariage, l'adoption et la PMA ?

Comment pouvez-vous être si sûr-e-s qu'avec vous, la PMA, « ça se passera bien » ? Si des personnes conçues par don vous donnent leur propre ressenti, c'est parce qu'iels savent très bien que cela pourrait arriver un jour avec vos propres enfants. Et si ceux-ci sont élevés avec l'idée selon laquelle il n'existerait aucun intermédiaire entre La Manif Pour Tous et les « lesbiennes radicales », cela risquerait fort d'être contre-productif, certains enfants ayant élevés ainsi s'étant carrément mis à rejoindre des groupes homophobes parce que ça fait « rebelle ». De plus, étrangement, vous semblez adhérer au faux dilemme selon lequel si les enfants n'appartiennent pas à leurs parents, « ils appartiennent à l'État ». Devinez qui d'autre tient le même discours ?

Vous dénoncez (en partie à raison) l'importance qui est donnée à la biologie et à la génétique dans notre société, mais le recours à la PMA n'est-il pas un moyen de conserver une connexion génétique vis-à-vis d'un des deux parents, ce qui serait mieux perçu que de ne pas avoir de connexion du tout ? La ROPA (Réception de l'Ovocyte de la PArtenaire), que vous soutenez et qui a malheureusement été exclue du projet de loi, n'est-elle pas une autre façon de favoriser cette connexion ?

Plus généralement, tout ce discours vise à ériger l'homosexualité, qui ne devrait être qu'une simple histoire d'attirance, en idéologie, voire en religion, ce que je trouve carrément dangereux, en partie parce qu'il s'agit déjà d'un fantasme inoxydable de la droite et des réactionnaires. De plus, il y a déjà d'énormes difficultés à critiquer en public la pratique de la circoncision ou de l'abattage rituel, parce qu'il s'agit là de commandements religieux, multi-séculaires, dont l'importance est constamment réaffirmée dans les divers textes des religions en question ; alors pourquoi devrait-il y en avoir pour critiquer une pratique qui n'existe que depuis à peine quelques décennies au mieux, et qui, à ma connaissance, n'a jamais été mentionnée comme « commandement » dans quelque texte religieux que ce soit ? Serait-ce parce que la première twittos ne se montre même pas favorable au « double-guichet », pourtant plus cohérent que son propre projet, en termes de droits individuels ?

Concernant PMAnonyme, association qui compte plus de 250 membres aujourd'hui, cela m'étonnerait très fortement que sur 250 personnes concernées, absolument toutes soient strictement hétérosexuelles et cisgenres (de fait, je sais que ce n'est pas le cas). Elle compte aussi des enfants de familles homoparentales, et lutte activement contre cette manifestation de privilège hétérosexuel que constitue la possibilité de garder le secret autour du mode de conception de ses enfants. C'est une association qui fait déjà beaucoup d'efforts pour dialoguer avec les militant-e-s LGBT, y compris certaines assez radicales comme Amandine Gay et Alice Coffin.

Certes, sa co-fondatrice est apparemment devenue sympathisante de LMPT, et il est vrai que certains de ses membres adhèrent à un certain type de discours « conservateur » (je parle d'expérience), mais citer ces quelques exemples pour tenter de jeter le discrédit sur le travail de l'association toute entière relève, au mieux, du plus pur déshonneur par association.


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[1] Notez que je ne parlerai pas ici de celleux dont les divergences ne concernent que le point très technique de la RCA, qui restent relativement nombreux/ses, dont le point de vue est légitime, et avec lesquels nous pourrons plus facilement nous allier, mais uniquement de celleux pour lesquels le désaccord est plus fondamental. 

Il me faut toutefois préciser que nombre d'opposants à la RCA sont en réalité d'anciens partisans de l'anonymat ou du double guichet qui se sont reconvertis lorsqu'ils ont compris que ces revendications était politiquement peu défendables, et qu'ils continuent d'adhérer à un double discours en interne, voire de façon ouverte.

[1bis]Aujourd'hui, j'ajouterais volontiers un troisième groupe de personnes, qui est celui des gens de gauche "à l'ancienne" (en particulier le PCF et Jean-Luc Mélenchon). Ce ne sont ni des "intégristes" de la libre disposition de son corps, ni des personnes qui mettent particulièrement en avant les revendications LGBT dans leur argumentaire, mais simplement des personnes qui ont du mal à articuler la revendication d'accès aux origines avec leurs valeurs de gauche "traditionnelles", en particulier le caractère social et non biologique de la filiation. Bien que ce groupe de personnes soit beaucoup moins présent que les deux autres dans les médias et sur les réseaux sociaux, c'est celui qui a le plus d'influence au parlement.

[2] Beaucoup de psychanalystes sont contre l'accès aux origines, Morgane Merteuil témoigne d'ailleurs d'une certaine sympathie envers ce courant.

[3] On pourrait aussi dire « bolchévisant », à cause de cette obsession des avant-gardes qui imposent leur point de vue aux autres par la force.

[4] Toutes proportions gardées, l'idée selon laquelle la revendication d'accès aux origines serait lesbophobe fait beaucoup penser à l'exemple, certainement caricatural, cité dans le texte de Thomas C. Durand, selon lequel critiquer l'excision serait critiquer la culture africaine. Bien sûr, vous n'êtes pas obligé d'adhérer à cette comparaison.

[5] 75 % des français étant favorables à l'accès aux origines, d'après un récent sondage, dont l'analyse est intéressante à plus d'un titre. D'une part, les différences sociologiques sont en général beaucoup moins prononcées que sur d'autres sujets tels que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, peuvent parfois même sembler étrangement aléatoires, et surtout ne dessinent pas d'opposition « gauche-droite » identifiable et évidente. Néanmoins, on note que parmi les catégories les plus sensibles aux revendications d'accès aux origines se trouvent, entre autres, les jeunes, les étudiants, les femmes, les homos, les catégories populaires et les sympathisants des partis de gauche, ce qui suggère au minimum que, d'un point de vue strictement sociologique, prétendre que l'accès aux origines serait une idée conservatrice ne tient pas la route.

[6] De plus, ce genre d'actions pourrait provoquer l'indignation légitime d'une frange non-négligeable de la communauté LGBT, qui se mettrait alors à entonner #NotInMyName.

[7]A cause de l'instrumentalisation qui en est faite actuellement par La Manif Pour Tous, une petite frange de militants LGBT radicaux semble être devenue allergique à quasiment toute forme de rhétorique mettant en avant les droits de l'enfant. Assez paradoxalement, cette attitude participe précisément à valider les discours de LMPT selon lesquels les droits des enfants et ceux des personnes LGBT devraient nécessairement entrer en conflit, alors qu'ils sont censés se compléter harmonieusement.

[8]A ce sujet-là, il faut reconnaître que la première twittos a le mérite de la cohérence puisqu'elle refuse d'écouter les concernés lorsque cela arrange son idéologie (et s'en vante ouvertement, surtout).

Addendum du 26 janvier 2021 : la posture de Morgane Merteuil, en la matière, se caractérise plutôt, en réalité, par une espèce de complaisance systématique à l'égard de tous les mouvements les plus relativistes et les plus communautaristes qu'on puisse trouver en France, quitte à ce qu'il n'y ait plus aucune forme de cohérence dans ses propres engagements. Ainsi, sur Twitter, elle s'est récemment confrontée à des militantes « lesbiennes radicales », surtout d'origine juive, qui lui reprochaient notamment son soutien au PIR et à Houria Bouteldja. Cependant, les « lesbiennes radicales » en question, sans le savoir, font exactement avec le féminisme et les droits LGBT ce que le PIR a lui-même fait avec l'antiracisme, et traitent les personnes conçues par don de la même façon que le PIR traite les juifs et les homosexuels. Comme quoi...