31/07/2020

Sur la ROPA

Alors que les députés sont actuellement en train de débattre de la nouvelle loi bioéthique, et alors que le site Les Mots Sont Importants (avec lequel je n'ai pas spécialement d'affinité idéologique particulière, par ailleurs) a récemment publié un article sur la question, et que le sujet est parfois âprement débattu sur les réseaux sociaux, je me suis dit qu'il était grand temps de donner mon avis dessus.

Tout d'abord, qu'est-ce que c'est, de quoi s'agit-il, et pourquoi en parle-t-on ?

La ROPA, acronyme pour Réception de l'Ovocyte de la PArtenaire, est une technique d'assistance médicale à la procréation (AMP) destinée typiquement à un couple de femmes (il peut aussi s'agir de personnes transgenres et/ou non-binaires), dans laquelle une des deux personnes fournit un de ses ovocytes, qui sera ensuite fécondé par le spermatozoïde d'un tiers donneur, puis transféré dans l'utérus de sa partenaire.

En ce qui me concerne, j'y suis favorable (ou du moins, je n'y suis pas opposé) d'une part parce que cette pratique ne pose de tort à personne - elle n'est pas si difficile que cela à expliquer pour un enfant, et n'est pas non plus incompatible avec l'accès aux origines - et d'autre part parce que les arguments du camp d'en face sont quasiment tous plus fallacieux les uns que les autres. Mais je considère aussi que cette question mérite mieux que d'être l'enjeu d'un affrontement binaire entre conservateurs (ou même « modérés ») d'un côté et identitaristes à la Borrillo[1] de l'autre, et j'aimerais apporter un autre point de vue sur la question.

L'article de LMSI présente (et dénonce) un certain nombre d'arguments en défaveur de la ROPA. Analysons-les de plus près.

Il y a tout d'abord l'argument du risque médical. Mais, même si cet argument était avéré, il y a tout un tas d'autres pratiques « non-nécessaires » qui sont associées à des risques médicaux, y compris en AMP. Le seul argument qui me semble valable est celui du risque pour la santé de l'enfant, mais d'une part, d'après LMSI (donc à vérifier), aucune étude n'a jamais démontré la dangerosité de cette pratique, d'autre part, même si tel était le cas, ce serait toutes les pratiques de fécondation in-vitro (FIV) qu'il faudrait ainsi remettre en cause.

Ensuite, il y a l'argument de la « pente glissante », selon laquelle cette pratique ouvrirait la porte à de « graves dérives » (Thibault Bazin, LR). Peut-être fait-il référence à la gestation pour autrui (GPA) ? C'est fort possible, étant donné que l'argumentation ultérieure de LMSI donne elle-même du grain à moudre à cette interprétation (qui a dit « balle dans le pied » ?). Mais c'est un autre débat.

D'autres, comme Agnès Buzyn, considèrent que cette technique ouvrirait la voie au don de gamètes dirigé, ce qui remettrait en cause l'anonymat du don. Cette pratique serait donc à interdire au nom du principe d'anonymat ![2]

De plus, cette assimilation de la ROPA à une GPA ou à un don dirigé (et son interdiction parce qu'assimilée en tant que tel-le) ne peut sérieusement être maintenue que par l'adhésion rigide et irréfléchie à des principes considérés comme intangibles, voire avec de la simple mauvaise foi. La vraie raison de cette opposition, je pense, est que cette pratique serait probablement perçue par ses adversaires comme « trippesque » ou « communautariste », c'est-à-dire rejetée pour des raisons, en réalité, implicitement lesbophobes.

En revanche, contrairement à LMSI, je ne suis pas particulièrement offusqué de voir la ROPA décrite comme un don (au sein d'un couple), parce que les problématiques qu'elle soulève sont en réalité très similaires à celles du don d'ovocytes.

Il y a notamment l'idée que la ROPA constituerait un bouleversement de notre concept de parenté biologique, ce qui est déploré par les conservateurs et les « modérés » tout en étant, précisément pour cette raison-là, revendiqué par les identitaristes, en particulier sur les réseaux sociaux. En réalité, rien n'est plus faux[3].

Qu'est-ce qu'un parent biologique ? C'est celui/celle qui transmet 50 % de son ADN à son enfant. La notion de parent biologique est donc équivalente à celle de parent génétique. Bien entendu, cela ne remet pas en cause l'influence biologique éventuelle de la gestatrice (épigénétique, régime, stress, etc...), mais tout ce dont la base est génétique (en particulier, le groupe sanguin et les maladies génétiques) provient du seul parent biologique. Comme on peut le voir avec ces exemples, la ROPA ne bouleverse pas notre vision de la parenté biologique, pas davantage que le don d'ovocytes auparavant.

Ainsi, la ROPA ne devrait pas être envisagée comme un moyen d'avoir « magiquement » une relation génétique vis-à-vis de ses propres enfants, comme certaines personnes ont l'air de le penser, ce qui peut être facilité par le silence des médecins au nom du « politiquement correct ».

Alors que d'un autre côté, les personnes conçues par don ont besoin d'une terminologie précise pour se construire et envisager leur existence. Essayer de manipuler le langage pour faire croire que ces personnes seraient biologiquement liées à leurs parents non-biologiques est une imposture, et le faire valoir pour combler un besoin émotionnel, alors que l'accès à des données médicales pertinentes peut être une question de vie ou de mort, est certainement déplorable.

J'irais même jusqu'à dire que ce manque de précision est probablement le signe d'un malaise persistant[4] vis-à-vis du manque de relation génétique avec ses propres enfants[5], alors que cela n'amoindrit pourtant d'aucune manière ni le rôle de parent, ni l'importance de la grossesse et de l'accouchement. Avant de discuter avec son enfant de la façon dont il a été conçu (idéalement, ce devrait être le plus tôt possible), il est important, pour un parent, d'accepter ce manque de relation biologique avec lui.

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[1]Un peu de terminologie, pour commencer.

Les opinions sur la PMA offrent un large éventail de positions, depuis les conservateurs traditionnels d'inspiration religieuse, qui s'opposent à toute évolution en la matière (LMPT), les défenseurs sincères des droits de l'enfant mais à tendance conservatrice sur la question (Jean-Pierre Rosenczveig, par exemple) les « modérés », qui acceptent certaines avancées mais restent frileux sur certains sujets tels que la ROPA, les droits des trans, la PMA post-mortem et/ou la GPA (le gouvernement et la plupart des membres de la majorité actuelle LREM) les modernistes-pragmatiques équilibrés et pro-droits de l'enfant (Irène Théry, PMAnonyme et les autres partisans de la RCA), les modernistes-pragmatiques à tendance identitariste (la plupart des opposants à la RCA regroupés au sein du « Collectif PMA ») et enfin les identitaristes radicaux, opposés à toute levée de l'anonymat (qui se définissent souvent comme « féministes matérialistes » sur les réseaux sociaux).

Ici, je considère que les autrices de l'article se rangent implicitement, sinon du côté des identitaristes radicaux, du moins de celui des modernistes-identitaristes, puisqu'elles citent à plusieurs reprises les propos de l'intellectuel franco-argentin à l'appui de leur argumentaire.

[2]Un point que certain-e-s identitaristes ont d'ailleurs eu tendance à souligner pour dénoncer ce qui, selon eux, démontrerait l'hypocrisie des « modérés ». En ce qui me concerne, je suis contre l'anonymat, mais je considère aussi que celui-ci devrait être dénoncé avec cohérence, et que critiquer la ROPA au nom du principe d'anonymat, c'est s'attendre à susciter ce genre de réactions.

[3]En particulier, je vous renvoie à cet excellent article du Donor Sibling Registry, dont je me suis beaucoup inspiré pour écrire cet article.

[4]D'ailleurs, chez certain-e-s identitaristes radicales, je constate souvent un rapport à la biologie à géométrie variable, à savoir prétendre que la biologie n'est pas très importante lorsqu'il s'agit de défendre l'anonymat des donneurs, tout en rappelant l'importance de celle-ci lorsqu'il s'agit de défendre la ROPA et/ou de pouvoir choisir un donneur d'une ethnie donnée.

[5]Mon expérience avec des personnes conçues par don est que beaucoup d'entre elles se considèrent comme adoptées avant même leur conception. Bien sûr, on peut ne pas être d'accord avec ce point de vue, mais il faut néanmoins le prendre en considération.

16/06/2020

Commentaires concernant un article d'Odile Fillod sur la PMA

Odile Fillod est une chercheuse française, connue entre autres pour son engagement féministe de longue date. En particulier, elle tient un blog concernant la vulgarisation scientifique, et en particulier sur les biais genrés qui vont avec. On peut y trouver d'excellents articles, en particulier sur l'affaire Raoult, mais aussi d'autres un peu plus critiquables, avec des cibles assez récurrentes, dans lesquels on ressent souvent un biais « anti-biologisant » de la part de l'auteur (et je pense que c'est important pour comprendre sa position sur d'autres sujets). Cela pourrait constituer le point de départ d'un débat fort intéressant, mais pour aujourd'hui, j'ai préféré me concentrer sur tout autre chose.

Notamment cet article-ci, qui aborde une thématique qui m'est chère.

L'auteur commence par y critiquer, à raison d'ailleurs, le conservatisme du Sénat et les conséquences discriminatoires, homophobes et ségrégationnistes des amendements qu'il a adoptés.

Elle se montre en revanche plus critiquable lorsqu'elle critique les positions d'Irène Théry, célèbre sociologue française ayant travaillé de longue date sur les évolutions de la famille.

A l'instar de Daniel Borrillo, Odile Fillod semble être de celles et ceux qui n'ont jamais su pardonner à Irène Théry ses anciennes prises de positions conservatrices dans les années 1990[1], et prend bien soin de rappeler celles-ci en les décontextualisant au possible. Indirectement, cela lui sert de prétexte pour critiquer la revendication d'accès aux origines, et plus particulièrement la reconnaissance commune anticipée de filiation (RCA), qui, en permettant l'inscription de la mention du don dans l'acte de naissance de l'enfant[2], constituerait un mode de filiation séparé, et implicitement discriminatoire[3].

Dans son analyse de l'expression « accès aux origines », Odile Fillod énonce un faux dilemme entre origines biologiques et origines sociales, qui est aussi un homme de paille, puisqu'aucune personne IAD que je connais ne réduirait ses origines à la pure biologie.

Ensuite, Odile Fillod prétend que l'affirmation selon laquelle l’identité des géniteurs d’une personne ferait partie des « conditions élémentaires de construction de son identité narrative » ne serait étayée par aucune étude scientifique. 

Mais suivant la façon dont on interprète cette phrase et les études déjà entreprises sur le sujet, on peut considérer cela comme faux. En effet, si toutes les personnes conçues par don ne sont pas à la recherche de leurs géniteurs, la plupart d'entre elles sont pour l'accès aux origines, quelque soit le genre de leurs parents. 

De plus, une majorité absolue de personnes conçues par don considèrent aussi que leur donneur constitue la moitié de leur identité. Il n'y a peut-être pas eu beaucoup d'études en France à ce sujet, mais il y en a déjà eu pléthore dans le monde anglo-saxon.

Par la suite, Odile Fillod sous-entend aussi que la plupart des autres arguments en faveur de l'accès aux origines seraient principalement d'inspiration psychanalytique et/ou anthropologique. 

Là encore, c'est archi-faux. D'une part, parce qu'en dehors des frontières hexagonales, la psychanalyse a une influence quasiment nulle sur le débat politique. 

D'autre part, parce qu'Odile Fillod omet d'évoquer tous les arguments ayant trait aux antécédents médicaux (dont l'accès serait facilité par l'accès à l'identité du donneur) et à l'impréparation des parents face à la curiosité de leurs enfants, qui peut mener à des comportements délétères tel que le maintien du secret, la minimisation de la biologie ou à des conflits larvés entre parents et enfants.

Enfin, et contrairement à ce qu'Odile Fillod semble elle-même penser, on peut tout à fait être pour l'accès aux origines tout en étant contre la RCA. Ce n'est certes pas forcément très cohérent, mais c'est tout à fait possible. Aujourd'hui, c'est le cas de nombre d'associations mainstream (auxquelles Odile Fillod fait elle-même allusion, oubliant que celles-ci réclament la levée de l'anonymat), mais aussi de personnes conçues par don, comme le couple Kermalvezen de l'association Origines (qui sont certes minoritaires dans leur milieu).

Cependant, je remarque que certaines de ces associations, en principe favorables à la levée de l'anonymat du fait de leur alliance avec l'association Origines, n'hésitent pas, en pratique, à partager, retweeter et/ou liker cet article Mediapart dans leurs petits milieux respectifs, sans aucune ébauche de critique des arguments d'Odile Fillod sur l'accès aux origines.

Cet article était déjà la preuve que, malheureusement, certains courants de la gauche radicale et du féminisme ont encore quelques petits efforts à fournir sur la question des droits de l'enfant, mais j'y vois aussi une preuve supplémentaire du double discours au sein des associations membres du collectif PMA (qui regroupe la plupart des associations opposées à la RCA).

C'est que, d'un côté, on peut voir Irène Théry comme une « conservatrice » reconvertie, mais de l'autre côté, on pourrait tout aussi bien dire que la plupart des associations membres du collectif PMA sont des « pro-anonymat » ou au minimum des « pro-double guichet » reconvertis ; d'ailleurs, nombre de leurs membres ou sympathisant-e-s, en privé ou sur les réseaux sociaux, continuent en réalité à tenir le même genre de discours qu'Odile Fillod sur les « origines », en adoptant un point de vue de parent, adultocentré.

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[1]Effectivement, ces prises de position paraissent rétrospectivement conservatrices dans le contexte actuel, mais si l'on considère le contexte de l'époque dans sa totalité, les positions globales d'Irène Théry étaient en réalité plutôt progressistes. On a tendance à l'oublier aujourd'hui, mais l'homophobie ouverte était beaucoup plus assumée et affichée que maintenant, tandis que le trio Borrillo-Fassin-Iacub (et ses sympathisant-e-s) ont eu tendance à surestimer leur propre influence dans le débat politique. Marcela Iacub est même tombée en disgrâce lorsque son « permissivisme » l'a amenée à prendre des positions franchement masculinistes sur certains sujets controversés.

[2]Ce qui, contrairement à ce que prétend Odile Fillod, est une revendication de personnes concernées, au moins si l'on considère les personnes conçues par don comme étant des personnes concernées (ou même certaines associations LGBT et féministes particulièrement sensibles à la question des droits de l'enfant).

[3]Ce qui est faux : il existe déjà un mode de filiation distinct pour les personnes adoptées, et pourtant personne ne hurle à la discrimination.

12/06/2020

J. K. Rowling et la transphobie

[Tw : transphobie, et incompétence possible de l'auteur sur cette épineuse question]

Si, comme moi, vous fréquentez régulièrement les réseaux sociaux tels que Twitter, vous n'avez pas pu passer à côté de ce shitstorm qui agite actuellement la toile : J.K. Rowling, l'autrice de la célèbre saga Harry Potter, serait transphobe, c'est-à-dire hostile aux droits des personnes transgenres.

A vrai dire, elle n'en est pas à son coup d'essai. Déjà, le 19 décembre 2019, elle se fendait d'un tweet pour partir à la défense de Maya Forstater, une spécialiste fiscale qui avait été licenciée pour avoir posté sur Twitter que le sexe biologique était purement binaire, qu'il était impossible de changer celui-ci et, surtout (même si cela est rarement évoqué), pour avoir, apparemment, utilisé ces justifications afin de nier des droits fondamentaux à des personnes transgenres. C'est beaucoup plus grave que la version qu'en a donnée Rowling, à savoir qu'elle avait été licenciée uniquement pour avoir affirmé que le sexe (biologique) existait[1].

Bref, cette fois-ci, tout a commencé par ce tweet le 6 juin dernier :




Si on lit l'article en question, on se rend compte que l'expression people who menstruate était vraiment à prendre au sens littéral, et n'était absolument pas un « euphémisme » pour women (femmes), parce qu'il abordait directement le problème des règles durant la pandémie de covid-19.

Ce choix de langage était donc tout à fait pertinent. D'une part, de façon triviale, parce que ce ne sont pas toutes les femmes qui ont leurs règles. Sans même parler des femmes trans et intersexes, il y a toute une série de raisons, temporaires ou définitives, qui font que les femmes n'ont pas leurs règles : grossesse, ménopause, soucis de santé, etc...

Mais aussi parce qu'il y a des personnes qui ne se considèrent pas elles-mêmes, voire que d'autres personnes ne considèrent pas comme femmes, et qui ont leurs règles : c'est par exemple le cas des « gender non-binary persons » (personnes non-binaires) évoquées dans l'article, mais aussi des hommes trans et de certaines personnes intersexes. C'est pourquoi, même parler uniquement de « women who menstruate » n'était pas suffisamment inclusif pour ce genre d'article qui s'adresse au plus grand nombre ; il fallait donc, a minima, reconnaître l'existence de personnes qui ne sont pas des femmes et qui ont des règles[2].

Si on se met à la place des personnes concernées, en particulier celle des femmes trans, on peut donc tout à fait comprendre que ce tweet ait été particulièrement mal perçu, puisqu'il sous-entend que les femmes trans ne seraient pas des femmes ; en effet, avec la technologie actuelle, il n'est pas possible de donner de menstruations à une femme trans. Sans entrer dans un débat sur le transmédicalisme, on peut a minima considérer qu'une femme trans opérée à laquelle on a remplacé le pénis par un vagin est une femme, point (vision simpliste et aujourd'hui considérée comme dépassée, voire rétrograde, d'ailleurs). On n'est pas en train de parler de non-binaires barbus à moitié libanais, là. Il s'agit de quelque chose de très basique concernant les droits des personnes trans.

Rowling aurait pu s'en arrêter là, mais elle est allée en fait beaucoup plus loin que ça. Dans ses tweets d'après, déjà, elle en a rajouté une couche sur la réalité du sexe biologique (à grands renforts d'équivocations et de doubles sens), alors que ce n'était pas le propos de l'article qu'elle citait, qui ne nie même pas l'existence du sexe biologique, et se contente d'utiliser des termes corrects et consensuels pour désigner des réalités biologiques.

Ensuite, elle s'est fendue d'une longue justification, assez bancale, où l'on retrouve des arguments TERFs assez classiques, du type « les hommes vont envahir nos espaces », où elle n'hésite pas à donner dans l'amalgame au sujet des « trans-activistes », et où elle évoque certaines des réponses qu'elle a eues suite à ses diatribes. A ce sujet, je tiens à signaler que je ne cautionne absolument pas les pires excès de la cancel culture qui sévit actuellement sur Twitter, ni certains des harcèlements dont Rowling a pu être la victime, s'ils ont bel et bien eu lieu.

Toujours est-il que les acteurs de la série Harry Potter, Daniel Radcliffe et Emma Watson en tête, ont commencé à prendre leurs distances vis-à-vis des positions de Rowling sur la transidentité. C'est bien évidemment une bonne chose, et l'on ne peut que souhaiter que cela continue.

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[1]Plus précisément, ce qui était visé dans le jugement prononcé à l'encontre de Forstater, semble-t-il, ce n'était pas tant sa croyance philosophique en l'immutabilité du sexe biologique que le fait qu'elle utilise cette croyance pour justifier des atteintes aux droits des personnes trans. Il s'agit d'un manque de neutralité évident. C'est l'équivalent d'un chrétien qui discriminerait à l'encontre des homosexuels en raison de passages tirés du Lévitique.

[2]L'article ne parlait d'ailleurs même pas directement du cas des hommes trans, et pourrait donc être lui-même accusé de transphobie par certaines personnes pour cette raison-là.


13/05/2020

Mes évolutions personnelles sur l'accès aux origines

Tout d'abord, pour tous ceux qui suivent mes articles, je tiens à préciser que je ne suis moi-même pas conçu par don, j'ai juste un très fort intérêt personnel pour le sujet. Bien sûr, dans ces conditions, il me faut également comprendre pourquoi j'ai un intérêt personnel aussi fort pour ce sujet.

Contrairement à ce que certaines FMLR pourraient penser, je ne pense pas que ce serait parce que je serais homophobe ou lesbophobe. Au contraire, j'ai très tôt remarqué, en particulier dans le monde anglo-saxon, la convergence entre certains mouvements de personnes conçues par don et certains courants homophobes. Et, bien que j'aie tout de suite ressenti de la sympathie pour cette cause, je savais qu'il faudrait tôt ou tard la purger de ses possibles instrumentalisations homophobes (ou, plus généralement, conservatrices), ce qui, fort heureusement, m'a l'air d'être en assez bonne voie, si je suis l'évolution du mouvement au cours du temps.

Je pense qu'il y a aussi, effectivement, une part de volonté de « dénoncer la gauche radicale là où elle se fourvoie », mais cela vise moins des groupes de personnes en particulier que des idéologies : la minimisation de la biologie et le relativisme culturel, par exemple. Puis bon, en France, l'opposition à l'accès aux origines provient en réalité davantage de la droite (cf. les débats au Parlement et ce sondage) que de la gauche, même radicale, contrairement à ce que pourraient faire penser certaines minorités bruyantes sur Twitter. De plus, en politique, je sais très bien où sont mes priorités, et que je sais que je ne voterai jamais pour la droite conservatrice, même si celle-ci était plus favorable à l'accès aux origines que la gauche.

Enfin bref, je pense qu'en a peine quelques mois, j'ai évolué sur la question de l'accès aux origines. Pas sur le fond, ni sur les principales positions à défendre, mais plutôt sur la manière de défendre celles-ci.

Il y a quelques mois à peine, j'engageais directement le débat avec certaines FMLR sur leurs profils, et suite à certaines de leurs insultes ou à certains arguments particulièrement mauvais de leur part, il m'arrivait de m'énerver et de tomber ainsi dans leur piège, qui était de me faire passer pour insensible, voire réactionnaire et homophobe. Occasionnellement, il m'est ainsi arrivé d'user de termes psychophobes pour me référer à certaines de mes adversaires lorsqu'elles avaient le dos tourné, ou d'employer un ton pouvant être vu comme condescendant, allant jusqu'à balancer des accusations de « reniement » voire de « totalitarisme » à l'encontre de certaines d'entre elles. Avec le recul, ce sont autant d'arguments que j'utilisais à l'époque et que je n'utiliserais plus aujourd'hui. [update du 12 février 2022 : j'ai encore évolué depuis. Je pense que si je n'utiliserai plus ces arguments aujourd'hui, c'est avant tout parce que, fondamentalement, je n'aime pas faire de la peine aux gens, et que je sais désormais où ces arguments nous mènent. Mais je maintiens qu'il y a tout de même un problème avec la violence de certaines des réactions que j'ai pu croiser, révélateur de problèmes plus fondamentaux de leur idéologie, ce qui pourrait faire l'objet d'un prochain article] En particulier, je pense qu'il convient de ne pas exagérer les méfaits d'une pratique et d'une idéologie à laquelle on s'oppose, tant que l'on n'a pas vu, de façon concrète, comment les choses se déroulaient dans la pratique. 

Aujourd'hui, c'est tout juste si je me contente de liker les posts d'un "courageux" individu conçu par don, qui se vante de signaler les cas les plus flagrants de harcèlement et de désinformation provenant de la communauté FMLR. Je ne réponds plus à rien, sauf si on s'adresse directement à moi.

Par ailleurs, j'ai récemment lu des articles d'anthropologie portant sur l'excision (un sujet que j'ai délibérément choisi pour son caractère extrême, puisque je doute qu'il y ait beaucoup de personnes pour le défendre dans le monde occidental, mis à part quelques anthropologues relativistes). Sans tomber dans le relativisme extrême, ces articles mettaient en avant certaines problématiques qui compliquaient la lutte contre l'excision et pouvaient même s'avérer contre-productives.

Notamment, un certain risque d'ingérence paternaliste et néo-coloniale de la part d'un Occident civilisateur qui apporterait le salut aux femmes indigènes, ce qui leur fait dire que pour combattre efficacement l'excision, il fallait tout d'abord bien comprendre les mécanismes culturels derrière cette pratique, et avant tout s'appuyer sur les femmes qui habitent sur place et travailler avec elles pour changer les attitudes locales et éduquer les personnes sur les dangers de cette coutume, dont la pratique persiste même dans des régions où il y a des lois qui l'interdisent.

Pour comparer avec notre sujet de départ - avec lequel je ne suis pas en train d'insinuer qu'il y aurait un quelconque degré de gravité similaire ou comparable, ni même qu'il faudrait le traiter avec la même sévérité - cela me fait mieux comprendre, toutes proportions gardées, l'opposition à la levée de l'anonymat des dons de gamètes de la part des FMLR.
Avant toute chose, la situation politique que nous vivons est très délicate, et les aspects homophobes de la culture hétérosexuelle ont souvent brandi un certain concept de « droits de l'enfant » pour s'opposer aux droits des personnes LGBT de vivre leur vie comme elles l'entendaient, alors même que le système d'anonymat des donneurs tel que défini par la loi de 1994 était l'incarnation-même du privilège hétérosexuel. D'ailleurs, les FMLR utilisent le fait que cette institution ne soit remise en cause que maintenant, et que notre monde a encore un rapport compliqué voire contradictoire à la science, au corps et à la parenté (notamment en ce qui concerne les droits des personnes intersexes), comme preuves indéniables de l'inoxydable hypocrisie du monde hétérosexuel à leur égard, alors que nous n'en avons justement pas terminé avec cette défense masculine et hétérosexuelle de l'anonymat des donneurs et des secrets de famille.

C'est pourquoi, dans notre combat contre l'anonymat des dons de gamètes, il nous faut avant tout nous appuyer sur la « majorité silencieuse » de la communauté LGBT et des féministes, renforcer notre coopération avec les organisations LGBT (y compris en ouvrant le dialogue avec des militant-e-s assez radicales, ce qui a déjà commencé), écouter les enfants de ces familles-là, d'autant plus si iels-mêmes sont LGBT et engagé-e-s dans ce milieu[1], travailler main dans la main avec les centres LGBT régionaux, rappeler que pour une personne conçue par don, découvrir l'identité de son donneur à sa majorité n'est en aucun cas une obligation, écouter les justifications derrière les revendications de nos adversaires, en évitant autant que possible les jugements de valeur négatifs[2].

Je remarque qu'en France, les associations pour le droit d'accès aux origines entament déjà des démarches allant dans ce sens, et c'est une bonne chose. Cela se voit dans la trajectoire du site web de l'association PMAnonyme : en moins d'une quinzaine d'années, celui-ci est ainsi passé d'une esthétique froide connotée « pro-vie » à une esthétique beaucoup plus chaleureuse, qui met davantage en avant les droits des personnes et leurs expériences. La rhétorique employée a elle aussi évolué : celle de la toute première version du site serait rétrospectivement qualifiée de pro-« Manif Pour Tous » à cause du vocabulaire employé[3], tandis que celle de la version actuelle est beaucoup plus modérée.
Plus récemment, le site a aussi supprimé la mention de la notion de « père biologique » (bien que techniquement correcte, cette expression peut être considérée comme controversée, dans l'optique d'un dialogue avec des militant-e-s radicales) et relégué au second plan sa catégorie Ils l'ont dit (section controversée chez les FMLR, en raison de citations de députés de droite, notamment).

Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas indiquer dans la charte de l'asso une reconnaissance et une valorisation de la diversité des modèles familiaux, comme l'ont déjà fait le Donor Sibling Registry et l'Association Canadienne des Personnes Conçues par Don de Gamètes avant elle ?

Soyons fous : PMAnonyme pourrait même proposer de participer, avec ou sans sa concurrente Origines (qui, par rapport aux organisations LGBT et féministes les plus classiques, a l'avantage d'être encore moins « controversée » que PMAnonyme), à la prochaine Marche des Fiertés (qui ne se tiendra pas avant un bon moment, vu le contexte actuel, donc).

Absurde ? Pas tant que ça : le Donor Sibling Registry, dont les positions sont nettement similaires à celles de ses homologues français, participe depuis déjà plusieurs années à des événements LGBT. Et après tout, PMAnonyme et Origines se sont, chacune dans leur genre, beaucoup mobilisées et illustrées dans le débat bioéthique et la loi sur la PMA, sachant que l'accès aux origines est aussi une revendication de l'Inter-LGBT.

Cependant, cette participation risquerait certainement d'être perçue comme une provocation, voire comme une insulte, par certaines organisations radicales, ce qui risquerait de provoquer des clashs et autres altercations inutiles. Des incidents du même type ont eu lieu à cause du même genre de personnes lors de précédentes Marches des Fiertés, pour d'autres raisons.

Ainsi, si cette participation est acceptée, ce serait bien sûr une grande victoire pour la cause de l'accès aux origines, mais il ne faudrait pas se réjouir trop vite, et rester vigilants, bien entendu.

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[1]D'après mon expérience personnelle, les personnes LGBT conçues par don (mêmes celles issues de parents LGBT) ont d'ailleurs globalement tendance à privilégier leur identité de personne conçue par don à celle de personne LGBT, en termes de revendications.

[2]C'est un point sur lequel je pense avoir particulièrement progressé, depuis moins d'une semaine. Dans mon précédent article, j'écrivais encore que les FMLR étaient principalement motivées par la peur, notamment celle d'être « trahies » par leurs propres enfants. Dans la réalité, c'est certainement plus complexe que cela. Personne n'admet facilement être motivé par la peur, et elles seraient tout à fait capables de renverser cette accusation à notre égard, pour d'autres raisons. En fait, certaines FMLR semblent même motivées par une forme de confiance (qui d'ailleurs, de notre point de vue, apparaît largement excessive, et il faudra donc faire comprendre qu'elle est empiriquement excessive) dans leur idéologie « révolutionnaire », davantage que par la peur.

[3]Le vocabulaire utilisé n'était pas spécifiquement homophobe à proprement parler, mais on peut lui trouver rétrospectivement une connotation homophobe, notamment à cause de la récupération de ce genre de rhétorique par La Manif Pour Tous à partir de 2013.




06/05/2020

Dernières nouvelles de la jungle de Twitter en confinement (ou les extrémistes face à leurs contradictions)

Actuellement, il semblerait hélas qu'avec l'allongement du confinement - j'en ai de plus en plus l'impression - ce soit tout le réseau social Twitter qui ait décidé de partir en vrille et de s’entre-déchirer entre clashs et autres dramas. Dans la sphère Zèt', c'est récemment Acermendax qui s'est clashé avec le Bouseux, tandis qu'Homo Fabulus s'est clashé avec Game Of Hearth et Un Monde Riant, qui lui-même s'est clashé avec Gigantoraptor. Longue histoire, qui ne sera pas abordée dans cet article-ci.

Mais la sphère dite « woke » est actuellement agitée par un drama d'ampleur peut-être plus importante encore.

Tout a commencé par un post sur l'accouchement sous X, dans lequel une twittos appelait à ne pas relayer les posts de nés sous X qui recherchaient leur mère de naissance, afin de respecter la décision qu'avait prise celle-ci de garder l'anonymat. S'en est suivi, inévitablement, un clash avec lesdits nés sous X (parmi lesquels se trouvaient de nombreuses personnes racisées)[1].

Dans un des tweets de son fil, ladite twittos visait expressément une personne IAD engagée contre l'anonymat des dons de gamètes, disant qu'elle était homophobe, réactionnaire et la présentant implicitement comme une sorte de repoussoir idéologique absolu. Suite à ce harcèlement ciblé, ladite personne IAD[2] a réussi à mobiliser sa communauté afin de signaler le compte en question et de le suspendre.

À vrai dire, je ne sais toujours pas s'il s'agissait de la bonne décision à prendre, même si je reconnais qu'au minimum, il ne doit pas être très agréable de se prendre ce genre de harcèlement injustifié à répétition.

Toujours est-il que par la suite, la personne IAD en question s'est prise en retour un call-out particulièrement sévère en pleine poire, de la part de « féministes-matérialistes-lesbianistes-radicales » (ou FMLR)[3] pour lesquelles tout désaccord ou toute critique de leur idéologie relève de l'homophobie pure et simple.

Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas ici de véritablement expliquer[4] en quoi les propos de ladite personne IAD seraient homophobes, discriminatoires, intégristes, réactionnaires ou d'extrême-droite ; il s'agit avant tout de dénoncer, de dénigrer, de discréditer, de provoquer, de désinformer un certain public présent sur Twitter afin de maintenir celui-ci dans une emprise sectaire (on pense aux fameuses deux minutes de la haine, dans 1984 de George Orwell, par exemple), puis de répéter et d'exagérer les accusations des autres intervenants. De fait, leurs principaux arguments relèvent du plus pur déshonneur par association et d'autres tropismes issus de la désormais tristement célèbre « cancel culture ».

Un autre individu IAD, profondément engagé dans la même cause que la précédente personne IAD, s'est ensuite mis en avant pour signaler autant de posts injurieux qu'il le pouvait. Parmi les « FMLR » de Twitter, celui-ci a suscité un certain nombre de railleries, notamment en raison de son pseudonyme, mais cela leur également permis de découvrir les actions effectivement menées par les personnes IAD de chair et d'os, et aussi, indirectement, qu'il existait toute une frange LGBT « modérée » (largement majoritaire, hors de Twitter) qui non seulement ne partageait pas leur idéologie, mais la rejetait même ouvertement (avec toutefois beaucoup de nuances à apporter à cela, évidemment)[5].

Quant à moi, cela m'a permis d'en découvrir davantage concernant les contradictions qui agitent actuellement ce mouvement de pensée.

Notamment en ce qui concerne les incohérences de sa rhétorique, qui révèlent en filigrane ce que pourraient bien être les véritables motivations derrière les revendications de ce mouvement.

Prenons la « libre disposition de son propre corps », par exemple. Les « FMLR » y sont en principe favorables... sauf lorsqu'il s'agit d'user de cette libre disposition de son corps pour effectuer des tests ADN[6] afin de découvrir son géniteur.

Prenez ce post, par exemple.



Ainsi, les « FMLR » découvrent avec horreur que l'anonymat des dons de gamètes, que des démagogues leur avaient promis et auquel elles tenaient tant, n'est plus garanti dans la pratique, et que même des médecins gays de gauche applaudissent des deux mains... Quelle surprise, dites donc !

Il est tout de même cocasse de voir que les mêmes personnes qui, dans un autre domaine, se vantaient ouvertement de défendre des « fraudeuses » (pourtant à juste titre, selon moi) s'étonnent ici de voir d'autres personnes « contourner la loi », et ce avec une confondante naïveté ; alors que pourtant, on est en droit de penser que résoudre un questionnement existentiel pourrait être ni plus ni moins légitime que d'assouvir un désir d'enfant. Dans les deux cas, il s'agit de façons de reprendre sa vie en main.

Bien sûr, la twittos dont il est question ici prend soin par la suite de ne pas paraître trop « pro-donneurs » (ce qui serait étonnamment « pro-hommes » pour une supposée féministe radicale). Elle enchaîne donc avec le tweet suivant :




Comment peut-on être davantage à côté de la plaque ?

Je veux dire, à moins de penser sérieusement que tous les hommes sans exception sont secrètement l'un ou l'autre voire les deux, il est fort à parier que dans les faits il n'y aura ni l'un ni l'autre (sauf peut-être chez des « repentis », des progressistes ou des gens responsables), à moins d'être particulièrement stupide, suicidaire ou les deux.

Elle enchaîne ensuite avec deux tweets qui témoignent indirectement de ce qu'on pourrait appeler le cœur du problème, à savoir la peur. Peur - largement fantasmatique - d'être un jour confrontée à un inconnu qui pourrait menacer notre famille ; peur de se voir, soi et sa famille, délégitimées et déconsidérées ; mais, peut-être aussi, peur implicite et secrète de voir un jour nos propres enfants finir par nous « trahir ». Ce à quoi je réponds que nos familles ne devraient pas être basées sur la peur et l'appréhension, car nos enfants valent mieux que ça[7].

Dans le post suivant, il y a aussi le sentiment que la situation est plus ou moins en train de leur échapper, et qu'il va falloir tôt ou tard faire le deuil d'une utopie mort-née, à savoir tenter de redéfinir la famille et la parenté sans aucune référence même implicite à la biologie, et de pouvoir imposer ce point de vue à tous et en premier lieu à leurs propres enfants.

C'est ce qui me fait dire que, dans l'affaire, les vrais réactionnaires ne sont peut-être pas ceux qu'elles voudraient nous faire croire.

Parce qu'il n'y a pas que les cathos, les intégristes ou les conservateurs qui ont du mal à s'adapter à l'évolution du monde ; il y aussi les FMLR, dans un autre registre. C'est quelque chose qu'elles comprendraient certainement mieux, si elles essayaient davantage de discuter avec des personnes IAD nées dans des couples hétéro, plutôt que de venir les insulter sur les réseaux.

À leur décharge, il faut dire que ce courant ne développe quasiment aucune réflexion pertinente qui lui soit propre en matière de droits des enfants, et pour cause puisque le simple fait d'évoquer ce sujet fait de vous une personne d'extrême-droite à leurs yeux.

C'est bien simple, le plus souvent, le sujet n'est abordé qu'à l'aune d'un dogmatisme « pro-choix » aussi suranné qu'immature, qui partage paradoxalement en commun avec son homologue anti-avortement dans sa forme la plus crue, le fait de tenir des opinions très fortes et arrêtées sur ce que pourrait ou devrait être une grossesse, tout en se foutant de ce qu'il advient de l'enfant après (pas au sens littéral bien sûr, mais au sens où certains de ses éventuels besoins, opinions ou considérations ne seront probablement pas pris en compte).

Ce dogmatisme, accompagné d'une fermeture délibérée à la discussion, au dialogue et à l'échange, ne peut déboucher que sur une forme d'irresponsabilité proclamée et revendiquée, affichée et assumée en tant que telle, aux forts relents passifs-agressifs, qui contribue paradoxalement à essentialiser encore davantage le désir d'enfant.[8]

C'est fort dommage, parce que le projet de loi bioéthique contenait bel et bien de nombreuses avancées marquantes, qu'il ne doit donc être enterré sous aucun prétexte et qu'il faudra les défendre coûte que coûte, dénaturées qu'elles aient été après le passage au Sénat. Je dirais même que la crise du COVID-19 rend la question de la levée de l'anonymat des donneurs encore plus pertinente et pressante que jamais, pour plusieurs raisons (perturbations possibles, et à titre temporaire, de l'industrie des tests ADN, ce qui appelle à une facilitation des démarches administratives à l'avenir pour retrouver son donneur, enquêter sur les réactions face au COVID-19 des parents biologiques qui pourrait correspondre à un profil génétique particulier, etc...).

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[1]Plus précisément, ce clash opposait majoritairement d'un côté des féministes « pro-choix » radicales, mais majoritairement blanches et aussi en un sens plus traditionnelles qu'elles ne le prétendaient, et de l'autre de jeunes personnes, souvent racisées, là aussi des femmes pour la plupart.

[2]Probablement l'une des personnes IAD les plus ouvertes et progressistes que je connaisse, en plus. C'est même pire que ça : en fait, je pense qu'elle est même ciblée spécifiquement parce qu'elle est ouvertement progressiste, parce que quelque part elle baigne déjà dans cette sphère-là et ce depuis longtemps. Un type IAD lambda aurait eu beaucoup moins d'abonnés en commun avec les FMLR, et l'impact d'un call-out s'en serait trouvé d'autant plus amoindri.

[3]Cette notion correspond à peu près à celle de « sympathisante GCN » ; mais je me réserve dorénavant le droit de parler de GCN pour parler plus spécifiquement de l'association, et non du courant de pensée dans son ensemble. En tout les cas, elles sont à peu près aussi représentatives des lesbiennes en général qu'Eric Zemmour est représentatif des français.

[4]Comme indiqué précédemment, toute critique de leur idéologie est généralement considérée comme lesbophobe, sans autre forme de procès ; cependant, et particulièrement quand on les pousse à détailler leur point de vue, il arrive parfois que des FMLR explicitent davantage en quoi elles considèrent ces désaccords comme lesbophobes (tout en insistant toujours à chaque fois sur le fait qu'elles ne devraient pas avoir besoin de l'expliquer, tant selon elles ce point de vue devrait aller de soi).

En particulier, elles rejettent l'argument selon lequel la levée de l'anonymat n'est pas lesbophobe parce qu'elle concerne aussi les hétéros, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, elles considèrent, tout comme les homophobes paradoxalement, que l'homosexualité est davantage histoire d'idéologie que d'orientation sexuelle, ce qui dans leur cas engendre une confusion très utile pour immuniser leur idéologie face à la critique.

Et entre autres, cette idéologie leur permet d'affirmer que les homosexuel-le-s seraient substantiellement différent-e-s des hétéros en termes de culture, de pensée, de vision du monde, de vécu et d'idéologie elle-même.

Bien sûr, dans la vraie vie, ce n'est pas tout à fait vrai. Par exemple, les motivations des parents opposés à la levée de l'anonymat, quelque soit leur orientation sexuelle, sont très largement similaires : peur de la chute des dons, peur de se voir trahi-e par ses propres enfants (particulièrement dans le cas du parent non-biologique), peur de se voir perturbé-e dans la vision de sa propre famille...

Seule l'expression de ces sentiments diffèrent, suivant le type de famille : les hétéros gardent autant que possible le secret sur la conception de leurs enfants, parce qu'ils peuvent se permettre cette fiction, tandis que les FMLR, incapables de garder le secret, minimisent l'importance de la biologie.

De façon plus importante encore, prétendre que, sous prétexte que les homosexuels auraient intrinsèquement une idéologie différente de celle des hétéros, la critiquer relèverait de l'homophobie, ce n'est pas un argument recevable dans le cadre d'une démocratie à l'occidentale (et encore moins dans le modèle universaliste à la française). Cela permet de se rendre compte où s'arrête l'égalitarisme et où commence le relativisme ou le communautarisme (le vrai, et non le fantasmé).

D'autre part, on trouve l'idée que la présence d'un homme dans les familles hétéro-parentales qui ont recours à la PMA protégerait intrinsèquement mieux celles-ci, d'un point de vue politique. Elles vont jusqu'à imaginer des scénarios alambiqués dans lesquels les enfants des lesbiennes seraient placés sous l'autorité parentale d'un type qu'ils n'ont jamais connu au nom de leur droit d'avoir un père et une mère. En plus de totalement méconnaître les opinions de la droite et de l'extrême-droite françaises réelles sur la question de l'accès aux origines (en pratique, ces dernières sont souvent beaucoup plus « pro-donneurs » ou « pro-secret parental » que les FMLR ne se l'imaginent), ce projet serait à la fois impossible à mettre en place, contre-productif et probablement même inconstitutionnel.

Et après, elles considèrent qu'éviter de coucher par inadvertance avec un demi-frère ou une demi-sœur biologique est un « argument choc complètement tordu ».

[5]L'association PMAnonyme, implicitement visée à travers toute cette campagne de harcèlement, a notamment co-signé des tribunes dans la presse avec l'ADFH, association homoparentale qui milite de longue date pour la levée de l'anonymat des dons de gamètes, mais aussi Le Refuge, le RAVAD, Stop Homophobie, les associations religieuses David et Jonathan et Beit Haverim, des franc-maçons LGBT, des représentants d'organisations LGBT proches des grands partis du centre et de la gauche, ainsi qu'avec Caroline Mécary, Martine Gross, Christophe Beaugrand, Marie Labory et Jérôme Courduriès. Il existe également d'autres organisations LGBT qui sont en désaccord avec PMAnonyme concernant certains détails légaux techniques, mais qui ne s'opposent pas (ou plus) à la levée de l'anonymat des dons de gamètes, prise dans ses grandes lignes. Voir aussi ce sondage, qui date de l'année dernière.

[6]À la légalisation desquels même le juriste franco-argentin ultra-libertaire Daniel Borrillo se montre pourtant favorable.

[7]À ce sujet, un très bon article (en anglais) aborde justement cette question-là.

[8]Cela pourrait paraître exagéré, mais, toutes proportions gardées, on peut noter de troublantes similitudes entre le discours d'un incel qui fait l'apologie du viol parce que la prostitution est illégale, et celui d'une FMLR qui fait l'apologie du fait de concevoir un enfant dans le dos d'un homme (par trouage de préservatif) parce que la PMA ne sera pas légale dans les conditions qu'elle aurait souhaitées (je ne suis pas ici en train de prétendre qu'il s'agirait là de deux situations parfaitement équivalentes, bien entendu). Une pamphlétaire telle que Marcela Iacub offre ainsi une possibilité de convergence fortuite entre FMLR et incels.

16/01/2020

Le paysage des associations pour le droit d'accès aux origines en France

En ce contexte de revirement absurde des sénateurs sur la question de l'accès aux origines, j'avais envie de reparler de ce sujet.

En France, à ma connaissance, il n'existe que deux associations qui se battent pour le droit d'accès aux origines des personnes conçues par don de gamètes.

D'un côté, il y a PMAnonyme, de l'autre Origines (si l'on exclut l'ADEDD, supposément dirigée par des personnes nées de dons mais qui s'oppose à l'accès aux origines).

Tout ce qui suit est très relatif, mais la première association est probablement la plus connue des deux, tandis que la seconde est surtout connue par son fondateur, qui est une personnalité assez médiatique.

Le principal clivage entre les deux associations réside dans l'attitude à adopter par rapport à la RCA (Reconnaissance Commune Anticipée de filiation, un mode de filiation qui serait spécifique à certaines personnes conçues par don de gamètes, notamment celles hors couples H/F), PMAnonyme souhaitant l'étendre à tous les couples tandis qu'Origines s'y oppose pour tous les couples.

En ce qui me concerne, je pense que soutenir la RCA serait la solution qui me semblerait à la fois la plus convenable et la plus logique du point de vue des droits des enfants (en plus de potentiellement mieux sécuriser leur filiation), et dont les enfants de couples hétéros bénéficieraient le mieux (parce qu'elle permettrait de mieux lutter contre les secrets de famille), alors même que ces enfants-là sont, pour le moment, exclus de cette procédure. Alors comment se fait-il qu'Origines s'y oppose ?

Sans rentrer dans les détails, j'ai cru comprendre que son principal promoteur, entre autres, par peur absolue que la cause de l'accès aux origines - notamment à cause de diverses tentatives de récupérations idéologiques, intéressées mais néanmoins fondamentalement hypocrites - ne puisse être perçue comme trop conservatrice, voire réactionnaire, avait décidé de jouer à fond la carte de la « respectabilité » vis-à-vis d'un certain milieu dit « progressiste »[1] et bien organisé politiquement.

A ce sujet, il est à noter que d'ordinaire ce sont plutôt les groupes minoritaires « typiques » qui essaient de prendre leurs distances vis-à-vis d'images perçues comme dégradantes, véhiculées par le camp conservateur et agitées par celui-ci comme repoussoir. On aurait donc là un exemple assez surprenant de personnes pour qui ce serait l'assimilation, réelle ou fantasmée, avec le camp conservateur qui serait perçue comme infamante, et qui essaieraient de tout faire pour s'en démarquer, quitte à perdre en radicalité (assez paradoxalement).

Attention, entendons-nous bien, la politique de la respectabilité n'est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. Certains stéréotypes sont effectivement très nuisibles, et il peut être souhaitable et même nécessaire d'aller à leur encontre. Dans certains cas, les stéréotypes peuvent même s'avérer être des pièges qui peuvent mener jusqu'à défendre des choses qui ne devraient pas être défendables, ou à se montrer en quelque sorte plus conservateur et moins radical qu'on ne le prétend soi-même.

La politique de la respectabilité peut aussi être associée à une certaine forme de pragmatisme et d'enrichissement idéologique (en prenant mieux en compte les objections et les différentes facettes d'un même problème), là où l'anti-respectabilité peut être davantage associée à diverses formes d'utopisme, de cynisme, de jusqu'au-boutisme, de rigidité idéologique ou de dogmatisme.

Par exemple, l'ADFH est parfois raillée par les militants LGBT les plus « radicaux » notamment à cause de la perception d'une certaine tendance[2] à lorgner du côté de la respectabilité, mais il n'empêche qu'il s'agit à ma connaissance de la toute première association LGBT à avoir revendiqué directement la levée de l'anonymat des dons de gamètes, et pas une solution intermédiaire comme le double guichet.

Cependant, la respectabilité peut aussi devenir une mauvaise chose, notamment lorsqu'elle a pour conséquences un affadissement des revendications, la compromission avec des groupes aux intérêts opposés ou le fait de ne plus rien proposer de véritablement innovant ou subversif.

Pour revenir au sujet de base, autant cette approche pourra très certainement fonctionner auprès d'associations mainstream pas trop sectaires et Inter-LGBT-compatibles, autant celle-ci sera inefficace pour tenter de convaincre les groupes les plus « radicaux » tels que les Gouines contre Nature, qui ne veulent pas entendre parler d'« origines » et récusent l'emploi de ce type-même de vocabulaire. Néanmoins, il est vrai que les groupes de ce type-là sont (heureusement) encore très marginaux, et qu'ils ne constituent probablement pas la cible principale de l'activité militante de l'association Origines, de toute façon.

Bref, tout cela illustre qu'il y a un bon équilibre à trouver entre respectabilité et revendicativité.

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[1]Encore que cela soit éventuellement assez relatif. Une des associations qui fait équipe avec Origines, GayLib, représente historiquement les LGBT de droite et de centre-droit.

[2]Objectivement très relative, tant la légalisation de la GPA, l'une de leurs revendications-phares, a été agitée comme repoussoir absolu par toute la droite et même certain-e-s allié-e-s auto-proclamé-e-s « progressistes ».