19/03/2016

Luce Irigaray et la vitesse de la lumière

A l'heure où un papier de glaciologie féministe et postmoderne se fait démonter en ligne, c'est à une vieille affaire que tout cela me fait penser.

En effet, d'après l'ouvrage de Sokal et Bricmont, Impostures intellectuelles, la philosophe et psychanalyste française Luce Irigaray aurait écrit la phrase suivante : « L’équation E=mc² est-elle une équation sexuée ? Peut-être que oui. Faisons l'hypothèse que oui, dans la mesure où elle privilégie la vitesse de la lumière par rapport à d’autres vitesses dont nous avons vitalement besoin… »

Je ne pense pas être le seul à ne pas comprendre en quoi cela en ferait une équation "sexuée", mais passons. Le problème est que je n'arrive pas à retrouver le contexte de la citation d'origine, car on peut lui donner au moins deux interprétations. La première, la plus délirante, remet en cause la validité-même de l'équation parce que celle-ci serait "sexuée". Mais il est également possible de lui donner une interprétation plus charitable, à savoir que définir c comme la vitesse de la lumière serait "sexué".

Soyons clair d'emblée, ce n'est pas ce que je ferai ici. L'ironie de la théorie d'Irigaray est de postuler, de façon tout à fait gratuite par ailleurs, une différence fondamentale entre les hommes et les femmes en matière de perception de réalité, différence qui n'a jamais été attestée par aucune étude pour le moment.

Mais il n'empêche que le problème de la construction du savoir en sciences soit un problème réel, et même une science aussi "dure" que la physique n'y échappe pas. Pensons à l'apparente impossibilité de vulgariser la mécanique quantique de façon compréhensible. Mais cette critique doit être faite de façon informée, et pas de manière extérieure.

Ici, il y a un point qu'il s'agit de clarifier absolument : la constante c n'est pas la vitesse de la lumière. D'une part, parce que sur Terre, la lumière se déplace à des vitesses légèrement inférieures à c, pour tout un tas de raisons physiques que je ne détaillerai pas ici. D'autre part, parce qu'il y a d'autres objets physiques qui se déplacent à la vitesse c, comme les ondes gravitationnelles par exemple. Enfin, le concept-même de lumière est une construction objective.

On pourrait penser - de façon tout à fait légitime par ailleurs - que parler de vitesse de la lumière est discriminatoire envers les personnes malvoyantes. Quelque peu agacé par les Social Justice Warriors, et n'étant pas particulièrement fan du politiquement correct à outrance, ce n'est pas cet argument-là que je retiendrai. Reste que le concept de lumière est à la fois flou et anthropocentrique. Le terme de "lumière" désigne habituellement la lumière dite "visible", située entre 400 et 700 nanomètres de longueur d'onde, soit une toute petite portion du spectre électromagnétique, c'est-à-dire l'ensemble des fréquences du rayonnement électromagnétique. Ce dernier est un phénomène physique fondamental, dont l'expression est loin de se réduire à la seule lumière visible ; et ce, bien que dans le langage courant, les ondes radio, les rayons X ou gamma ne soient pas considérés comme de la lumière à proprement parler, alors qu'il s'agit pourtant d'une facette différente du même phénomène physique. De fait, la vitesse c régit nombre de phénomènes qui, dans notre perception commune, n'ont rien (ou peu) à voir avec la lumière, tels que la taille des atomes, la vitesse des neurotransmissions ou l'émission de chaleur, par exemple.

Pour finir, la lumière se déplace différemment selon les indices de réfraction. Pour faire simple, on peut donc dire que c est la vitesse (ou célérité) de propagation des ondes électromagnétiques dans le vide (ce dernier point est très important).

Tout ça pour dire que sur le fond, tout ce questionnement n'est pas idiot, mais qu'il convient de se pencher sur les catégories vraiment pertinentes pour notre compréhension d'un phénomène donné, et ne pas partir sur des spéculations post-modernes mal étayées et à n'en plus finir.