29/10/2012

Deuxième réponse aux 39

Pour rappel : cet article-ci et celui-là.

Le collectif des 39 a, cette fois-ci publié un long texte pour défendre la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle (abrégée en PI). Ce texte de Patrick Chemla sera une fois de plus l'occasion d'analyser et de décortiquer leur rhétorique.

Sans surprise pour ceux qui les connaissent un peu, ils dénoncent "les menaces fascisantes de ces groupes qui tentent actuellement de nous faire taire et d’interdire de parler, penser, agir avec la psychanalyse et la PI" ce à quoi je répondrai que c'est le film Le Mur qui est toujours interdit aujourd'hui par décision de justice. Je ne commenterais donc pas plus longuement sur leur continuel délire de persécution.

C'est à partir du deuxième paragraphe que l'on aura l'occasion d'analyser leur langage codé. Tout d'abord, pour commencer : 

"entre l’image du « fou à délier » de l’Asile traditionnel qu’une génération de psy a voulu libérer de ses chaines"  

Personnellement, je ne suis pas favorable à cette image et je combattrai ce genre de conceptions et de stéréotypes s'il venaient à réapparaître.

"et celle du handicapé psychique qu’il s’agit de gérer et de normaliser"

C'est là que ça se corse et qu'il faut savoir lire entre les lignes. Le plus probable, c'est qu'ils entendent indirectement par "gérer" et "normaliser", le fait de permettre permettre aux "handicapés psychiques" d'être inclus à l'égal de leurs pairs dans notre société.

 "il semble bien qu’une constante demeure, celle de faire taire et de mettre au silence les témoignages et la tentative que représente la crie (sic) de folie de trouver un lieu d’adresse. Envers et contre tout la Folie s’exprime à sa manière."

Outre l'habituel procès d'intention, je devrais préciser que je n'ai rien constaté de tel sur les forums où je vais habituellement, bien au contraire. Alors, on me reprochera peut-être que cela reste bien restrictif et, peut-être, que je ne m'aventure pas du côté plus "sécuritaire" de la chose, il n'empêche que cette assertion est tellement fausse que cela en devient outrageant. 

Analysons maintenant la proposition "et la tentative que représente la crise de folie de trouver un lieu d’adresse". Je serais tenté de répondre que selon leur conception, ce "lieu d'adresse" est, selon toute vraisemblance, l’hôpital psychiatrique. Or, si j'en crois les très nombreuses descriptions que j'ai pu lire à ce sujet là où je vais d'habitude, c'est loin d'être un endroit idéal, avec des patients régulièrement gavés de neuroleptiques, souvent pris en charge par de jeunes débutants inexpérimentés et ayant droit à toute une batterie de traitements pseudo-scientifiques sans preuve de leur efficacité. On perçoit ici la véritable motivation du Collectif : derrière un discours de respect de la différence, il sont partisans d'une société ségrégative. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne Alain Gillis, qui a écrit plusieurs articles usant d'une rhétorique aux aspects bizarrement (?) assez droitiers, il le concède lui-même d'ailleurs.

Je continue :

"Cela alors que les méthodes se réclamant d’une pseudo-scientificité s’appuyant sur la biologie ou le comportementalisme ont fait la preuve de leur peu d’efficacité : il n’y a eu aucun progrès significatif dans l’approche thérapeutique malgré les progrès des neurosciences."

Affirmation extraordinaire qui nécessite des preuves extraordinaires : dans le cas de l'autisme par exemple, l'ABA a une efficacité prouvée, bien supérieure à celle de la psychanalyse. C'est un fait. Alors après, on peut toujours discuter du bien-fondé de l'ABA - je suis le premier à le faire - mais là n'est pas la question.


Le paragraphe suivant laisse assez rêveur, dans le genre paille/poutre il fait plutôt fort. Celui d'après :

"Bien plus grave : certains lobbys de parents d’autistes ont obtenu de la HAS la « non recommandation » du packing et de toute approche fondée sur la psychanalyse et la PI. Et même la promesse de généraliser cet interdit de penser à toute la psychiatrie !"

Je rappelle qu'en fin de compte, suite notamment à des opérations de "contre-lobbying", la psychanalyse est classée "non consensuelle" et non pas "non recommandée". On notera d'ailleurs que les parents d'autistes cités ici y sont toujours qualifiés de "lobbys", alors que ces psychoprêtres ne s'interrogent pas sur leur propre lobbying pourtant très conséquent. La dernière phrase est assez douteuse ; même si l'on interdisait toute pratique psychanalytique en psychiatrie, je ne pense pas que l'on pourrait assimiler cela à un "interdit de penser"  et j'ose espérer que celui-ci serait perçu comme anticonstitutionnel, tant mieux d'ailleurs.


Il s’agit à proprement parler d’une déclaration de guerre que l’on aurait bien tort de négliger en croyant qu’elle pourrait cesser à la faveur d’un changement de gouvernement.


Voilà qui me rassure...

Car elle est le symptôme d’une défaite que j’espère provisoire de toute  pensée critique et de la promotion de « pensées » techniques et opératoires qui se prêtent aisément à l’évaluation, à la mesure de la performance et sont ainsi en sympathie profonde avec l’ordre néolibéral. Nous aurions bien tort de croire que ces attaques soient uniquement centrées dans le champ spécifique de notre praxis, alors qu’elles s’appuient sur une conception du monde et de l’humain qui envahit tous les espaces de la société.

Rhétorique habituelle. C'est plutôt bizarre d'ailleurs, parce que ce que moi (et d'autres) veulent, ce sont des soins et une éducation de qualité pour tous, ce qui va à l'encontre de la logique de l' "ordre néolibéral" tel que je le conçois, qui est justement de nous refuser ces services pour peu qu'on ne puisse pas payer derrière. Mais bon, passons...

"Cette nouvelle raison du monde que Pierre Dardot a exposé à l’ouverture de ce colloque ne pouvait qu’entrer en collision frontale avec nos représentations de l’homme en tant que sujet parlant"

Vous n'abordez pas l'individu humain en tant que sujet non-parlant...

"Cette intrication qui est le ressort crucial de notre praxis est absolument antagonique avec l’ordre néolibéral. Et les efforts pathétiques de certains analystes pour inventer des échelles d’évaluation afin de rivaliser avec les TCC sont bien à côté de la plaque d’enjeux bien plus radicaux."

Cf. ma critique ci-dessus.

Le long paragraphe suivant est rempli de blabla psychanalytique, mais donne une idée du genre de divisions qui secoue ce milieu. Passons :

"Sans un acte de foi sans cesse à relancer dans l’inconscient freudien"

Serait-ce un lapsus ? Etes-vous en train de révéler votre vrai visage ? La suite de la phrase est assez ambigüe, elle aussi.


Le reste du texte commence par une remise en contexte historique. Etant donné qu'il est particulièrement long et difficile, je ne reprendrais donc que les passages qui m'intéressent : 

Car il faudra en cabinet comme en institution tenir cette dimension de la fiabilité qui a toujours manqué au patient psychotique ou borderline : que l’on reprenne l’hypothèse winnicottienne de l’agonie primitive et de l’effondrement ou l’hypothèse lacanienne de la forclusion, nous butons toujours sur une zone de catastrophe, une zone de mort psychique au sens de Gaetano Benedetti.

Sans commentaire.

D’où l’importance des lieux de métaphorisation que j’ai évoqués précédemment et qui peuvent permettre aux soignants d’exprimer leurs éprouvés sensibles, voire d’élaborer leur contre-transfert en théorisant leur traversée en se fabriquant une boite à outils métapsychologique. Mais aussi en rencontrant les éprouvés des patients, des familles et de tous ceux qui se sentent concernés par la folie et la souffrance psychique.

Quid de ceux qui sont incapables de "métaphorisation" ?

Des témoignages qui m’ont d’ailleurs atteint et montré à quel point je méconnaissais la gravité de la situation de la psychiatrie, et le retour de pratiques barbares que je croyais sottement révolues.

C'est l'hôpital qui se moque de la charité...

Je vous conseille de lire le texte jusqu'au bout, il est assez difficile, mais vaut le coup car il contient de sacrées perles même en grattant l'enrobage jargonesque.

Par ailleurs, je tiens à préciser qu'à titre personnel, je suis contre tous ces discours droitiers de criminalisation et de stigmatisation, et contre le sécuritarisme. Mais je m'oppose également à l'approche du Collectif des 39. Et oui...

Le KOllectif du 7 janvier

Le KOllectif du 7 janvier est un groupement de professionnels de la pensée, psychiatres, psychologues, enseignants, chercheurs ou encore représentants d'associations de parents d'autistes, qui s'est constitué en réaction à l'interdiction du film le Mur réalisé par Sophie Robert. Son réseau comporte un grand nombre des liens que j'ai présentés précédemment, ainsi que d'autres situés dans l'encart à droite. (attention, toutefois, pour quelques-uns des liens, les contenus qui n'abordent pas directement les questions de l'autisme ou de la psychanalyse peuvent parfois être discutables sur certains points)

Il est également à l'origine du manifeste pour une psychiatrie et une psychologie basées sur des preuves scientifiques, que je vous conseille vivement de signer, si vous vous améliorer la situation française en la matière.

28/10/2012

Interview d'Axel Kahn au moment de l'entretien Onfray-Sarkozy

Pour boucler la boucle, je vous propose de regarder cette vidéo d'Axel Kahn réalisée au moment de l'interview Onfray Sarkozy pour Philosophie Magazine :

http://www.dailymotion.com/video/x8d7gm_287-l-inne-et-l-acquis-selon-axel-k_news

En toute honnêteté, selon moi, la logique de son raisonnement mériterait d'être discutée sur plusieurs points. Ce sera peut-être le but d'un prochain article qui regroupera toutes mes réflexions liées au débat Onfray-Sarkozy de ce moment-là et à la situation française en matière de raisonnements sur ces débats importants.

Pierre-Henri Gouyon - L'inné, l'acquis... et le reste

Il s'agit d'une conférence de Paris VII avec Pierre-Henri Gouyon, généticien français. Elle a été réalisée peu avant les dernières présidentielles françaises, et traite, vous l'aurez compris, de l'inné et de l'acquis - c'est-à-dire de la part des gènes et de l'environnement dans ce qui nous constitue. Attention, la vidéo peut avoir du mal à se charger :

http://www.univ-paris-diderot.fr/Mediatheque/spip.php?article280

Je reviendrai à l'occasion sur ce que je pense du fameux débat Onfray-Sarkozy, ainsi que du rapport à la politique plus généralement, qui peut être un peu plus compliqué, selon les circonstances historiques locales, que ce que laisse entendre cette vidéo.

Attention, toutefois, Pierre-Henri Gouyon est membre du conseil scientifique du CRIIGEN (le groupement auquel appartient Gilles-Eric Séralini, celui qui fut à l'origine d'une étude plus que discutable sur la toxicité des OGM), il n'est donc pas impossible qu'il soit influencé par ses opinions anti-OGM au cours de cette vidéo.


Mythes freudiens, le site de Jean-Louis Racca

Je vous avais déjà présenté précédemment, indirectement, le blog de Jean-Louis Racca sur Mediapart. Voici maintenant son site, intitulé Mythes Freudiens. Certaines anecdotes pourront être à vérifier, mais on y apprend néanmoins quelques choses intéressantes sur le fondateur de la psychanalyse. Cela peut permettre de compléter une lecture d'un Onfray très "à charge".


26/10/2012

Les Nouveaux Psys - ouvrage collectif



Les Nouveaux Psys est un ouvrage collectif publié aux éditions Les arènes, sous la direction de Catherine Meyer (déjà à l'origine du Livre Noir de la Psychanalyse ; on retrouve d'ailleurs beaucoup d'auteurs en commun entre les deux ouvrages) qui vulgarise de nombreuses connaissances et découvertes récentes ou moins récentes en psychologie, au-delà de la psychanalyse encore majoritaire en France à l'heure actuelle.

Il s'agit d'un recueil d'interviews de 37 psychologues parmi les plus réputés au niveau international à l'heure actuelle. Il aborde huit thématiques principales : les origines évolutionnistes de l'esprit humain, le raisonnement, la mémoire, les émotions, la personnalité, le cerveau, l'esprit et les psychothérapies. Pour chacune de ces thématiques, plusieurs psychologues sont interrogés.

Voici les noms des interviewvés qui sont présentés dans l'ouvrage :

Frans de Waal, célèbre primatologue.

Steven Pinker, l'un des rares psychologues évolutionnistes(1) que j'admire, il a notamment écrit un livre parait-il très intéressant sur l'histoire de la violence dans les sociétés humaines. Si je le trouve, je le lis et je le chronique ici.

Robert Plomin, qui étudie l'interaction entre gènes et psychologie.

Emilio Ribes Inesta, pour qui l'esprit lui-même est une interaction.

Robert Sternberg, Howard Gardner et Jerome Bruner étudient l'intelligence.

Noam Chomsky, linguiste de grande envergure et pionnier du cognitivisme. Il est également connu pour ses forts engagements politiques.

James MacClelland, pour qui le cerveau n'est pas un ordinateur.

Philip Tetlock pour le raisonnement et la prévision en politique.

Endel Tulving pour la mémoire épisodique.

Ross Quillian et Allan Collins pour le réseau sémantique.

Elisabeth Loftus, qui s'intéresse aux faux souvenirs.

Paul Ekman et Joseph Ledoux pour les émotions, ainsi que :

Antonio Damasio, auteur de l'Erreur de Descartes, a défendu Spinoza face à Descartes concernant le problème corps-esprit ;

Robert Cloninger, pour qui une grande part de notre personnalité est due à nos gènes ; Jerome Kagan, Mary Rothbart, Walter Mischel et Robert Rosenthal parlent également du tempérament.

David Hubel, Michel Jouvet, Marc Jeannerod, Gerard Edelman et Michael Gazzaniga pour la biologie de l'esprit.

John Searle, à l'origine de l'expérience de pensée de la "chambre chinoise". Une de ses conséquences est que le traitement de symboles n'implique pas forcément la compréhension de leur contenu lui-même. Il s'agit d'une critique du "computationalisme" en sciences cognitives (l'idée que le cerveau/esprit est un ordinateur). Si vous cherchez une critique intéressante et pertinente de certains aspects extrêmes du cognitivisme, tournez-vous vers lui plutôt que vers les psychanalystes.

Daniel Denett, un des quatre grands "nouveaux athées" avec Dawkins, Hitchens et Harris, figure importante du cognitivisme moderne.

Paul Watzlavick, pionnier de la thérapie systémique, d'origine autrichienne.

Albert Ellis, pionner des TCC (thérapies cognitivo-comportementales) avec Aaron Beck.

Jeffrey Young, la thérapie des schémas.

Albert Bandura, la théorie sociale cognitive.

Martin Seligman, la psychologie positive.

David Barlow sur l'anxiété.

Steven Hayes, la thérapie de l'acceptation et de l'engagement.


Il y a aussi plusieurs autres "psys" qui auraient pu être interrogés, mais bon, le livre est déjà assez gros comme ça !


En résumé, il s'agit d'un ouvrage intéressant voire passionnant, assez accessible, et qui entre parfaitement dans la thématique de ce blog. Si vous le trouvez et que vous vous intéressez à la psychologie, n'hésitez pas : prenez-le ! Malgré sa taille relative, il n'est pas très cher.

----------

(1) J'avoue ne pas trop aimer le courant de la psychologie évolutionniste, sinon. J'écrirai peut-être un article dessus, pour détailler pourquoi.



Le Livre Noir de la Psychanalyse - ouvrage collectif



Le Livre Noir de la Psychanalyse est un ouvrage collectif, publié initialement en 2005 (mon édition est celle de 2010 ; une édition de poche est sortie depuis) aux éditions les Arènes, sous la direction de Catherine Meyer. Il s'agit d'un condensé de nombreux points de vues critiques envers la psychanalyse - très souvent inconnus du grand public français - mais également l'histoire de cette discipline et ses plus importants promoteurs historiques.

On y retrouve des noms connus, tels que Jacques Van Rillaer, Jean Cottraux ou encore Mikkel Borch-Jacobsen.


L'ouvrage est divisé en quatre grandes parties (cinq dans la version d'origine) :

la première s'intitule La face cachée de la psychanalyse, et décortique ses mythes et légendes, donne quelques exemples de fausses guérisons, de fabrications de données et de faiblesses sur le plan éthique.

la deuxième a pour titre Pourquoi la psychanalyse a-t-elle eu un tel succès ? et fait un très bref historique de l'expansion de la psychanalyse en France et dans le monde.

la troisième s'intitule La psychanalyse face à ses impasses et critique les idées reçues au sujet du statut scientifique ou thérapeutique de la psychanalyse et montre comment cette discipline a esquivé les critiques qui lui étaient adressées. La dernière sous-partie démonte une longue liste d'arguments couramment utilisés par les psychanalystes pour défendre leur pratique.

la quatrième, enfin, a pour titre Les victimes de la psychanalyse et montre que de ce côté, tout n'est pas rose pour la discipline, loin de là. Sont abordés le cas des enfants autistes, des toxicomanes et des parents.


A vrai dire, c'est LE livre qui m'a fait changer d'opinion à propos de la psychanalyse. Auparavant, je pensais que la psychanalyse était une discipline rigoureuse, qui avait produit beaucoup de savoir utile, et minimisais les critiques de Popper (que je connaissais), me disant naïvement que la question avait été résolue depuis. C'est à cette époque la publication d'un nouveau livre critique de Freud, écrit par Michel Onfray, et ma proximité croissante vis-à-vis des milieux rationalistes et sceptiques - critiques vis-à-vis de la psychanalyse, même lorsqu'ils sont progressistes, ce qui est le plus souvent le cas - qui m'ont poussé à lire ce livre pour en connaître l'argumentation. Au final, ce fut plutôt convaincant. *

Depuis 2005, le livre a aussi, évidemment, été beaucoup critiqué, notamment par la psychanalyste et historienne Elisabeth Roudinesco et d'autres psychanalystes. Sa sortie a déclenché une forte controverse et une réaction virulente dans ce milieu, où l'on a accusé les auteurs d'avoir écrit ce livre dans le but de promouvoir les TCC, voire des idées plus ou moins droitières ; ce dernier point est archi-faux et le premier relève, au mieux, d'un procès d'intention, puisque tous les auteurs du livre ne sont pas apparentés à ce courant, loin de là. Généralement, ces psychanalystes ont préféré user de sophismes et d'accusations injustifiées plutôt que de critiquer le fond en détaillant et explicitant leur point de vue.

A cette époque, Le Nouvel Observateur, magazine auparavant très favorable à la psychanalyse, a, malgré les menaces de "terrorisme intellectuel en peau de lapin" (expression de Laurent Joffrin), consacré un dossier entier intitulé "Faut-il en finir avec la psychanalyse ?" au moment-même de la sortie de l'ouvrage. Roudinesco a refusé de participer au débat qui lui avait été proposé.

Les tentatives de certains psychanalystes de décourager les chroniques du livre dans les média ont, en fin de compte, eu un effet comparable à l'effet Streisand, c'est-à-dire qu'elles ont finalement surtout eu pour résultat d'en augmenter la notoriété.

En résumé, le livre n'est pas parfait, puisqu'il est "à charge", et certains pourront le trouver assez peu nuancé ou peu objectif. Puisqu'il s'adresse au grand public, il n'est pas non plus impossible de rester sur sa faim après l'avoir lu ou de le trouver inutilement expéditif voire péremptoire, dans ce cas il faudrait compléter par une lecture plus "technique" (les liens sceptiques que j'ai présentés précédemment en indiquent plusieurs dans leur partie "bibliothèque" - ou équivalent).

Mais il mérite néanmoins d'être lu, ne serait-ce que pour ses anecdotes et arguments intéressants, si vous n'y connaissez pas grand chose.

------------

* Pour info, je le jour où j'ai acheté Le Livre Noir de la Psychanalyse, pour "équilibrer" j'ai également acheté L'interprétation des rêves de Sigmund Freud. Je me suis rendu compte que le Livre Noir disait vrai à ce sujet : il ne s'agit en effet absolument pas d'un ouvrage rigoureux ; en fait, lorsque Freud émet une hypothèse (par exemple, celle selon laquelle le rêve est toujours la réalisation d'un souhait), au lieu de chercher des contre-exemples qui pourraient réfuter sa théorie, il rajoute des hypothèses ad hoc qui rendent son hypothèse de départ irréfutable (au sens de Popper). Le reste de l'ouvrage est plus ou moins du même tonneau, et on se retrouve à l'arrivée avec une théorie beaucoup plus métaphysique que scientifique.

21/10/2012

Le CorteX

C'est un site sceptique que j'ai oublié de mentionner dans mon article précédent. Il se trouve ici :

http://cortecs.org/

Il est animé par Richard Monvoisin et quelques autres grandes figures du monde sceptique francophone. On y trouve de nombreuses ressources intéressantes.

Attention, toutefois, certains contenus sont très clairement orientés politiquement (à gauche), ce qui pourrait déplaire à quelques-uns. Mais leurs articles qui abordent les thématiques sceptiques classiques (phénomènes dits paranormaux, médecines "alternatives") valent néanmoins le coup d'oeil.

20/10/2012

Sites sceptiques et rationalistes

Comme certains articles précédents le suggéraient déjà, je me sens proches des milieux sceptiques et rationalistes.

Je vont donc présenter quelques liens en rapport avec ce sujet (ils se trouvent déjà dans l'encart sur la droite, pour la plupart) :

L'Observatoire de zététique : Il s'agit d'une association française qui promeut le scepticisme scientifique et la méthode dite "zététique". Elle organise des expériences pour tester l'existence de phénomènes prétendument paranormaux, ainsi que des médecines "alternatives", suivant un certain protocole. Vous pouvez aller jeter un coup d'oeil sur leur forum si vous vous sentez intéressé(e)s, celui-ci mériterait d'être un peu plus animé, de mon point de vue...

Les Sceptiques du Québec : Plus ou moins l'équivalent québécois, mais beaucoup plus important, avec de nombreuses ressources. Comme dans le cas précédent, on n'est pas forcément à l'abri de membres exprimant des opinions parfois douteuses, mais cela reste très intéressant pour peu que vous vous intéressiez au sujet.

Scepticisme scientifique : Le blog de Jean-Michel Abrassart (et de quelques autres qui y ont posté des articles) ; contient des liens vers de nombreux épisodes de son "balado". Lisez plutôt les articles anciens, ils sont intéressants, quoiqu'inégaux.

En anglais :

Pharyngula : Le blog de PZ Myers, très actif, consacré à la défense de l'athéisme et à la critique du créationnisme (avec des images de poulpes au milieu).

FSTDT : un site qui recense toutes les pires citations de fondamentalistes, avec également de nombreux liens vers d'autres sites.

Rationally Speaking : un blog très pointu, plutôt philosophique, avec de nombreux intervenants.

Rational Wiki : un wiki rationaliste et sceptique, inégal mais avec beaucoup d'humour.

The Skeptic Dictionary : le "dictionnaire sceptique" de Robert Todd Carroll. On en trouve une version traduite sur le site des sceptiques du Québec.


Voilà pour aujourd'hui !

15/10/2012

Addendum sur les actions du collectif des 39

Par rapport à cet article précédent. Je viens d'apprendre que le psychiatre et psychanalyste Paul Machto, au nom du collectif des 39, participait au lobbying auprès des ministères. Une de ses lettres, adressée à Laurent Chambaud, coordonnateur du pôle “Santé publique et sécurité sanitaire” au cabinet de Marisol Touraine, actuelle ministre de la santé, vient d'être publiée sur un blog faisant l'apologie du packing. Le contenu possède exactement la même teneur que les articles de Gillis et Delion.

On retiendra qu'il qualifie Autisme France d' "association particulièrement virulente", ce qui fait doucement rigoler, quand même. Je peux comprendre à la rigueur pour Autism Rights Watch (David Heurtevent fait du bon boulot je trouve, mais selon moi il peut avoir une vision un peu noir-et-blanc des choses, peut-être), mais Autisme France, franchement ? Dans ce cas-là, il faut admettre que ça fait une bonne pelletée d'associations qui seraient"particulièrement virulentes" !

J'aimerais aussi savoir ce que Paul Machto entend par "laisser libre cours aux controverses scientifiques et publiques, sans anathème ni "fatwas" ", par hasard...

Rebondissement sur Peillon et le cannabis

Comme vous le savez certainement, dans l'émission de France Inter Tous politiques diffusée dimanche, le ministre de l'éducation nationale Vincent Peillon avait appelé à ouvrir le débat sur la dépénalisation du cannabis. Bien que je partage personnellement certaines de ses positions à ce sujet et apprécie son intention, il n'était certainement pas du ressort d'un ministre de l'éducation Nationale de poser ce genre de débat, et en ce sens j'apprécie également le "recadrage" effectué par le premier ministre Jean-Marc Ayrault à ce sujet, et les précisions que Peillon a lui-même apportées.

La question du cannabis est un sujet complexe dans lequel je ne m'aventurerai pas trop pour l'instant. Sa dangerosité fait débat, selon de nombreuses études il serait légèrement moins dangereux que l'alcool (et dans ce cas, notre politique à son égard relèverait d'une certaine hypocrisie), selon d'autres il favoriserait la survenue précoce de troubles mentaux ainsi qu'une baisse du QI chez les adolescents, mais ces dernières études restent assez controversées ; la recherche doit donc continuer à ce sujet, afin de permettre à tous d'être correctement informés.

D'un autre côté, il est vrai que notre politique est l'une des plus répressives d'Europe et qu'elle est relativement inefficace (nous restons parmi les plus gros consommateurs d'Europe...) ; mais si légalisation il doit y avoir, le cannabis devrait normalement rester sévèrement contrôlé, bien plus que ne le sont le tabac et l'alcool aujourd'hui.

Dans ce contexte, étant donné ce qui a été dit, la réaction de certains, à droite notamment, apparaît quelque peu exagérée ; mais en attendant, c'est bien pratique pour éviter de parler du fond - le projet de refondation de l'école - qui devrait être autrement plus intéressant et important pour l'avenir de la France.

13/10/2012

Quand le collectif des 39 s'enfonce dans les sophismes et la désinformation

Au moment où les députés Gwendal Rouillard et Daniel Fasquelle, soutenus par des parents fortement déçus par le dernier rapport du CESE (Conseil économique, social et environnemental), réclament une commission d'enquête parlementaire sur les coûts de la prise en charge de l'autisme en France et dénoncent le lobbying actif de l'école de la cause Freudienne (deux livres envoyés à chaque parlementaire ! Niveau manipulation, on n'est franchement pas loin d'Harun Yahya et de son "atlas de la Création" envoyé dans toutes les écoles de France...), le Collectif des 39 participe à la contre-offensive engagée par leurs collègues.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le Collectif des 39, il s'agit d'un groupement de psychiatres et de psychanalystes, formé au départ pour s'opposer aux discours sarkozystes sécuritaires de 2008 à propos de la santé mentale. Ils sont également à l'origine d'un appel contre un projet de loi de 2011 concernant notamment les soins sans consentement (ce sont des motifs tout à fait légitimes, quoi qu'on en dise, mais un peu hypocrites comme on le verra après). Ceci passé, le Collectif s'est concentré sur la menace permanente du "sécuritaire", et la défense inconditionnelle de la psychanalyse face à ses adversaires, notamment sur la question de l'autisme, n'hésitant pas à nier en bloc les nouvelles connaissances scientifiques à ce sujet.

Récemment, sur leur site, ils ont d'une part republié un article du psychiatre Alain Gillis (opposé à l' "intégration"* des enfants autistes et qui n'hésite pas à justifier sa position par la rhétorique la plus corporatiste et la plus réactionnaire) déjà publié sur Mediapart le 2 octobre dernier, d'autre part mis en ligne un court article (qui contient d'ailleurs la lettre envoyée par Autism Rights Watch) signé Pierre Delion, notoire promoteur du packing.

Pierre Delion n'hésite pas à qualifier d' "agités du bocal" et d' "extrémistes" "[qui prétendent] régner par la peur et la menace" l'ONG Autism Rights Watch qui se bat pour les droits des personnes autistes en France, alors que son positionnement ne diffère que peu de celui, en moyenne, de dizaines d'associations françaises de défense des personnes autistes et de leurs parents. Tout comme Gillis, il utilise l'argument de la pente glissante, ou le "strawman" ("l'interdiction de penser" pour Delion,"on pourra bientôt envisager de brûler les livres" pour Gillis).

Quant à Alain Gillis, j'espère qu'il saura tenir compte des quelques remarques suivantes :

D'une part, attention à la déformation du débat. En l'occurrence, il ne s'agissait pas que de parler du packing ou même simplement de critiquer son interdiction, mais d'en faire la promotion. De plus, contrairement à ce que lui et Delion affirment, il s'agit de méthodes tout à fait démocratiques qu'Autism Rights Watch a mises en oeuvre. Cette conférence n'a pas été interdite par l'Etat ; ce sont ses propres organisateurs qui ont choisi de l'annuler. S'ils ne l'avaient pas fait, leurs adversaires n'auraient fait qu'exercer leur droit à la liberté d'expression. Ceux-ci considèrent que le packing est non seulement une pratique au mieux inefficace, mais aussi une atteinte majeure aux droits des autistes. Dans ce cadre, leur action est donc tout à fait compréhensible. Pour faire une comparaison, si une réunion faisait la promotion du racisme ou de la pédophilie, ou si une conférence soutenue par l'argent public faisait la promotion du charlatanisme le plus grotesque et le plus évident, j'ose espérer que Gillis s'y opposerait lui aussi.

On est donc loin d'une interdiction par la justice, comme cela a été le cas avec le film de Sophie Robert sur la psychanalyse, Le Mur. Sempiternel problème de la paille et de la poutre, ou du deux poids deux mesures pour être plus laïc. Celui-ci va revenir.

Il y a aussi un point où Gillis commet une erreur lourde. Je le cite : "Ne pas pouvoir parler de ce qui est interdit, voilà qui est une petite nouveauté. Il faut supposer qu’une réunion à propos de l’usage du hachish, ou à propos de l’euthanasie, ou des mères porteuses, ou de la prostitution, etc… toutes ces choses interdites ne devraient plus être évoquées de crainte qu’elle ne fassent « propagande ». Merci à tous ces surveillants de la pensée, vraiment zélés…" 

Il sous-entend ainsi que les adversaires du packing sont des conservateurs, ou semblables à eux. Or ceux qui sont favorables à l'interdiction du packing sont loin d'être nécessairement favorables à l'interdiction de toutes les choses qu'il cite. Moi-même, par exemple, je suis (dans une certaine mesure) favorable à la légalisation de toutes ces choses-là. Et contre le packing. Et je trouve ce type de positionnement infiniment plus cohérent que celui qui semble être celui de Gillis (je suppose, mais étant donné qu'il n'a pas cité dans sa liste le racisme ou autres choses interdites et que la gauche n'aime pas, il semble donc insister sur un point de vue et témoigner d'une vision partiale et partielle de la liberté d'expression).

Je trouve mon positionnement très cohérent pour plusieurs raisons :

D'une part, j'ose avouer que les psychanalystes membres du Collectif des 39 me paraissent semblables à des hypocrites et des tartuffes lorsqu'ils prétendent lutter contre le sécuritarisme en psychiatrie. En effet, qu'est-ce que le packing sinon une pratique sécuritaire, visant à "calmer" des enfants turbulents en leur faisant subir une baisse de leur température corporelle grâce à un linge humide et souvent froid, appliquée sans le consentement de ces enfants mutiques (évidemment, quoi que vous en disiez !), ni même, souvent, de celui de leurs parents ? Bien sûr, ils cherchent à se défendre par une batterie d'arguments verbeux concernant cette pratique et en disant que ce qu'ils font n'est "pas pire" que ce que font leurs adversaires... Même si c'était vrai, ce genre d'argumentation resterait bidon. Si les théories comportementales débouchaient sur des excès, je serais le premier à les dénoncer.

D'autre part, et cela rejoint le point précédent, je suis favorable au libre choix des individus dans leur vie personnelle - et le packing tel qu'il est appliqué dans les hôpitaux va à l'encontre de ce principe.

J'irais même plus loin : on peut légitimement s'interroger sur la mesure dans laquelle, par exemple, la gestation pour autrui est compatible avec la psychanalyse. Parce que celle-ci tend à penser que tous les troubles mentaux ont leur origine dans la psychologie de la famille et celle de la mère en particulier, cela offre un alibi en béton pour les psychanalystes lorsqu'un enfant né de mère porteuse présente des "difficultés" (a fortiori dans le cadre d'un couple homosexuel, ou "évidemment" l'Oedipe ne peut pas avoir lieu correctement, avec la place qu'occupe la différence des sexes des parents dans le développement de l'enfant selon la théorie psychanalytique), on peut ainsi toujours citer les sentiments de la mère ou le rapport avec la gestatrice. De fait, il y a au moins autant de psychanalystes contre la GPA que de favorables. Et je me dis que ceux qui y sont favorables, comme souvent, se justifient à l'aide d'arguments davantage dignes de théologiens que de scientifiques (même sociaux) méritant ce nom.

Cela fait beaucoup d'arguments très critiquables en si peu de texte, en fait. Mais ne nous cachons pas que quant au reste, la lutte continue ; la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. Et tutti quanti.

*Les militants pour les droits des autistes préfèrent généralement le terme (et le concept) d' "inclusion" : la différence est que l'intégration part du principe que c'est l'enfant différent qui doit faire des efforts pour s'adapter au milieu éducatif, tandis que selon une approche inclusive, c'est le milieu éducatif lui-même qui doit s'adapter aux enfants différents. Ainsi, d'une certaine façon, on peut dire que l'inclusion est à "gauche" de l'intégration.

Freud aurait-il abandonné le concept d'inconscient à la fin de sa vie ?

A l'heure où Jean-Louis Racca écrit une série de billets sur l'inconscient et ses mythologies, je lis un vieux numéro (avril 2012) de Sciences humaines, dont l'un des articles est consacré à Freud et à la notion d'inconscient. Selon celui-ci, Freud aurait finalement décidé d'abandonner le concept d'inconscient vers la fin de sa carrière, et n'aurait pas été suivi par ses successeurs dans cette direction. On peut alors légitimement se demander : même si Sciences humaines est une revue de vulgarisation qui n'est pas forcément très connue du grand public dans son ensemble, comment se fait-il que cet article n'ait pas fait davantage de bruit ?

La réponse, mes amis, est la suivante : on a ici affaire à un pur effet "peau de chagrin" au sens où le définit Richard Monvoisin. C'est-à-dire qu'on nous laisse miroiter quelque chose de renversant, pour au final retomber sur nos pattes. Ici donc, Freud aurait abandonné le concept d'inconscient, un peu trop "fourre-tout" (ce qu'on ne peut nier, en effet !) pour... la pulsion, le Ça, puis des aspects de l'entière triade Moi-Surmoi-Ça. C'est à dire la seconde topique. C'est une "clarification" du concept d'inconscient, mais en aucun cas son abandon. Cependant, ce que ne précise pas l'article, c'est que ces concepts sont à peine moins ambigus que celui d'inconscient "tout court".

Un exemple parmi d'autres : les psychologues modernes ont dégagé cinq dimensions principales à la personnalité ; grossièrement, l'ouverture d'esprit, la "conscienciosité", l'extraversion, l'agréabilité et la stabilité émotionnelle. Faites un calcul rapide : trois entités (Moi-Surmoi-Ça) ne peuvent pas expliquer cinq grands traits de personnalité plus ou moins indépendants (ça peut changer théoriquement si on inclut la pulsion de vie et la pulsion de mort comme entités indépendantes, mais je vois mal les corrélations possibles, personnellement...).

Au final, on a donc un article assez décevant, qui aborde la psychanalyse à un niveau très basique. L'article doit pouvoir être disponible assez facilement en ligne de toute façon, je pense. Son mérite, néanmoins, est de souligner que la notion d'inconscient est très ambiguë, souvent utilisée à tort et à travers et appropriée par des psychanalystes moins talentueux que Freud, qui en ont fait un concept encore plus ambigu.

Ah oui, au fait, depuis le temps, il faudrait que je fasse une suite à mon article La psychanalyse est neurotypiste, partie I, qui aborde le thème de ce simplisme de la triade Moi-Surmoi-Ça.

12/10/2012

Théorie de la Justice, John Rawls


Théorie de la justice de John Rawls, publié en France aux éditions du Seuil, est un livre que j'ai acheté il y a déjà pas mal de temps (en pensant que j'allais faire une bonne affaire en achetant 11 € un livre de 600 pages écrites en petit...).

Pour commencer, John Rawls est un philosophe américain, qui a enseigné dans de nombreuses universités prestigieuses de la côte Est américaine (Princeton, Harvard, etc). Son oeuvre se centre sur le libéralisme politique - au sens américain - et l'idée de justice en particulier.

Dans Théorie de la Justice, qui restera comme l'un des ouvrages les plus commentés de la seconde moitié du vingtième siècle, il expose, comme son nom l'indique, sa conception de la justice.

Il voit ainsi la justice comme équité ("justice as fairness"), et, dans la tradition du contrat social, se base sur le concept de "position originelle", une abstraction où toutes les différences entre les hommes seraient effacées, et ceux-ci ne connaîtraient pas leur position réelle dans la société, cachés qu'ils sont derrière un "voile d'ignorance". Dans ces conditions, la conception d'une société juste adoptée par l'individu moyen devrait suivre le principe du "maximin", c'est-à-dire maximiser les perspectives des membres les moins fortunés.

Au bout du compte, deux principes de la justice seraient adoptés :
le principe d'égale liberté est le suivant : « Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de liberté pour tous », quant au second : « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions d'égalité  équitable (fair) des chances (a), et elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. (b, principe de différence) ».

Le premier principe couvre par exemple la liberté de participation politique, la liberté d'expression, de conscience, la possession personnelle et la protection contre l'arbitraire. De façon intéressante, ce premier principe ne couvre pas la propriété privée des moyens de production ni la liberté contractuelle. Au delà d'un niveau basique de développement économique, ce principe a la priorité sur le suivant.

Dans le deuxième principe, (a) a la priorité sur (b). L'égalité équitable des chances est une conception beaucoup plus exigeante de l'égalité des chances que celle utilisée généralement dans le débat courant. Il est aussi important de noter que d'après Rawls, on ne "mérite" pas ses dons naturels.

Rawls s'oppose par ailleurs à l'utilitarisme classique, qu'il considère comme excessivement conséquentialiste, voire machiavélien.

Le livre a été discuté et critiqué de tous bords, ce qui devrait suffire à vous faire comprendre l'influence qu'il a eu dans le débat à ce niveau-là. A noter qu'il existe des interprétations très diverses de Rawls, et qu'on l'a placé aussi bien à l'extrême-gauche qu'au centre-droit.

Je tiens à vous prévenir toutefois : le livre en lui-même est intéressant, mais il est très dense, et est à réserver aux purs fans de philosophie et/ou de politique qui au moins quelques notions des deux, ou même d'économie. Ou à ceux qui font des études de philosophie politique, ce qui est logique.

L'ouvrage a été traduit par Catherine Audard, qui avec Monique Canto-Sperber est l'une des principales figures du libéralisme social français. Je possède d'ailleurs son livre sur le libéralisme, et il est intéressant, loin des clichés répandus par les uns et les autres.

J'écrirai peut-être un prochain article, non exempt de remarques, sur une possible conception "rawlsienne" du handicap et de l'autisme en particulier.

09/10/2012

Au secours, mes parents sont psys ! dans Marianne

Des bouts de récits venant de familles de psychoprêtres, et la présentation d'un bouquin sur les enfants de "psys", dans Marianne. Cela vaut ce que ça vaut, attention :

http://www.marianne2.fr/Au-secours-mes-parents-sont-psys%C2%A0_a223241.html

Addendum : Igor Thiriez a aussi parlé de ce livre il y a déjà quelques mois. Je vous invite à lire sa critique ici :

http://igorthiriez.wordpress.com/2012/08/21/marion-mari-bouzid-les-enfants-de-la-psychanalyse-2012-%E2%99%A5%E2%99%A5%E2%99%A5%E2%99%A5/


Proposition

A compter d'aujourd'hui, je propose de remplacer le mot "psychanalyste" par "psychoprêtre" (j'aimais bien aussi "prêtre de l'inconscient", mais je trouvais ça trop long...)

edit : finalement, c'était trop dur pour moi de faire le pas. Mais si quelqu'un veut bien tenter l'expérience, qu'il me fasse signe !

08/10/2012

The autist, le blog de Magali Pignard

Magali Pignard est une agrégée de physique, mère d'un enfant autiste. Elle a assez récemment été diagnostiquée Asperger elle-même.

Son blog, régulièrement mis à jour, contient de nombreux articles sur les difficultés que les parents d'enfants autistes peuvent avoir pour faire scolariser leurs enfants, en France. (attention toutefois, de tous les blogs que je connais sur ce sujet, c'est probablement le plus déprimant, au sens littéral du terme...)

Il se trouve ici :

http://blogs.lexpress.fr/the-autist/

07/10/2012

Jean-Philippe Rushton est mort

Au cas où vous n'auriez pas entendu parler de lui, Jean-Philippe Rushton, qui est mort d'un cancer mardi dernier à l'âge de 68 ans, était un universitaire très controversé, qui promouvait des idées racistes.

Il prétendait notamment établir des corrélations inverses entre l'intelligence et la taille des appareils génitaux, pour expliquer le "fait" que les asiatiques étaient plus intelligents que les blancs qui eux-mêmes étaient plus intelligents que les noirs.

En 2002, il devint le président du Pioneer Fund, qui a pendant des décennies financé des recherches très douteuses liant la "race" à des caractéristiques telles que la criminalité, la sexualité et l'intelligence. Le Pioneer Fund a également longtemps promu l'eugénisme, ou la "science" ayant pour but de créer de "meilleurs" humains grâce à la reproduction sélective. Fondé en 1937 et dirigé par des sympathisants nazis, le groupe s'efforçait d' "améliorer le caractère du peuple américain" par l'eugénisme et la procréation entre blancs d'origine européenne. Pioneer a depuis généreusement financé un grand nombre de "théoriciens raciaux" qui cherchaient à prouver scientifiquement l'inégalité des races, idée réfutée depuis longtemps par la plupart des scientifiques.

Au final, beaucoup d'universitaires américains jugent que son bilan n'a pas été très brillant, et très peu ont vraiment osé le défendre.

Si vous comprenez l'anglais, je vous invite à lire cet article :

http://www.salon.com/2012/10/06/leading_race_scientist_dies_in_canada/

Evidemment désolé qu'il soit mort d'un cancer, mais je trouve encore plus désolant qu'il ait gâché la majeure parte de sa vie à empoisonner le débat avec des absurdités racistes. Dommage...

06/10/2012

La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? Philippe Corcuff


J''ai finalement acheté le petit livre La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? de Philippe Corcuff, sociologue français qui milite depuis longtemps à gauche, aux éditions Textuel.

Sans lien direct avec les thématiques de ce blog, ce livre contient à mon avis des idées intéressantes, à la fois - indirectement - pour critiquer le discours de certains psychanalystes  (je pourrais faire un article dessus, d'ailleurs), et se débarrasser de modes de pensée d'une "gauche radicale" stéréotypée, donc indirectement, critiquer des raisonnements "défectueux".
La thèse de l'auteur est que la gauche française a gagné alors qu'elle était intellectuellement moribonde. Cela peut sembler paradoxal avec le développement des think tanks et autres cercles de réflexion, mais d'après lui, ceux-ci ne sont que des symptômes de la professionnalisation et technocratisation de la politique, droite comme gauche, qui a abandonné toute vision globale et cohérente.

Après une très courte partie I, sorte de liaison entre l'introduction et le reste, l'auteur détaille en partie II les penchants qui l'irritent dans la gauche radicale française actuelle. Les principaux :

- la tendance au complotisme : passage assez pertinent (vous le savez sûrement déjà, mais les théories du complot n'existent pas qu'à l'extrême droite). Je ne vous cache pas que c'est quelque chose qui tend aussi à m'agacer, dans la gauche radicale actuelle. Visiblement, l'auteur est critique vis-à-vis des positions politiques de Chomsky, qu'il décrit comme étant à la limite du complotisme, voire incarnant un complotisme "soft" (qu'il oppose au complotisme "hard", le négationnisme par exemple).
Bien que l'auteur, en opposition, mette évidemment l'accent sur les logiques "impersonnelles", institutionnelles et sociales, qu'il essaie de mettre en avant, cela ne l'empêche pas de garder un rôle à l'intentionnalité. C'est une vision dans laquelle je me reconnais assez.

- l'essentialisme : ici, l'auteur dénonce l'emploi de termes qui renvoient à des généralités, dans les deux sens du terme. Il critique les positions de Caroline Fourest et d'autres, qu'il juge "laïcardes", critiques vis-à-vis de l' "Islam" en ignorant les multiples réalités que recouvre ce terme. C'est un point qui est peu développé ici. Dans un autre passage plus réveillant pour moi, il critique aussi les positions-"miroirs" de Terra Nova et de sa rivale Gauche Populaire, qui selon lui oublient que le terme "populaire" recouvre des réalités diverses.
Bref, le chapitre oscille entre conseils de très bon aloi et d'autres peut-être plus critiquables, selon la sensibilité de chacun, mais reste intéressant et pertinent tout du long.

- la tendance à privilégier le politique par rapport à l'expérimentation sociétale : je reproche souvent en effet à la gauche radicale de vouloir faire la révolution sans savoir où elle va, en pensant que le processus révolutionnaire engendrerait des conditions qui se dépasseraient d'elles-mêmes. On a pu voir par le passé où cet état d'esprit nous a mené (même s'il est vrai qu'on est plus modéré qu'autrefois).
Contre cela, Corcuff réhabilite l'expérimentation sociale, et je suis plutôt d'accord. La fin de ce court chapitre aborde de façon pertinente le langage, même si j'ai quelques réserves.

- le collectivisme : un point intéressant. Corcuff rappelle que la gauche est historiquement individualiste et il critique l'anti-individualisme primaire d'une partie de la gauche radicale. A notre époque hautement individualiste, la gauche devrait nourrir un individualisme positif plutôt que de sans arrêt critiquer l' "individualisme".

La partie III est consacrée aux impensés de la gauche, on y aborde le rapport au temps, la décroissance, la professionnalisation de la politique, les "laïcards", le rapport aux médias...
Plus inégal, à vrai dire. Selon moi, Corcuff a raison de dénoncer la tentation de la nostalgie et de l' "avant-gardisme léniniste" (tendance un peu paternaliste qui consiste à croire qu'on connaît mieux le bien des opprimés qu'eux-mêmes), mais il faut faire le tri sinon. Parfois, on a même l'impression qu'il se contredit*.
J'ai des réserves sur sa critique de la technocratie (mais je la trouve pertinente pour dénoncer le risque d'une nouvelle dérive bureaucratique) : selon moi, la politique n'est pas qu'une affaire d'opinions, mais aussi de compétences, et ainsi il n'est pas inutile de créer des petits groupes d'experts par thématique, tout dépend comment c'est organisé. Mais il a raison de souligner que le système politique devrait être repensé pour éviter la professionnalisation à outrance.

En résumé, c'est un petit livre qui se lit vite. Si vous êtes de gauche, quelque soit votre sensibilité, je vous invite à le lire, juste histoire de vous faire une opinion et peut-être de le critiquer sur un point ou un autre.

*Par exemple, il soutient la discrimination positive, ce qui me semble en contradiction avec sa dénonciation de l'essentialisme.

05/10/2012

le blog de Feel O'Zof

Feel O'Zof est un blogueur québécois affilié à la blogosphère sceptique francophone qui, comme son nom l'indique, parle de philosophie sur son blog, en particulier de philosophie morale et éthique. Il poste à l'adresse suivante :

http://chezfeelozof.blogspot.fr/

Adepte d'une éthique utilitariste au sens des Lumières (pas au sens péjoratif moderne), il adopte volontiers des points de vue que l'on pourrait qualifier de "provocants" - sur certains points, j'ai de petites réserves -, mais qui sont toujours à la fois pertinents et originaux. C'est par ailleurs quelqu'un doté d'une grande ouverture d'esprit, c'est quelque chose qu'on ne peut lui nier.

Allez, faites un tour sur son blog et dites-moi si cela ne stimule pas votre réflexion !

Bioéthique, Daniel Borrillo


Bioéthique, du juriste Daniel Borrillo (éditions Dalloz), est un petit livre qui traînait depuis déjà pas mal de temps dans ma bibliothèque.

Il aborde la bioéthique surtout du point de vue du droit (la seconde moitié de l'ouvrage est toute entière consacrée aux textes français et internationaux sur la bioéthique jusqu'en 2011... mais après tout, nul n'est censé ignorer la loi !), mais reste tout à fait accessible aux non-initiés pour peu qu'ils s'intéressent aux enjeux philosophiques et politiques concernant cette question.

L'auteur commence par détailler l'histoire juridique de la bioéthique en France, puis décrit les différentes philosophies idéologies à ce sujet ; elles sont au nombre de quatre selon lui :

- le courant constructiviste, fondé sur l'éthique immanente, est en gros le courant libéral moderniste, basé sur la liberté individuelle et une éthique utilitariste, associé politiquement à la gauche "sociétale" et à une partie des libéraux authentiques.

- le courant essentialiste, fondé sur une éthique transcendante, est le courant conservateur d'inspiration traditionnelle religieuse (surtout catholique dans les pays francophones, mais les protestants évangéliques américains ne tiennent pas un discours significativement différent), qui se base sur la "loi naturelle". Associé à la droite conservatrice.

- le courant néo-traditionaliste est, dans les faits, assez semblable au précédent, mais utilise une rhétorique "modernisée", qui prétend s'inspirer davantage de l'anthropologie, de la psychanalyse, et même de préoccupations de "gauche" telles que la dénonciation de l'individualisme et de la marchandisation. Associé aujourd'hui à une grande partie de l'opinion de droite et de centre-droit, il était répandu même au centre-gauche jusqu'à récemment.

- le courant du juste milieu, encore appelé "orléanisme de gauche" se veut une voie moyenne entre les premier et troisième (voire deuxième) courants. Par certains aspects, il correspond effectivement au sophisme du "juste milieu". Initialement associé à la gauche parlementaire et au centre-gauche, sa version initiale, qui a depuis conquis une bonne partie de l'opinion centriste et même de droite, a un peu vieilli, et il a depuis plusieurs fois tenté de se moderniser. L'auteur critique ce courant, mais je ne le trouve pas inintéressant non plus.


Il critique également le dispositif français, qu'il décrit tout au long des troisième et quatrième parties comme étant empreint d'une idéologie grossièrement paternaliste, conservatrice, chrétienne et familialiste - avec toutefois quelques nuances, selon les courants -, et qui évolue en fait relativement peu au cours du temps, à cause de pressions de toutes sortes, venues de tout l'échiquier politique.

Il y a des points ou je suis en désaccord avec l'auteur (par exemple sur l'anonymat du don de gamètes, où il critique les raisonnements certes discutables de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, mais qui est réputée plutôt progressiste, favorable à l'homoparentalité et à la gestation pour autrui, par exemple ; et sa critique d'Irène Théry est aujourd'hui dépassée), mais ce tout petit livre reste une lecture intéressante et hautement recommandée, utile pour stimuler votre réflexion à ce sujet. Attention, toutefois, les non-français pourraient le trouver un peu trop franco-centré.

Au prix modique de 3 €, si vous tombez dessus, ne vous privez pas.

03/10/2012

Le blog a une page facebook

C'est donc ici :

http://www.facebook.com/inneacquiscorpsesprits

J'y mettrai des liens vers des articles d'autres blogs que je trouve intéressants, si l'occasion se présente.