31/07/2014

Petit bilan de mes opinions sur le mariage pour tous et autres questions liées

Si vous ne l'avez pas lu ailleurs sur ce blog, vous devez savoir que je suis pour l'extension du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. Des exemples ici, ici et ici.

Lorsque le débat a éclaté à partir de fin 2012, j'ai très clairement choisi mon camp : celui de l'égalité. J'ai participé à plusieurs manifestations. J'étais venu, naïvement peut-être, défendre le projet de loi d'alors, qui prévoyait d'étendre le mariage et l'adoption aux couples homosexuels.

Je tiens à signaler que je n'ai absolument pas changé d'avis là-dessus. Le mariage pour tous a en effet permis d'affirmer dans le droit l'égale dignité de l'amour homosexuel par rapport à l'amour hétérosexuel, et l'ouverture de l'adoption a permis (ou, pour certains cas malheureusement, aurait dû permettre) la reconnaissance des familles homoparentales déjà existantes, de même que l'idée plus générale que les homos pouvaient être d'aussi bons parents que les hétéros. Ce sont des points qui, je le pense, pourraient faire largement consensus avec un peu de pédagogie.

Le caractère de plus en ridicule, voire burlesque, de l'attitude des opposants au projet, et - il faut le dire - l'homophobie crasse de certains d'entre eux, m'ont d'ailleurs plutôt donné raison dans ma décision de soutenir le projet de loi. Mais après la mi-2013, je me suis de moins en moins impliqué sur cette question. Certes, je regrette l'attitude de Manuel Valls et les renoncements plus généraux du gouvernement français actuel, mais je ne suis à vrai dire pas particulièrement pressé de voir la PMA étendue en France à l'heure actuelle. Contrairement à la précédente, je ne suis pas non plus passé à la Gay Pride de 2014 parce que je savais que l'ambiance allait y être mauvaise.

Pour reprendre depuis le départ, mon soutien au mariage et surtout à l'adoption de même sexe ne s'est pas imposé à moi comme une évidence naturelle, mais résulte au contraire d'une mûre réflexion de ma part ; je n'ai pas pris la question à la légère. Mes premières réflexions sur le sujet datent des premiers débats français autour du "mariage gay", en 2004, à l'époque où je n'étais encore qu'un ado boutonneux. Le mariage ne me posait déjà pas particulièrement de problèmes ; j'étais plus réticent sur l'adoption, ce qui était normal à l'époque, mais cette réticence s'est estompée progressivement lorsque je fus confronté à de meilleurs arguments.

En revanche, ce n'est que beaucoup plus récemment (vers 2012) que je me suis intéressé à la PMA. En particulier, je n'appréciais pas que de part et d'autre, on mélange la question du mariage et de l'adoption avec celle de la PMA (voire avec celle de la GPA), ce qui ne faisait qu'ajouter à la confusion selon moi. La Manif pour tous en a bien joué, d'ailleurs, mais à mon grand désarroi, mon propre camp n'a pas été en reste. Cela m'a donné l'impression qu'en France, dans ce genre de débat, il fallait accepter toutes les opinions d'un camp ou de l'autre sans intermédiaire possible. C'est ce qui explique d'ailleurs, je pense, qu'une vague connaissance que je pensais relativement pro-"mariage gay", aie avoué avoir participé à la Manif pour Tous à cause de son opposition à la PMA et à la GPA. Je n'en ai pas fait tout un foin, d'ailleurs, j'ai juste dit que j'étais en désaccord avec lui.

En l'état actuel des choses, plusieurs facteurs expliquent ma prudence à l'égard de la PMA, et pourquoi j'ai été prudent autrefois avant de me forger mon opinion sur le mariage et l'adoption :

- En ce qui me concerne, j'ai toujours été très sceptique vis-à-vis de l'anonymat des dons de gamètes (il me faudrait probablement un autre article pour expliquer pourquoi en détail). Je suis notamment opposé au principe d'anonymat obligatoire tel qu'il existe en France, et je suis favorable à la levée de l'anonymat des dons de gamètes. Ce n'est pas une opinion marginale, elle est défendue par plusieurs associations (dont une association homoparentale majeure), plusieurs autres pays ont voté des lois allant dans ce sens. A l'appui de ma position, je me suis intéressé aux études sur les enfants issus de PMA, comme ici. Pour la même raison, je suis critique de l'accouchement sous X tel qu'il existe actuellement.

- J'ai progressivement découvert qu'il existait, au sein de l'extrême-gauche sociétale, toute une sale tradition de défense de la liberté des adultes au détriment des droits des enfants. Je ne balance pas de liens, mais c'est assez connu. Et je pense que ce souvenir peut expliquer une bonne partie de l'opposition au mariage pour tous et aux questions associées. La gauche ne doit pas le négliger : elle sait que ses positions sur les questions de société peuvent parfois être son talon d'Achille.

- En 2013, sur Facebook, une amie lesbienne (qui élève elle-même un petit garçon avec une autre femme) m'a mis en garde contre une vision trop idéalisée de l'homoparentalité, qui semble exister dans certains milieux, à cause d'interprétations abusives des études - néanmoins très largement majoritaires, faut-il le préciser - ne montrant aucune différence de développement entre les enfants de familles homoparentales et les enfants de familles hétéroparentales.

- Qu'on ne se trompe pas : au cours des dernières années et des débats qui se sont écoulés, l'énorme majorité des commentaires stupides, haineux et/ou ignorants venaient bel et bien de la Manif pour Tous et des "antis". Mais mon propre camp n'en était pas exempt non plus. Je me souviens avoir entendu un "la liberté de conscience c'est pas dans nos croyances" (à l'époque, c'était contre François Hollande et ses propos sur la "liberté de conscience" des maires, mais hors contexte ça fait quand même froid dans le dos) ou lu des slogans pro-PMA objectivement très mauvais tels que "PMA : mon corps mon choix" ou "un enfant si je veux, quand je veux". Pour devenir l'épouvantail des "antis", on ne pouvait guère rêver mieux.

- Ailleurs aussi, chez certains intellectuels et/ou sur le Net, on trouve de mauvais arguments. A l'heure où les "antis" restent tenaces, il faut prendre garde à ne pas se tirer de balle dans le pied. Daniel Borrillo, dont j'avais donné une critique favorable (malgré des désaccords) de son ouvrage Bioéthique précédemment, semble être l'un de ceux qui persistent à voir en Irène Théry une farouche réactionnaire alors qu'elle a su habilement changer ses positions au cours du temps. Son article Mediapart Oedipe versus Marianne de 2010 me semble être un mélange d'idées pertinentes et d'autres qui me semblent beaucoup plus contestables. Interrogé sur le fait que les associations homoparentales françaises étaient favorables à la levée de l'anonymat des dons de gamètes (ou, au minimum, à un assouplissement de celui-ci) il répond en commentaire :

"Au delà de la manière dont techniquement les enfants adoptifs ou issus d’une AMP pourront disposer de cette information [sur leurs géniteurs], je ne comprends toujours pas pourquoi cette levée de l’anonymat des donneurs doit être une condition à la filiation homoparentale.
Je crois qu'il faut dissocier les problématiques, l'égalité des filiations est une chose, la reconnaissance des origines biologiques en est une autre. L’association de ces questions aujourd’hui me semble répondre à une idéologie naturaliste qui prétend dire quelque part qu'à l'origine de l’homoparentalité se trouve l'hétéroparentalité. Or, depuis des siècles, le droit a clairement distingué la procréation de la filiation. La première est un fait de nature, la deuxième est une création culturelle qui parfois coïncide avec le biologique mais pas nécessairement. Aussi, d'un point de vue pratique, je ne suis pas certain que tous les couples souhaitent que les enfants adoptifs ou issus d’une AMP puissent accéder aux origines biologiques et « imposer » cette présence des géniteurs à leurs familles.
Le plus surprenant de tout cela c’est l’absence du point de vue des principaux intéressés.
Au lieu de demander l’expertise psychanalytique, il vaudrait mieux savoir ce que les personnes directement concernées pensent de tout cela."

A l'origine de l'homoparentalité ne se trouve pas l'hétéroparentalité (sauf peut-être dans un sens strictement biologique ; autrement, personne ne peut le prétendre). Mais la complémentarité des sexes dans la procréation, si. Irène Théry avait donc raison lorsqu'elle écrivait que Borrillo confondait la différence des sexes et l'hétérosexualité. La première est une loi, sinon de notre espèce, du moins de notre société. La seconde est la forme majoritaire de la sexualité humaine, qui a historiquement facilité la perpétuation de l'espèce, sans y être nécessaire de nos jours, de par l'existence des nouvelles techniques de procréation.

Autrement, pour reprendre la fin de son commentaire, en quoi les enfants issus de PMA ne feraient pas partie des "intéressés" en question ?

Un autre genre d'argument douteux vient des groupes pro-PMA radicaux.
Voici ce que l'on peut lire dans la revue des panthères roses, repris par le site OuiOuiOui :

"L’absence des PMA* dans la loi pour le mariage 
pour touTEs sonne comme une redite des 
combats féministes passés pour l’accès à la 
contraception et à l’avortement. Aujourd’hui 
comme hier, l’enjeu est le contrôle du corps des 
femmes et l’intervention obligée d’un homme 
dans le choix d’avoir ou non un enfant. Pour les couples hétéros, la PMA ne pose pas de problème puisqu’un homme reste présent dans la filiation. Ce qui coince pour les lesbiennes et les femmes seules, c’est l’absence de père, c’est la possibilité d’avoir un enfant sans homme." 

Mais justement, il est biologiquement impossible d'avoir un enfant sans homme (du moins sans un être qui a été homme au cours de son existence), sinon les lesbiennes n'auraient pas besoin de PMA et il n'y aurait pas de revendication à vouloir l'étendre. Si les hommes ne donnent pas leur sperme, il n'y a pas de PMA.

Il n'y a pas à dire, je ne me reconnais pas dans cette rhétorique-là.





Malgré tout, je tiens à le préciser, je soutiens l'extension de la PMA aux couples de femmes. Ce n'est certes pas par gaieté de cœur, mais parce que je tiens compte des réalités suivantes :

- D'une part, le caractère bancal du droit français actuel. En ouvrant l'adoption aux couples de même sexe, il a implicitement reconnu le fait que les homosexuels pouvaient être d'aussi bons parents que les hétéros. Cependant, il ne l'a pas reconnu en ce qui concerne la PMA. Celle-ci obéit donc toujours à un modèle pseudo-procréatif et pseudo-médical ; ce serait soi-disant pour pallier à la stérilité du couple. Mais il s'agit d'un mirage. Une PMA ne rend pas fertile un homme stérile, elle permet d'utiliser le sperme d'un autre homme pour féconder un ovule à sa place. L'ouverture de la PMA aux couples de femmes permettrait définitivement de remettre en cause cette conception.

- D'autre part, cela pourrait (paradoxalement ?) permettre le développement de pratiques plus responsables en ce qui concerne l'accès aux techniques procréatives. Au lieu de trajets souvent coûteux et/ou de pratiques hasardeuses, voire dangereuses (risques de transmission de MST pour la mère et l'enfant), on aurait enfin une information plus claire, plus homogène, plus accessible pour tous. Et aussi parce que la culpabilisation a posteriori, dans ce genre de circonstances, n'est bonne pour personne.
De plus, on peut supposer que ce serait également plus positif pour le bien-être futur des enfants qui grandiraient dans de telles familles.

Je suis un peu plus réservé concernant l'ouverture de la PMA aux femmes seules, pas pour des raisons psychanalytiques comme Geneviève Delaisi de Parseval, mais pour deux raisons principalement :

- Un parent seul n'aurait pas les mêmes capacités à faire face aux situations de la vie quotidienne que deux parents.

- Je crains que dissocier aussi clairement la procréation de l'amour entre deux personnes ne soit encore un concept un peu trop radical pour la France d'aujourd'hui.

Pour finir, je suis dans le flou total concernant mes opinions sur la GPA. Il semblerait que même une GPA dite "éthique" doive être payante dans une certaine mesure. La question n'est de toute façon pas à l'ordre du jour. Il n'empêche que je suis favorable à la reconnaissance des GPA pratiquées à l'étranger - de façon à ne pénaliser personne - et je rejoins la décision de la CEDH sur ce dernier point.