31/12/2014

Pour une bioéthique de la troisième voie

Vous savez, si vous avez déjà lu d'autres articles de ce blog, que je m'intéresse d'assez près à la bioéthique. En particulier, je me suis rendu compte à quel point les débats à ce sujet pouvaient être assez complexes et pas toujours cohérents.

Pour résumer, on a :

- d'un côté, une position rigoriste, d'inspiration le plus souvent (mais pas toujours) religieuse et chrétienne en particulier, qui prend appui sur l'idée de respect de ce qui est perçu comme un ordre naturel.

- de l'autre, une position libérale-utilitariste qui affirme le primat de la liberté individuelle et le rejet de la transcendance.

Aucune de ces deux approches n'est pleinement satisfaisante, de mon point de vue. Toutes deux ont pour base un certain nombre de présupposés et sont dotées de leurs propres incohérences.

Je constate que dans un cas comme dans l'autre, il n'y a pas de véritable réflexion cohérente sur ce que signifie "naître dans de bonnes conditions", juste un vague argument employé de façon incohérente.

En réalité, le cœur de la première position, par exemple, n'est pas le rejet de l'eugénisme. D'une part, parce que, quoiqu'on en dise, permettre aux homosexuels d'avoir des enfants, c'est un peu le contraire de l'eugénisme ; on pourrait multiplier les exemples, d'ailleurs, parmi ceux qui sont le plus fréquemment cités. Il s'agirait plutôt de l'opposition à l'idée que les humains, plus généralement, se prennent pour Dieu ; l'appel à la responsabilité vis-à-vis d'enfants que l'on aurait pas forcément aimé avoir, ou la défense de la famille traditionnelle. Par ailleurs, je ne me reconnais pas dans l'approche religieuse sur l'avortement, qui me semble infondée d'un point de vue scientifique, et absolutiste sur le plan moral.

Quant à la seconde position, je la juge davantage compatible avec le libéralisme - sous sa forme "ultra" ou libertarienne - qu'avec la justice sociale ou des idées de gauche (puisqu'on n'y reconnaît pas de "droit-créance" en bioéthique, par exemple le droit à l'histoire personnelle). Il y a clairement là un échec de sa prétention égalitaire, et en exaltant la toute puissance de la volonté, elle nie l'histoire et la nature.

Maintenant, parlons de quelques exemples concrets où cette opposition peut être problématique :

Sur l'IVG et la PMA, les positions s'alignent souvent autour d'un axe qui oppose "respect de la vie" et « droit à disposer de son corps » ; mais bizarrement, de chaque côté, les partisans d'une position répondent aux critiques en utilisant le même argument : « Si X n'existait pas, tu ne serais pas né... » C'est là qu'apparaît un argument incohérent, de chaque côté du débat.

De même, beaucoup de « libéraux-utilitaristes » défendent une position maximaliste pour les droits des LGBT, alors que de plus en plus d'indices tendent à indiquer une base biologique à l'homosexualité, la question devient pressante. Maintenant, à mesure qu'une base biologique de l'homosexualité se précise, même les homosexuels vont peu à peu se sentir concernés par la pratique du diagnostic prénatal ; il ne devient alors plus possible de faire la politique de l'autruche, et il faut voir les questions en jeu.*

De plus, les opérations des intersexes à la naissance sont un phénomène préoccupant, en ce qui me concerne je suis contre cette atteinte à leur intégrité corporelle. Je voudrais qu'ils puisse garder la liberté de se forger une identité plus tard. Concernant leur « enregistrement », l'idéal serait de proposer un « troisième sexe », neutre, comme certains pays (tels que l'Allemagne ou l'Australie, par exemple) l'ont déjà fait, ou, à défaut, s'aligner systématiquement sur le sexe chromosomique et ce, quelque soit l'apparence des organes génitaux externes. A ma connaissance, aucun des deux grands courants bioéthiques n'a vraiment développé de vision vraiment cohérente sur ce sujet.

Je pense donc que c'est une espèce de « synthèse » qu'il faudrait effectuer. On peut se référer en cela à la Théorie dela Justice de Rawls, et en particulier le passage sur l' "eugénisme" selon Rawls : cela suppose de devoir laisser des libertés aux agents concernant les technologies de reproduction auxquelles il peuvent avoir accès. En fait, il s'agirait alors de concilier la liberté des agents (les parents) avec les droits des enfants et un souci de faire naître dans de bonnes conditions. Dans ce cas, certaines pratiques "eugéniques" sophistiquées deviendraient critiquables, mais pas en elles-mêmes, mais à cause d'une forme modérée du principe de précaution.

Mais les bases sociales du respect de soi (concept très important, selon Rawls) doivent aussi être respectées, ce qui implique la nécessité d'une réglementation. Le respect de soi selon Rawls est un bien premier, peut-être le bien premier le plus important, qui regroupe la confiance en soi et l'estime de soi, entre autres.

On peut faire une analogie de cette position avec le point de vue développé à la fin de la Théorie Générale de J.M. Keynes (comme vous le savez peut-être, je viens de l'économie, à l'origine) où celui-ci écrivait que ses théories interventionnistes avaient des « implications modérément conservatrices ». Ici, c'est l'inverse : au lieu d'implications modérément conservatrices, il s'agirait d'implications modérément progressistes, car le but de ce positionnement est de sauver le progressisme, pas de l'enterrer.

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* Il fut un temps où j'étais très "sceptique" vis-à-vis des diagnostics pré-nataux, mais j'ai changé d'avis sur le sujet. Interdire les diagnostics pré-nataux, en soi, n'améliorera pas le sort des personnes handicapées déjà vivantes, ni celles qui naîtront, c'est pourquoi je pense que ce n'est pas la bonne approche ni la priorité. Je pense que tous les couples ont droit à une information claire sur le sujet, afin d'être préparés au mieux et de profiter de ce temps supplémentaire au cas où ils voudraient garder l'enfant. C'est aussi parce que je suis contre l'essentialisme, qui est cette tendance à réduire la personne handicapée à son handicap, tout comme je suis contre la tendance à réduire la personne à son sexe, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Cet essentialisme a tendance à déboucher sur des positions pro-« vie » concernant des sujets tels que l'avortement ou l'euthanasie, positions que je comprends mais dans lesquelles je ne me reconnais pas et avec lesquelles je suis en désaccord. Mais je suis d'accord que cette question du diagnostic pré-natal, si elle vient à se généraliser, pose des questions d'éthique qui pourraient s'avérer très difficiles à résoudre.




19/12/2014

Bioéthique : l'anonymat des dons de gamètes

Comme le titre de ce blog l'indique, celui-ci ne traite que de (critique de) la psychanalyse, il aborde aussi des questions de bioéthique.

Dans le cas présent, il s'agit des questions relatives à l'anonymat des dons de gamètes. J'en ai déjà parlé dans un précédent article. Je vais donc détailler à ce sujet.

La question m'interpelle à plusieurs titres. En effet, en France, la plupart des personnes connaissent leurs deux parents biologiques. Bien sûr, personne n'est sûr à 100 %, mais la grande majorité est dotée d'une certitude raisonnable à ce sujet. Tout le monde donc, à l'exception de quelques-uns, dont les enfants issus de PMA. C'est pourquoi je suis très sceptique face à l'anonymat des dons de gamètes : je m'y oppose, quitte à ce que cela réduise les dons. Etant de gauche dans l'âme, c'est pour des raisons égalitaires que je m'y oppose, et je sympathise avec celles et ceux qui veulent connaître l'identité de leur géniteur anonyme, comme les membres de l'association PMA. Je me suis renseigné sur le sujet principalement grâce à deux lectures : Des humains comme les autres d'Irène Théry et Mes origines : une affaire d'état d'Audrey Kermalvezen.

Je sais que mon point de vue n'est pas nécessairement majoritaire en France, loin de là. D'après plusieurs sondages, l'anonymat est souhaité à la fois par les donneurs et les receveurs dans leur majorité, mais ce point de vue semble également majoritaire dans l'opinion publique française dans son ensemble.

En France, la question transcende les clivages gauche-droite habituels, y compris, et c'est le plus notable, les clivages usuels en bioéthique. Pour simplifier, on a d'un côté des idéalistes égalitaires et "biologisants" minoritaires contre des utilitaristes et socialisants/médicalisants majoritaires.

C'est pourquoi la légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes me pose problème, en l'état actuel des choses. Je considère que sur ce sujet, il ne faudrait pas mettre la charrue avant les bœufs, quand on voit ce qui se passe chez nos voisins et comment la question a été traitée chez eux. Je regrette bien évidemment que le débat sur ce sujet ait été verrouillé, mais je ne regrette pas que l'extension de la PMA n'ait pas été votée.

Chez les partisans de l'extension de la PMA à tout prix, un leitmotiv revient qui est celui de l'égalité, que réserver la PMA aux hétérosexuels infertiles serait intrinsèquement discriminatoire, et que ne pas connaître ses origines biologiques ne serait finalement pas si grave parce que beaucoup de personnes ne les connaissent pas et que certaines situations particulières (inceste, viol...) justifient le maintien du secret. Selon certaines organisations, s'opposer à l'extension de la PMA serait même carrément homophobe, ce qui est un autre bon moyen de verrouiller encore davantage le débat à ce sujet...

Pour le premier point, je suis d'accord et j'ai déjà affirmé cette position dans un précédent article. Pour le second point, je trouve beaucoup à redire : déjà, qu'il est présomptueux de parler au nom d'individus que l'on ne connaît pas, et de minimiser la souffrance qu'ils pourraient exprimer. De plus, il y a une différence entre être privé de ses origines par accident et créer volontairement une situation où un enfant serait privé à vie de l'identité d'un de ses géniteurs. Enfin, la comparaison avec l'inceste ou le viol est à se tirer une balle dans le pied, car elle sous-entend que la PMA serait une technique de procréation intrinsèquement honteuse. Autrement, il ne sera pas possible de faire croire à un enfant né dans une famille homoparentale qu'il sera né de ses deux parents : sa méthode de conception lui sera très vite dévoilée ; il y a lieu de penser, et plusieurs études le suggèrent déjà, que les questions sur le géniteur ne seront pas rares.

Qu'on le veuille ou non, il y a in fine toujours besoin d'un homme et d'une femme pour la procréation, sinon, il n'y aurait justement pas de revendications liées à la PMA. Le parent dit "social" n'est pas plus à l'origine de l'enfant que je suis à l'origine du T-shirt que je me suis acheté. Le fait d'avoir un enfant est avant tout un fait biologique. Même si le désir est une composante importante, bien sûr, pour s'assurer qu'il soit correctement élevé ensuite. Mais il faut toujours se rappeler qu'il faut "fabriquer" quelque chose avant de le donner, de le distribuer. Cela vaut dans ce domaine comme ailleurs.

Sur la PMA, il y a une contradiction qui émerge dans le discours : d'un côté, on dit que le biologique n'est pas important, on dénonce la "biologisation de la filiation" mais de l'autre on juge la PMA et la connexion à un parent biologique préférable à l'adoption !


Etant donné que je suis à la fois favorable au mariage et l'adoption "pour tous" et critique de l'anonymat des dons de gamètes, je suis conscient que ma position sera difficilement comprise et pourra même être jugée incohérente. C'est qu'à mon avis, l'objectif devrait être de trouver un équilibre entre le biologique et le social, les deux méritant d'être reconnus à leur juste valeur.

La levée de l'anonymat est une position qui peut être aussi difficile à défendre à gauche en France, à cause de la méfiance du milieu intellectuel de gauche vis-à-vis du biologique. La part biologique de l'homme y est souvent sous-estimée (cf. cet article sur le site de la Ligue des Droits de l'Homme). Un exemple concerne l'histoire médicale de chacun. Il se trouve que ma grand-mère était atteinte de la maladie de Huntington, ce qui me laisse une probabilité d'un quart de développer cette maladie au cours de ma vie. Mais bon, au moins je le sais, et je serais donc mieux préparé si les symptômes surviennent un jour.

Autrement, je me suis aussi rendu compte qu'il existait, à l'extrême-gauche sociétale, toute une sale tradition qui consiste à défendre la liberté des adultes au détriment des droits des enfants. Il ne s'agit pas de la perpétuer !

Pour me rassurer, bizarrement ou non, le sujet n'enthousiasme pas non plus la droite française, qui ne réagit pas de façon plus intelligente ; au contraire même, elle préfère se réfugier dans son cynisme habituel, sans grande réflexion ni cohérence - par exemple, en maintenant l'adhésion au modèle médical - en plus des arguments de façade utilitaristes, sentimentaux et anti-"eugénistes" contre le "tri des donneurs" (dont personne, en France, ne fait la revendication) s'y rajoute de l'hypocrisie sur la dénonciation de la "biologisation de la filiation" - alors qu'ils sont contre l'homoparentalité ! A ce sujet, certaines associations homoparentales (comme l'ADFH) sont contre l'anonymat des dons de gamètes, ce qui permet de répondre à certains clichés sur le "on ne ment pas aux enfants"... Par ailleurs, si demain, si la législation n'est pas changée, un fils de lesbiennes demandait à connaître son géniteur, sa requête serait-elle considérée comme plus légitime, plus acceptable que si c'était le fils d'un couple hétéro stérile ? Là se situe l'hypocrisie, selon moi.


Je considère aussi la PMA médicale comme un mirage. La PMA ne rend pas fertile un homme stérile. C'est le sperme d'un autre homme qui est utilisé. A la limite, je préfèrerais une droite constante dans son opposition à la PMA qu'une droite qui continue d'adhérer au mirage de la PMA médicale.

La bonne façon de voir les choses, à mon sens, serait de voir la PMA comme un moyen de remédier à une impossibilité reproductive (quelque soit son origine) dans un système libéral régulé - un système purement "libertarien" opterait au contraire pour le système de "double guichet" avec possibilité de rémunérer les dons, système en vigueur aux Etats-Unis ; malgré tous les défauts du système français, je lui reconnais d'avoir mis un frein à la marchandisation du vivant en optant pour les dons gratuits.

La question de la levée de l'anonymat a pu, il est vrai, être instrumentalisée par des groupes dotés d'une idéologie "pro-vie", conservatrice voire réactionnaire ; mais est-ce que cela en fait une mauvaise idée pour autant ? Au contraire, je pense que l'élargissement de la PMA après la levée de l'anonymat constitue, à mon sens, le bon équilibre qui permettra à chacun de ne plus être en marge de la race humaine.







25/11/2014

Lettre ouverte à M. Fasquelle

Monsieur le Député,

Je viens faire part de mon indignation suite à votre proposition récente liée à la modification de la loi Taubira.
Avant toute chose, je tiens à préciser que j'ai une profonde sympathie pour votre engagement en faveur des droits des enfants handicapés en France ; cependant, nous sommes diamétralement opposés sur d'autres sujets, et ce sera l'objet de ce texte.


En effet, une cause juste ne donne pas un blanc-seing à tous ceux qui la défendent. Car une personne qui a raison sur un sujet donné peut commettre une erreur grossière sur un autre. Cela vaut pour tout le monde.


En l'occurrence, je suis profondément étonné qu'en parlant d' "enfants prisonniers", vous ayez employé exactement les mêmes termes que Bruno Bettelheim au sujet de l'autisme ! Je suppose que vous avez dû vous en rendre compte vous-même, d'ailleurs, puisque vous vous êtes excusé sur votre blog.


Ce n'est pas tout. Plusieurs études, menées dans d'autres pays, le montrent : l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe est une excellente chose pour les enfants handicapés. Les couples de même sexe sont en effet particulièrement motivés et sont prêts à adopter des enfants "difficiles" qui n'auraient peut-être "trouvé preneur" autrement.


Je suis rassuré de lire sur votre blog que les enfants adoptés par des couples de même sexe ne seraient les seuls concernés par cette proposition. Mais que se passera-t-il concrètement si le(s) parent(s) biologique(s) refuse le rétablissement de la filiation, ce qui semble le cas le plus probable ? Et pour les cas restants, est-ce que ces situations ne pourraient pas se résoudre par une procédure d'adoption de majeur ?


Sur le sujet, pourquoi ne pas s'inspirer des propositions déjà présentes dans le rapport Théry du début de l'année, balayé d'un revers de main par la droite au nom de l'opposition à la PMA et à la GPA ? Celui-ci préconisait pourtant déjà, en cas d'adoption plénière, de ne garder que l'acte de naissance originel, de maintenir la possibilité d'un lien de filiation avec le père biologique, et de limiter l'adoption plénière aux situations où elle s'avère nécessaire. Ce sont des solutions raisonnables aux quelques aspects "bancals" du texte actuel et exprimées de façon plus adroites.


Veuillez agréer, s'il vous plaît, l'expression de mes sentiments respectueux.

Antoine Rozier

29/09/2014

Enquête sur l'entendement humain, David Hume

Enquête sur l'entendement humain est un célèbre livre du philosophe britannique/écossais David Hume (que j'ai eu l'occasion d'étudier au cours de ma scolarité), dans lequel on peut trouver l'émergence de la pensée sceptique moderne, notamment dans le chapitre sur les miracles.

Le reste de l'ouvrage, beaucoup moins bien connu - excepté par les spécialistes de philosophie -, expose la philosophie empiriste de son auteur, notamment concernant la formation des idées, qui occupe les premières sections de l'ouvrage après une première section consacrée à la philosophie naturelle.

Le chapitre sur les miracles, d'ailleurs, n'occupe qu'à proprement parler que le dernier chapitre, mais il est très important, car c'est de là que vient le texte qui va être à la base de la fameuse "Maxime de Hume", entre autres...

Pour rebondir sur l'auteur, David Hume (1711-1776, cette dernière année étant par coïncidence celle de la publication de la Richesse des Nations de son proche compatriote Adam Smith, et de la déclaration d'indépendance américaine), sachez qu'il est surtout connu pour sa remise en cause de la vision classique de la causalité : selon lui, pour schématiser, c'est l'habitude qui fait que nous percevons des relations de cause à effet entre deux événements. C'est l'une des principales thèses qu'il expose dans Enquête sur l'entendement humain.

Il est également connu pour être l'auteur du célèbre Traité de la Nature Humaine, sur les sentiments et les émotions, et a aussi touché à l'économie. Pour avoir mis en doute l'existence de Dieu, sa candidature à l'université d'Edimbourg sera repoussée.

Bref, c'est un petit livre qu'on peut trouver pour pas très cher en librairie, et qui peut s'avérer tout à fait pertinent même aujourd'hui ! Mieux vaut tout de même s'intéresser réellement au sujet, pour appréhender un style parfois ardu.

27/08/2014

La gauche et les handicapés (partie 1 ?)

Je me suis intéressé aux rapports qu'entretiennent la gauche et les handicapés, notamment en France où ils représentent tout de même 12 millions de personnes soit près de 20 % de la population, et il apparaît clairement que ces relations ne sont ni faciles, ni évidentes.

Au début, je pensais naïvement que la gauche avait fait davantage à l'égard des handicapés, comme pour tout groupe désavantagé, mais les choses semblent être bien plus complexes si l'on se penche sur l'histoire de la législation en vigueur.
C'est en lisant l'entrée « handicap » dans le Dictionnaire de la droite, que j'ai mieux compris. Les principales lois sur le handicap en France (1975 et 2005) ont en effet été votées par la droite. Il y a donc bien eu historiquement une sous-implication relative de la gauche sur ces questions, par rapport à la droite. Le livre en question reconnaît un caractère « étonnant » à cette situation et à cette préoccupation, et l'explique par le fait que le sujet devait tenir à cœur à De Gaulle et à Jacques Chirac pour des raisons personnelles et familiales, mais aussi grâce à l'influence de diverses idées catholiques. J'y rajouterai peut-être des raisons sociologiques, démographiques et électorales liées à cela : les personnes handicapées sont en effet surreprésentées chez les personnes âgées et les familles nombreuses catholiques, deux composantes importantes de l'électorat de droite. Ou peut-être est-ce que les handicapés font moins "peur" à la droite conservatrice que les féministes, les immigrés ou les homosexuels, qu'elle voit comme des menaces à la famille ou à la Nation. Mais il ne faut pas se laisser leurrer : cette acceptation est aussi due à un certain paternalisme.

Du côté de la gauche, on peut supposer que celle-ci se trouvait déjà « surchargée » question groupes minoritaires à défendre, et qu'elle a aussi eu plus ou moins de mal à penser la question (j'y reviendrai). En effet, les mouvements de gauche s'engagent souvent, à raison d'ailleurs, pour défendre les droits des femmes, des immigrés, des LGBT par exemple. On peut aussi comparer cette situation au vote contre les modifications constitutionnelles de 2008, où la gauche a voté contre des idées qu'elle était censée défendre ; ou encore, au vote contre la taxe Tobin par les députés européens d'extrême-gauche.

Bien sûr, tout de même, on trouve des convergences entre la gauche et les handicapés, sur de nombreux points (sur le social, l'insertion sur le marché du travail, entre autres ; côté groupements, on peut citer les sourds socialistes, proches du PS, et il y a tout de même une grande partie des personnes handicapées qui votent à gauche, bien sûr), mais il y a aussi de réels points de convergence avec certains courants de la droite, à ne pas sous-estimer.

C'est récemment la lecture d'un article (et celui-ci, plus court) sur la situation américaine en 2004 (pourtant très différente de la situation française d'aujourd'hui) qui me l'a confirmé.

Je traduirai éventuellement certains passages que je trouve important. Ce qu'on remarque à sa lecture, c'est qu'il y a dans ce mouvement une sympathie plus ou moins importante pour des idées "pro-vie" (anti-avortement thérapeutique et anti-euthanasie, pour faire simple), entre autres, et éventuellement pour des idées sécuritaires, conservatrices, voire libérales – certains mouvements pro-handicapés ont en effet critiqué l'état-providence comme créateur de dépendance, même si ce n'est pas nécessairement une position majoritaire.

Je le dis tout de suite, je ne m'y reconnais pas là-dedans, je tiens à le préciser. De conviction, en effet, je suis plutôt du genre progressiste et libertaire. Je suis personnellement sceptique par rapport à ce genre d'idées, en effet je me sens plus attaché à la notion d'autonomie individuelle telle que défendue ici par Michael Berubé, et je suis ainsi favorable au suicide assisté et au dépistage prénatal (sous certaines conditions très strictes bien entendu) ; c'est là que se situe mon désaccord vis-à-vis des mouvements pro-handicapés décrits dans cet article. Le raisonnement qui sous-tend leur opposition au suicide assisté me semble relever d'un essentialisme dangereux (mais encore une fois, c'est pour le même genre de raison que je me suis opposé à l'abolition de la prostitution, ce qui pourra faire dire à certains que ce n'est pas l'homme de gauche qui écrit ici mais le libéral-social).

La lecture de cet article m'aura au moins appris une chose : que c'est une erreur commune dans la gauche française de ne voir l'euthanasie que comme une question strictement religieuse, alors qu'elle n'est, au fond, pas plus évidente que peuvent l'être la prostitution ou les mères porteuses, dans un autre genre.

Autrement, les remarques qui sont issues de cet article sont largement valables en France aussi. Peut-être même davantage, car à cela s'ajoutent, pour la France, d'autres problèmes additionnels :

- D'une part, la présence d'une droite sociale, d'inspiration gaulliste ou démocrate-chrétienne, comme ailleurs dans d'autres pays en Europe. Je l'ai déjà évoqué.

- Aussi, bien évidemment, l'influence de la psychanalyse, notamment concernant la vision de l'autisme. Hélas, il s'agit d'une influence encore forte sur la gauche française à l'heure actuelle.

- Également, et c'est un point très lié au précédent : le fait que la gauche soit associée aux fonctionnaires et au « conservatisme » ou à l'immobilisme réel ou supposé de leurs milieux, notamment dans l'éducation nationale. En effet, dans l'esprit de nombreuses personnes, à cause de certains événements récurrents, la gauche – ou plutôt l'extrême-gauche, en pratique – est associée à la défense des intérêts des fonctionnaires et des employés publics avant celui de la qualité de leur service (c'est une tendance à laquelle je m'oppose). Et c'est aussi en France que le clivage public/privé est le plus important, sur le plan politique. Comme exemple de tension que cela entraîne, un amendement proposé à la réforme Peillon de l'éducation a été très mal perçu par les associations pro-handicapés. Cet amendement a finalement été abandonné.

- Enfin, et c'est un point beaucoup plus fondamental selon moi : l'immense difficulté, voire l'incapacité franche d'une grande partie de la gauche française à, tout simplement, penser la différence biologique, qui serait forcément synonyme d'inégalité et de hiérarchie – ce qui, dans les faits, est une sorte de prophétie auto-réalisatrice, puisqu'on reconnaît implicitement des sources légitimes d'inégalités et de hiérarchies –, alors que c'est un point à côté duquel on ne peut pas passer concernant le handicap (même lorsque, comme moi, on adhère au modèle social du handicap). Une bonne partie de l'opposition à la loi de 2005 vient de là, à mon avis. J'ai déjà critiqué ce type de raisonnement dans un autre article. Un aspect révélateur de cet état d'esprit est que, dans la pensée de gauche française, les différences biologiques sont systématiquement minimisées, ce qui peut mener certains courants de gauche à prôner une « politique de l'autruche » sur ces questions (par exemple, enlever le mot « race » de la constitution n'enlèvera pas le racisme). C'est à mon avis pour cette raison précise que, contre toute logique (et, notoirement, à l'inverse de la gauche américaine par exemple), beaucoup dans la gauche française, encore aujourd'hui, rejettent l'idée d'une origine biologique au moins partielle de l'homosexualité. J'ai écrit un article à ce sujet.

Pour résoudre ce point-là, on peut se tourner vers le modèle social du handicap et les disability studies (étant donné qu'en tant que cultural studies, il s'agit donc du même genre de concept que les gender studies, ce devrait donc être une arme très efficace contre la droite).

On le voit, la gauche ne devrait en aucun cas négliger la question. D'abord parce que les handicapés, victimes de discriminations, notamment sur le marché du travail, sont autant, voire plus que les autres, victimes du néolibéralisme ; c'est ce qu'explique aussi l'article que j'ai mis ici en lien. Ensuite, la démographie de la France et le vieillissement de la population suggère que la question acquerra de plus en plus d'importance à l'avenir. Enfin, il s'agirait aussi de résister et de faire contrepoids à l'instrumentalisation de la question par une grande partie de la droite catholique, par exemple en admettant qu'il n'est pas particulièrement moral d'avorter un enfant spécifiquement parce qu'il est trisomique, contrairement à ce que pensent beaucoup de laïcs, par exemple Dawkins ou Philippe Dor ; et c'est non seulement Michael Berubé, mais PZ Myers qui m'a suggéré cette idée, il n'est donc pas qu'un gros athée bourrin. La progression des connaissances concernant la part biologique de l'homme est aussi ce qui doit rendre la question pressante pour tous, comme je l'ai déjà suggéré dans un précédent article.


Pour terminer, peut-on simplement espérer une gauche qui, sans angélisme ni utopisme, sans même nécessairement compromettre ses importantes valeurs d'autonomie individuelle et personnelle, défende tous les opprimés quels qu'ils soient et se batte pour l'égalité et la justice, tout simplement ? L'article suggère que c'est loin d'être facile ni évident et détaille pourquoi, mais on peut toujours espérer...


31/07/2014

Petit bilan de mes opinions sur le mariage pour tous et autres questions liées

Si vous ne l'avez pas lu ailleurs sur ce blog, vous devez savoir que je suis pour l'extension du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. Des exemples ici, ici et ici.

Lorsque le débat a éclaté à partir de fin 2012, j'ai très clairement choisi mon camp : celui de l'égalité. J'ai participé à plusieurs manifestations. J'étais venu, naïvement peut-être, défendre le projet de loi d'alors, qui prévoyait d'étendre le mariage et l'adoption aux couples homosexuels.

Je tiens à signaler que je n'ai absolument pas changé d'avis là-dessus. Le mariage pour tous a en effet permis d'affirmer dans le droit l'égale dignité de l'amour homosexuel par rapport à l'amour hétérosexuel, et l'ouverture de l'adoption a permis (ou, pour certains cas malheureusement, aurait dû permettre) la reconnaissance des familles homoparentales déjà existantes, de même que l'idée plus générale que les homos pouvaient être d'aussi bons parents que les hétéros. Ce sont des points qui, je le pense, pourraient faire largement consensus avec un peu de pédagogie.

Le caractère de plus en ridicule, voire burlesque, de l'attitude des opposants au projet, et - il faut le dire - l'homophobie crasse de certains d'entre eux, m'ont d'ailleurs plutôt donné raison dans ma décision de soutenir le projet de loi. Mais après la mi-2013, je me suis de moins en moins impliqué sur cette question. Certes, je regrette l'attitude de Manuel Valls et les renoncements plus généraux du gouvernement français actuel, mais je ne suis à vrai dire pas particulièrement pressé de voir la PMA étendue en France à l'heure actuelle. Contrairement à la précédente, je ne suis pas non plus passé à la Gay Pride de 2014 parce que je savais que l'ambiance allait y être mauvaise.

Pour reprendre depuis le départ, mon soutien au mariage et surtout à l'adoption de même sexe ne s'est pas imposé à moi comme une évidence naturelle, mais résulte au contraire d'une mûre réflexion de ma part ; je n'ai pas pris la question à la légère. Mes premières réflexions sur le sujet datent des premiers débats français autour du "mariage gay", en 2004, à l'époque où je n'étais encore qu'un ado boutonneux. Le mariage ne me posait déjà pas particulièrement de problèmes ; j'étais plus réticent sur l'adoption, ce qui était normal à l'époque, mais cette réticence s'est estompée progressivement lorsque je fus confronté à de meilleurs arguments.

En revanche, ce n'est que beaucoup plus récemment (vers 2012) que je me suis intéressé à la PMA. En particulier, je n'appréciais pas que de part et d'autre, on mélange la question du mariage et de l'adoption avec celle de la PMA (voire avec celle de la GPA), ce qui ne faisait qu'ajouter à la confusion selon moi. La Manif pour tous en a bien joué, d'ailleurs, mais à mon grand désarroi, mon propre camp n'a pas été en reste. Cela m'a donné l'impression qu'en France, dans ce genre de débat, il fallait accepter toutes les opinions d'un camp ou de l'autre sans intermédiaire possible. C'est ce qui explique d'ailleurs, je pense, qu'une vague connaissance que je pensais relativement pro-"mariage gay", aie avoué avoir participé à la Manif pour Tous à cause de son opposition à la PMA et à la GPA. Je n'en ai pas fait tout un foin, d'ailleurs, j'ai juste dit que j'étais en désaccord avec lui.

En l'état actuel des choses, plusieurs facteurs expliquent ma prudence à l'égard de la PMA, et pourquoi j'ai été prudent autrefois avant de me forger mon opinion sur le mariage et l'adoption :

- En ce qui me concerne, j'ai toujours été très sceptique vis-à-vis de l'anonymat des dons de gamètes (il me faudrait probablement un autre article pour expliquer pourquoi en détail). Je suis notamment opposé au principe d'anonymat obligatoire tel qu'il existe en France, et je suis favorable à la levée de l'anonymat des dons de gamètes. Ce n'est pas une opinion marginale, elle est défendue par plusieurs associations (dont une association homoparentale majeure), plusieurs autres pays ont voté des lois allant dans ce sens. A l'appui de ma position, je me suis intéressé aux études sur les enfants issus de PMA, comme ici. Pour la même raison, je suis critique de l'accouchement sous X tel qu'il existe actuellement.

- J'ai progressivement découvert qu'il existait, au sein de l'extrême-gauche sociétale, toute une sale tradition de défense de la liberté des adultes au détriment des droits des enfants. Je ne balance pas de liens, mais c'est assez connu. Et je pense que ce souvenir peut expliquer une bonne partie de l'opposition au mariage pour tous et aux questions associées. La gauche ne doit pas le négliger : elle sait que ses positions sur les questions de société peuvent parfois être son talon d'Achille.

- En 2013, sur Facebook, une amie lesbienne (qui élève elle-même un petit garçon avec une autre femme) m'a mis en garde contre une vision trop idéalisée de l'homoparentalité, qui semble exister dans certains milieux, à cause d'interprétations abusives des études - néanmoins très largement majoritaires, faut-il le préciser - ne montrant aucune différence de développement entre les enfants de familles homoparentales et les enfants de familles hétéroparentales.

- Qu'on ne se trompe pas : au cours des dernières années et des débats qui se sont écoulés, l'énorme majorité des commentaires stupides, haineux et/ou ignorants venaient bel et bien de la Manif pour Tous et des "antis". Mais mon propre camp n'en était pas exempt non plus. Je me souviens avoir entendu un "la liberté de conscience c'est pas dans nos croyances" (à l'époque, c'était contre François Hollande et ses propos sur la "liberté de conscience" des maires, mais hors contexte ça fait quand même froid dans le dos) ou lu des slogans pro-PMA objectivement très mauvais tels que "PMA : mon corps mon choix" ou "un enfant si je veux, quand je veux". Pour devenir l'épouvantail des "antis", on ne pouvait guère rêver mieux.

- Ailleurs aussi, chez certains intellectuels et/ou sur le Net, on trouve de mauvais arguments. A l'heure où les "antis" restent tenaces, il faut prendre garde à ne pas se tirer de balle dans le pied. Daniel Borrillo, dont j'avais donné une critique favorable (malgré des désaccords) de son ouvrage Bioéthique précédemment, semble être l'un de ceux qui persistent à voir en Irène Théry une farouche réactionnaire alors qu'elle a su habilement changer ses positions au cours du temps. Son article Mediapart Oedipe versus Marianne de 2010 me semble être un mélange d'idées pertinentes et d'autres qui me semblent beaucoup plus contestables. Interrogé sur le fait que les associations homoparentales françaises étaient favorables à la levée de l'anonymat des dons de gamètes (ou, au minimum, à un assouplissement de celui-ci) il répond en commentaire :

"Au delà de la manière dont techniquement les enfants adoptifs ou issus d’une AMP pourront disposer de cette information [sur leurs géniteurs], je ne comprends toujours pas pourquoi cette levée de l’anonymat des donneurs doit être une condition à la filiation homoparentale.
Je crois qu'il faut dissocier les problématiques, l'égalité des filiations est une chose, la reconnaissance des origines biologiques en est une autre. L’association de ces questions aujourd’hui me semble répondre à une idéologie naturaliste qui prétend dire quelque part qu'à l'origine de l’homoparentalité se trouve l'hétéroparentalité. Or, depuis des siècles, le droit a clairement distingué la procréation de la filiation. La première est un fait de nature, la deuxième est une création culturelle qui parfois coïncide avec le biologique mais pas nécessairement. Aussi, d'un point de vue pratique, je ne suis pas certain que tous les couples souhaitent que les enfants adoptifs ou issus d’une AMP puissent accéder aux origines biologiques et « imposer » cette présence des géniteurs à leurs familles.
Le plus surprenant de tout cela c’est l’absence du point de vue des principaux intéressés.
Au lieu de demander l’expertise psychanalytique, il vaudrait mieux savoir ce que les personnes directement concernées pensent de tout cela."

A l'origine de l'homoparentalité ne se trouve pas l'hétéroparentalité (sauf peut-être dans un sens strictement biologique ; autrement, personne ne peut le prétendre). Mais la complémentarité des sexes dans la procréation, si. Irène Théry avait donc raison lorsqu'elle écrivait que Borrillo confondait la différence des sexes et l'hétérosexualité. La première est une loi, sinon de notre espèce, du moins de notre société. La seconde est la forme majoritaire de la sexualité humaine, qui a historiquement facilité la perpétuation de l'espèce, sans y être nécessaire de nos jours, de par l'existence des nouvelles techniques de procréation.

Autrement, pour reprendre la fin de son commentaire, en quoi les enfants issus de PMA ne feraient pas partie des "intéressés" en question ?

Un autre genre d'argument douteux vient des groupes pro-PMA radicaux.
Voici ce que l'on peut lire dans la revue des panthères roses, repris par le site OuiOuiOui :

"L’absence des PMA* dans la loi pour le mariage 
pour touTEs sonne comme une redite des 
combats féministes passés pour l’accès à la 
contraception et à l’avortement. Aujourd’hui 
comme hier, l’enjeu est le contrôle du corps des 
femmes et l’intervention obligée d’un homme 
dans le choix d’avoir ou non un enfant. Pour les couples hétéros, la PMA ne pose pas de problème puisqu’un homme reste présent dans la filiation. Ce qui coince pour les lesbiennes et les femmes seules, c’est l’absence de père, c’est la possibilité d’avoir un enfant sans homme." 

Mais justement, il est biologiquement impossible d'avoir un enfant sans homme (du moins sans un être qui a été homme au cours de son existence), sinon les lesbiennes n'auraient pas besoin de PMA et il n'y aurait pas de revendication à vouloir l'étendre. Si les hommes ne donnent pas leur sperme, il n'y a pas de PMA.

Il n'y a pas à dire, je ne me reconnais pas dans cette rhétorique-là.





Malgré tout, je tiens à le préciser, je soutiens l'extension de la PMA aux couples de femmes. Ce n'est certes pas par gaieté de cœur, mais parce que je tiens compte des réalités suivantes :

- D'une part, le caractère bancal du droit français actuel. En ouvrant l'adoption aux couples de même sexe, il a implicitement reconnu le fait que les homosexuels pouvaient être d'aussi bons parents que les hétéros. Cependant, il ne l'a pas reconnu en ce qui concerne la PMA. Celle-ci obéit donc toujours à un modèle pseudo-procréatif et pseudo-médical ; ce serait soi-disant pour pallier à la stérilité du couple. Mais il s'agit d'un mirage. Une PMA ne rend pas fertile un homme stérile, elle permet d'utiliser le sperme d'un autre homme pour féconder un ovule à sa place. L'ouverture de la PMA aux couples de femmes permettrait définitivement de remettre en cause cette conception.

- D'autre part, cela pourrait (paradoxalement ?) permettre le développement de pratiques plus responsables en ce qui concerne l'accès aux techniques procréatives. Au lieu de trajets souvent coûteux et/ou de pratiques hasardeuses, voire dangereuses (risques de transmission de MST pour la mère et l'enfant), on aurait enfin une information plus claire, plus homogène, plus accessible pour tous. Et aussi parce que la culpabilisation a posteriori, dans ce genre de circonstances, n'est bonne pour personne.
De plus, on peut supposer que ce serait également plus positif pour le bien-être futur des enfants qui grandiraient dans de telles familles.

Je suis un peu plus réservé concernant l'ouverture de la PMA aux femmes seules, pas pour des raisons psychanalytiques comme Geneviève Delaisi de Parseval, mais pour deux raisons principalement :

- Un parent seul n'aurait pas les mêmes capacités à faire face aux situations de la vie quotidienne que deux parents.

- Je crains que dissocier aussi clairement la procréation de l'amour entre deux personnes ne soit encore un concept un peu trop radical pour la France d'aujourd'hui.

Pour finir, je suis dans le flou total concernant mes opinions sur la GPA. Il semblerait que même une GPA dite "éthique" doive être payante dans une certaine mesure. La question n'est de toute façon pas à l'ordre du jour. Il n'empêche que je suis favorable à la reconnaissance des GPA pratiquées à l'étranger - de façon à ne pénaliser personne - et je rejoins la décision de la CEDH sur ce dernier point.












19/05/2014

Futurs changements possibles concernant ce blog

J'ai réfléchi à la possibilité de changer un peu la présentation du blog, par exemple changer son titre, sans pour autant changer l'adresse de celui-ci.

En effet, en écrivant pour ce blog, les problèmes que j'ai trouvés ont été les suivants  :

- Ce blog est censé traiter de biologie ou de psychologie, or ni mon travail, ni mon domaine d'études (à l'exception d'un peu de sociologie, et encore) ne me donnent le droit d'écrire beaucoup sur ces sujets. J'ai bien à mes côtés le psychologue belge Jérémy Royaux, qui a écrit un article pour ce blog, mais c'est le seul pour le moment à qui j'ai pu faire appel.
D'autres personnes beaucoup plus qualifiées que moi écrivent déjà sur ces sujets, sur des sites beaucoup plus fréquentés. Les exemples sont trop nombreux, j'ai une liste de blogs à droite, et d'autres articles dans les labels blogliens et sites. Et n'hésitez pas à chercher par vous-mêmes, si vous voulez approfondir le sujet.

- Je pense avoir globalement fait le tour de la critique des raisonnements typiquement français liés à l'inné et à l'acquis. Pour le reste, je vous renvoie à The Blank Slate, de Steven Pinker, livre que je vous conseille vivement, qui aborde la question de façon plus détaillée.

- J'ai de nombreux articles encore en chantier, et je pense en abandonner : certains d'entre eux se voulaient des réponses à des événements qui ne sont plus vraiment d'actualité aujourd'hui, d'autres sont des suites de vieux articles.

Je précise donc que le blog ne va pas s'arrêter tout de suite, loin de là, mais que la présentation devrait en être changée.


05/05/2014

Scientia Salon

Scientia Salon est un blog Wordpress (en anglais) qui aborde principalement le thème de la philosophie des sciences.

Parmi les auteurs, on compte Massimo Pigliucci, connu pour son ancien blog/podcast Rationally Speaking, mais également Alan Sokal, auteur d'un célèbre canular, et d'autres que l'on peut trouver ici.

Entre autres articles intéressants :

- Alan Sokal est à l'origine d'une série de trois articles sur ce qu'est la science selon lui ;

- Massimo Pigliucci critique le scientisme avec plus ou moins de mérite, en réponse à un article de John Shook qui critique les accusations de scientisme régulièrement faites à l'encontre des scientifiques ;

- en rapport avec la fin de l'article précédent, cet article de Pigliucci sur l'eugénisme ;

- cette série de trois articles sur les rapports entre la religion et la science, par David Kyle ;

- ou encore cet article sur la conscience, par Mike Trites.

Le blog est régulièrement mis à jour, et s'annonce assez prometteur...

04/05/2014

L'écologie politique est-elle un courant essentiellement réac ?

Le rapport de certains sceptiques vis-à-vis de l'écologie est assez complexe, beaucoup d'observateurs du mouvement considérant qu'ils ne remplissent pas leur mission ou sortent de leur rôle sur ce point, à cause de certains biais.

Par exemple, depuis un certain temps, on reproche, pour de bonnes et aussi de moins bonnes raisons, à de nombreux sceptiques francophones, et en particulier à l'AFIS, d'avoir un biais "anti-écolo" plus ou moins important qui fausserait d'entrée de jeu leur traitement des questions scientifiques liés à l'environnement. En fait, ce biais virerait carrément à l'obsession. Voilà pour le positif (par opposition au normatif) ; sur le plan normatif donc, ce biais serait sous-tendu par une idéologie scientiste XIXème siècle pouvant être mêlé à un certain progressisme sur d'autres questions, et c'est au nom de cette idéologie qu'ils persisteraient à qualifier l'écologie politique de réac.

Ce serait le cas de Yann Kindo (dont j'avais déjà analysé un article), militant rationaliste, membre de Lutte Ouvrière, qui tient un blog Mediapart, où il critique principalement la psychanalyse et certaines dérives associées à l'écologie. Le blog, apparemment, parle d'ailleurs assez peu de communisme en fait, ce qui a pu faire dire à certains de ses détracteurs que son effort était contre-productif à force de vouloir taper sur ceux qui étaient censés être ses propres alliés.

A vrai dire, nous sommes d'accord sur certains points, par exemple nous sommes tous les deux très critiques vis-à-vis de la psychanalyse, en particulier appliquée à l'autisme. Mais lorsqu'il parle d'écologie, je ne me reconnais pas dans sa démarche. Pas parce que je serais foncièrement en désaccord avec lui, sur certaines questions liées à ce sujet : au contraire, bien que je me sente une certaine fibre écolo, comme beaucoup, après m'être mieux renseigné sur ces questions, je ne suis pas particulièrement anti-nucléaire ni anti-OGM par exemple, ce qui fait que pour certains je ne serai jamais vraiment écolo, d'ailleurs.

C'est plutôt la tonalité de ses articles sur ce thème et la nature de sa démarche qui m'interpelle. Par exemple, il a récemment écrit un article sur José Bové, où il critique l'opposition de celui-ci à la PMA (le contexte actuel rend d'ailleurs le titre un peu trompeur : José Bové est bien opposé à toute forme de PMA, pas seulement pour les couples homos) ; on comprend vite la raison :

"Un des thèmes majeurs de ce blog est de recueillir des données et de développer des arguments  pour montrer que l'écologie politique, et tout particulièrement en son sein le mouvement anti-OGM, sont des courants essentiellement réacs."

Sa méthode, si l'on voit l'historique de ses articles, consiste essentiellement à trouver des "écolos" qui ont des positions réacs sur tel ou tel sujet, puis en conclure apparemment que l'écologie politique dans son ensemble est un courant réac. Si c'est ainsi que Yann Kindo essaie de nous convaincre que l'écologie politique est un courant réac, on peut dire que c'est assez fallacieux. Quitte à franchir le point Godwin, c'est un peu comme si on disait que la défense des animaux était une idée nazie sous prétexte qu'Adolf Hitler a fait passer les lois les plus ambitieuses sur le sujet, pour son époque.

Je vais maintenant argumenter dans le sens contraire de ce qu'il écrit, et pour détailler mon point de vue je vais essayer d'être plus constructif que les commentaires Mediapart auxquels Kindo a habituellement droit.

Tout d'abord, à vrai dire, je ne pense pas qu'il parviendra un jour à démontrer que l'écologie est réac. Mon opinion est que, même si l'écologie avait été "réac" à une époque donnée, il y a beaucoup de positions politiques qui ne sont pas écrites dans le marbre comme étant progressistes ou réactionnaires*. Par exemple, le libre-échange était une idée soutenue par divers mouvements progressistes (ou au moins centre-gauche) au XIXème siècle, aujourd'hui la plupart l'associent à la droite néolibérale. La perception des courants (proto)régionalistes a aussi allègrement navigué selon les endroits et les époques.
De fait, les idées ont une vie après leurs promoteurs initiaux, et les exemples sont très nombreux.

D'ailleurs, l'écologie politique est-elle vraiment née à l'extrême-droite comme certains le prétendent ? Cela semble plus compliqué : en effet, si d'un point de vue moderne, on peut trouver Rousseau ou Henry David Thoreau "réac" sur certains points, il est clair que sur d'autres ce sont des précurseurs évidents de la gauche actuelle. Certes, il y a bien eu l'influence ambigüe du romantisme au XIXème siècle sur les proto-écolos, mais ceux-ci, dans le monde anglo-saxon en tout cas, étaient souvent (déjà !) socialisants (John Ruskin, William Morris, George Bernard Shaw...), et même chez Karl Marx, on peut trouver des passages qui témoignent d'un certain souci pour l'environnement.
De façon générale, assez étonnamment, lorsqu'il critique l'écologie, Yann Kindo passe complètement à côté de (ou feint de ne pas voir) ce qui rapproche les écologistes et la gauche socialiste au sens large. Les écologistes et les socialistes sont deux groupes qui, pour différentes raisons, ne croient pas au marché libre et veulent plus ou moins réguler l'économie. Autrement dit, ils se sont alliés parce qu'ils avaient un adversaire commun : le capitalisme industriel et libéral. Que l'on établisse une filiation hypothétique entre l'écologie politique et l'anticapitalisme de droite n'y change rien.

Ce rapprochement peut même devenir plus profond : d'un côté, les écologistes peuvent trouver que les inégalités sociales n'ont rien de naturel et militer pour davantage de justice, et inversement les socialistes classiques peuvent s'intéresser à certains arguments des écologistes par rapport à la qualité de vie, en particulier celle des classes défavorisées.

Ce rapprochement des socialistes et des écologistes était la partie "facile" ; mais Yann Kindo ne parvient pas à expliquer non plus pourquoi, dans presque tous les pays occidentaux, les partis verts ont eu de nombreuses tendances extrêmement progressistes sur le plan sociétal, plus que les sociaux-démocrates et au moins autant que l'extrême gauche**.
C'est que cette opposition au capitalisme (ou au moins à ses formes les plus libérales) peut s'étendre à une opposition à toute la pensée de droite.
J'ai analysé ce que je pensais de l'opposition gauche-droite dans cet article. Le noyau de la pensée de droite, selon moi, est l'idée que la vie est intrinsèquement difficile, qu'on ne peut pas toujours faire confiance à l'Autre, et que pour continuer à vivre et préserver son identité sur le long terme il faut chercher à se défendre contre le monde extérieur par le travail, par la natalité et par les armes. Or, les écologistes modernes pensent que c'est justement cette attitude qui nuit à l'environnement : le productivisme, la surpopulation, la concurrence effrénée, la recherche inconsidérée du profit et les armes de destruction massive menacent tous la vivabilité à long terme de la planète.

Qu'on ne s'étonne pas si les alliances entre écologistes et pacifistes paraissent alors évidentes. De même, les écologistes actuels, fascinés par la planète dans son entièreté, sont plus facilement universalistes. C'est pourquoi l'approche de l' "écologie" d'extrême-droite, qui est de ne s'intéresser qu'aux écosystèmes locaux, ceux du terroir, devient un non-sens et entre en contradiction profonde avec l'écologie actuelle.

Finalement, il n'y a que sur les questions de société que les positions de la plupart des Verts ne paraissent pas évidentes à première vue, d'autant plus que dans de nombreux pays, elles ont historiquement été les plus radicales parmi les grands partis parlementaires. L'idée principale est que les Verts défendent un "naturalisme subversif" ; pour faire simple, il s'agit d'une remise en question de l'ethos associé à la civilisation judéo-chrétienne, en particulier à la civilisation industrielle, victorienne ; dans ce contexte, défendre les libertés individuelles peut signifier défendre la nature intérieure de l'humain contre les restrictions artificielles imposées par la société.

Un dernier point à soulever est la distinction qu'il faut faire entre l' "ordre naturel" d'une part et la nature, au sens de l'environnement, d'autre part : le premier concept est conservateur, le second pas forcément ; en fait, d'une certaine façon, on peut dire que les écologistes remettent en question la domination de l'Homme sur son environnement, domination que leurs adversaires pourraient qualifier de naturelle !

Bien sûr, l'écologie politique n'est pas à l'abri de certaines contradictions, et un certain "naturalisme conservateur" existe bel et bien. Mais voilà, on ne peut pas dire que l'écologie politique soit un courant essentiellement réac.
Certes, on pourra reprocher aux positions des Verts sur certains sujets tels que les OGM d'être mal informées d'un point de vue empirique, mais peut-on leur reprocher d'être réac ? Dans le sens où le sujet n'a rien à voir avec les inégalités sociales et qu'il y a trop d'interprétations possibles de la question - selon à qui on parle, ça peut être aussi bien l'économie responsable contre l'avidité capitaliste, que la pureté naturelle contre la corruption, que la prospérité contre la bureaucratie, que le progrès contre l'obscurantisme*** - je pense que non.


Bref, parlons un peu de José Bové. Il se dit opposé à toute manipulation sur le vivant, donc à la PMA, par opposition aux dérives auxquelles cela pourrait ouvrir la porte. Je suis forcé de constater que c'est en effet très cohérent avec son opposition aux OGM. Maintenant, gardons à l'esprit que la science à elle seule ne peut pas nous dire s'il est bon ou non d'autoriser ce genre de méthodes, autrement dit, même si José Bové adhérait au consensus scientifique sur les OGM, cela ne ferait aucune différence.

Lorsqu'il dit "je ne crois pas que le droit à l'enfant soit un droit" je pense qu'il a raison, dans un sens très littéral. Je ne pense pas que quiconque ait le droit de demander des gamètes à l'Etat pour faire un gosse, par exemple.

José Bové est-il réac sur ce plan ? Dans un sens littéral, peut-être ; dans un sens politique, pas forcément, c'est difficile à dire. On pourrait dire que sa position n'est pas discriminatoire, puisqu'il s'y oppose aussi pour les hétéros. J'aurais tendance à penser qu'elle se situe hors du clivage gauche-droite, tout simplement (cf. mon raisonnement sur les OGM).
A la limite, on pourrait reprocher à Bové d'adhérer au sophisme de la "pente glissante" :  si on autorise telle ou telle pratique, peu à peu on s'enfoncera dans l'eugénisme...

A l'appui de sa thèse, José Bové cite Jacques Testart. D'après Wikipédia, Testart est un proche de Bové, ce qui expliquerait qu'ils aient pu s'influencer mutuellement. C'est également un décroissant, raison de plus pour que Kindo ne l'apprécie pas (en ce qui me concerne, je suis moi aussi très sceptique par rapport à la décroissance, mais peut-être pas tout à fait pour les mêmes raisons, et surtout je ne la qualifierai pas d'intrinsèquement réac, cf. tout mon raisonnement ci-dessus). Autrement, je ne connais pas très bien les positions de Testart ; j'ai feuilleté son livre Faire des enfants demain en librairie, et je dirais qu'il posait de bonnes questions, sans forcément fournir de bonnes réponses (c'est ce qu'on disait aussi du FN, je sais), en particulier, son idée de résoudre des questions de bioéthique complexe à grands coup de décroissance me semble impossible ou dangereuse.
Je ne prétends pas avoir de réponses à tout cela. Mais on ne peut nier que la PMA pose toute une batterie de questions éthiques. En ce qui me concerne, je suis pour la PMA, mais favorable à une réforme de celle-ci, notamment concernant certains aspects, en tenant compte du fait qu'elle puisse être élargie à d'autres types de couples. Je devrais écrire un ou deux articles à ce sujet, d'ailleurs.

Concernant l'eugénisme... Je ne sais pas si les inquiétudes de Testart sont fondées, n'ayant pas lu son bouquin, mais selon moi, toutes les possibilités de dérives de notre société vers l'eugénisme devraient être sérieusement considérées, quand on se dit de gauche. L'eugénisme est en effet un point sur lequel les valeurs de la gauche peuvent buter, pour finir par disparaître. On l'oublie souvent, mais les partisans de l'eugénisme à la fin du XIXème siècle et au début du XXème étaient fréquemment des progressistes, et pas toujours des "darwinistes sociaux". En pratique, l'eugénisme aboutit à des situations de violente hiérarchie sociale et/ou de suppression de la liberté individuelle et à plus long terme, n'est compatible qu'avec une idéologie d'extrême-droite.
Mais même les possibilités d' "eugénisme inversé" devraient être prises en compte, parce qu'elles pourraient déboucher sur de nouvelles formes de communautarisme ; pour ceux qui se demanderaient comment l' "eugénisme inversé" peut exister, j'ai l'exemple de cette histoire d'un couple de sourds qui ont essayé d'avoir un enfant sourd, grâce à la FIV, à vérifier toutefois...


Pour conclure, j'ai l'impression que Yann Kindo, et d'autres chez les sceptiques, comprennent visiblement mal ce que signifie être écolo. Cela ne signifie pas - ou en tout cas, ne devrait pas signifier - être dans son trip et placer la Nature au-dessus de l'homme, mais simplement se rendre compte que la survie à long terme de l' humanité dépend en grande partie de l'état de l'environnement. Je ne vois pas ce que ça a de réactionnaire de lutter contre le réchauffement climatique, contre les pluies acides, contre le DDT, contre le trou dans la couche d'ozone, contre la déforestation, par exemple ; bien au contraire, je vois cela comme très progressiste !

edit : cet article d'Esther Benbassa réaffirme le soutien d'EELV à la PMA, pour qui en douterait : http://www.huffingtonpost.fr/esther-benbassa/pma-europe-ecologie_b_5265276.html?utm_hp_ref=france

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*Concernant mon rapport à l'idée de progrès, voir ces deux articles.
 **En 1975, voici ce que Lutte Ouvrière disait sur les homos : « Nous pensons que c’est la société bourgeoise qui engendre l’égoïsme, l’individualisme et finalement le mépris pour les autres et les préjugés sociaux, dont le mépris envers les homosexuels fait partie. C’est à ce titre que nous combattons ce préjugé, comme nous combattons tous les autres. Mais il y a une distance entre cette lutte sans réserve contre les préjugés et le fait de parer l’homosexualité de vertus révolutionnaires, comme l’ont fait un certain nombre de « gauchistes », et d’y voir le fin du fin de la lutte contre la morale bourgeoise, en décrétant que l’homosexualité est tout aussi « normale » que l’hétérosexualité et que qui prétend le contraire est un arriéré plein de préjugés. Cela revient à idéaliser ce qui n’est, en très grande partie, qu’un des nombreux comportements aberrants engendrés par la société bourgeoise. » Cette citation est toutefois à remettre dans son contexte (cela a été dit en opposition aux mouvement gays tels que le FHAR qui faisaient volontiers de l'homosexualité une tendance intrinsèquement révolutionnaire ; les positions des mouvements "pro-gay" n'étaient d'ailleurs pas toutes blanches non plus, beaucoup d'entre eux défendant la pédophilie, ce qui les a fait tout autant mal vieillir, pour d'autres raisons).

***et je pense de plus que ce qui fait que quelqu'un est de gauche ou de droite, ce ne sont pas tant ses positions en elles-même que les raisons pour lesquels il les défend.




22/04/2014

De la nécessité d'attaquer la psychanalyse avec des arguments de gauche

Au risque de choquer certains d'entre ceux qui me connaissent via le web, je ne me vois pas comme étant particulièrement de gauche.

Certes, aujourd'hui, je ne me reconnais pas dans la droite, ni même dans le centre français, tels qu'ils existent actuellement, et pas du tout dans les valeurs de l'UMP, par exemple*. Mais je me suis toujours perçu comme étant plus proche du centre-gauche que de l'extrême-gauche ; je me suis défini à différents moments comme étant social-écologiste, Rawlsien, social-démocrate, voire social-libéral à une époque, avant de revenir un peu plus à gauche par la suite.

Je n'ai jamais voté pour des partis d'extrême-gauche, par exemple (même avant d'avoir 18 ans, je ne l'aurais pas fait). Je n'aimais pas la rhétorique, ni le style de la "gauche radicale" et encore moins de l'extrême-gauche, et leur idéologie économique me paraissait extrême, irréaliste voire utopique sur certains points.
J'ai toujours voté vert ou socialiste, selon les circonstances. J'ai même été un temps très proche du PS et de ses organisations, même si aujourd'hui je suis globalement déçu par la politique que ce parti mène au pouvoir, et je trouve Manuel Valls globalement trop à droite pour moi.

Je n'ai pas vraiment changé de positionnement politique lorsque mon opinion sur la psychanalyse a évolué (d'une certaine manière, pour d'autres raisons, je suis même devenu plus à gauche que je ne l'étais avant). Pour moi, la psychanalyse était quelque chose de secondaire, et c'était aux psychanalystes de s'y retrouver, dans leurs théories - et c'est ce que pense encore aujourd'hui, en partie.

Mais il y a une chose en laquelle je crois, en revanche, c'est à la nécessité d'attaquer la psychanalyse** avec des arguments de gauche.

En effet, lorsque les psychanalystes sont attaqués par des individus de droite (ou même par des apolitiques qu'ils rangeront avec), c'est généralement trop facile pour eux de se défendre, parce qu'ils n'ont qu'à réutiliser leurs arguments habituels, et ça fait mouche à tous les coups ou presque.

Alors que lorsqu'ils sont attaqués par la gauche, par des individus de gauche, ils ne sont certes pas aussi surpris aujourd'hui qu'à l'époque où Onfray sortait son livre sur Freud, mais ils restent d'une certaine manière déconcertés, voire mal à l'aise.
Certains d'entre eux ont dans un premier temps refusé de changer d'argumentaire, ce qui les a amené à clairement "disjoncter" et à se mettre à dire n'importe quoi, littéralement tout et son contraire, au prix parfois de leur propre crédibilité ou réputation ; avant de réaliser par la suite leurs erreurs et de tenir un discours de façade plus modéré, quand l'ensemble de la profession chutait encore plus bas : voir par exemple la réaction d'Elisabeth Roudinesco face à Michel Onfray pour s'en convaincre.

De façon générale, c'est seulement avec des arguments de gauche que l'on peut espérer amener les psychanalystes à se remettre en question et à revoir leur argumentation.

C'est aussi une façon de s'adresser à la gauche française dans son ensemble, en lui parlant avec un langage rassurant, familier, afin de l'intéresser à la critique de la psychanalyse, et de ne pas en laisser le monopole à la droite, afin qu'elle se rende enfin compte que l'importance donnée à cette discipline est une impasse, dans plusieurs domaines, et qu'elle revoie sa position en conséquence.
Bon, il se trouve par ailleurs que j'ai été agréablement surpris par l'orientation prise par les gouvernements Hollande concernant l'approche de l'autisme. Mais c'est loin d'être suffisant : d'une part le troisième plan autisme en lui-même est encore très insatisfaisant sur certains points ; d'autre part, aussi timide soit-il, nul doute que pour beaucoup de personnes de gauche, il a été, et continuera d'être vu avec méfiance et mis sur le compte de l'orientation globale du gouvernement de Hollande, déjà impopulaire à la base. D'ailleurs, beaucoup des adversaires du plan autisme (psychanalystes ou non) l'ont associé à une politique libérale, attribué et relié à une orientation générale trop à droite sur le plan économique, ce qui leur a permis, pour le moment, de ne pas avoir à changer d'argumentaire.

Concernant la gauche française, d'ailleurs, qu'en est-il vraiment de son rapport à la psychanalyse ?

Je ne suis pas spécialiste, mais je pense que dans une grande partie de celle-ci, il y a hélas, encore clairement un aveuglement à ce sujet***. Je pense contrairement à d'autres que cet aveuglement n'est pas fondamentalement dû à des facteurs idéologiques, mais à un ensemble d'idées préconçues, et de facteurs plutôt d'ordre historique et/ou sociologique liés à l'après-68 français. Rien d'insurmontable toutefois,  à mon sens.

Car depuis une dizaine d'années, la place de la psychanalyse recule constamment et régulièrement chez les politiques, dans l'opinion et les médias "de gauche", et c'est non seulement dû aux nouveaux débats de société mais aussi grâce à nous, les "anti"-psychanalytiques de gauche. Face à nous, les psychanalystes sont de plus en plus sur la défensive, fracturés, certains d'entre eux essayant péniblement de se démarquer de leurs collègues les plus gênants (suivez mon regard...)

Je pense plus généralement que contre les psychanalystes, il faudrait idéalement faire appel à une stratégie de la spécificité : il s'agirait d'attaquer la psychanalyse sur ce qui lui est spécifique, non seulement par rapport au comportementalisme, mais aussi par rapport à toute autre approche (pas seulement les TCC, donc). Car l'argumentation de nombreux psychanalystes repose implicitement sur une série de faux dilemmes : la psychanalyse ou les TCC, la psychanalyse ou l'ultralibéralisme, la psychanalyse ou le fascisme, etc...

Bien qu'elle ait ses limites et j'en suis conscient, c'est uniquement ce genre de stratégie qui permettrait de ratisser le plus large possible et, au pire, pousserait vraiment les psychanalystes à se reformuler et à se remettre en question, voire à renouveler leurs argumentation pour des débats véritablement intéressants.

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*Dans la charte des valeurs de l'UMP, on trouve des perles telles que : "Nous [...] tenons chacun pour responsable de ses actes, en refusant le déterminisme social." Derrière cette idée simple apparemment de bon sens, on voit bien qu'il s'agit d'un parti qui n'a absolument aucune intention de réduire les inégalités...

**La psychanalyse française actuelle, souvent dogmatique, par rapport à l'autisme par exemple. Dans l'absolu, je ne suis pas "contre" la psychanalyse, je suis juste favorable à une séparation progressive de la psychanalyse et de l'Etat. Je pense que sur des sujets particuliers qui ne font pas l'unanimité chez eux, certains psychanalystes peuvent dire des choses pertinentes et intéressantes, et je peux même être d'accord avec eux. C'est juste que je ne suis pas d'accord avec eux pour les mêmes raisons, et c'est davantage la logique de leur argumentation que je critique.

***Par exemple, la LDH s'est récemment faite sérieusement taper sur les doigts par plusieurs assos pour son soutien affiché au film de Mariana Otero, Un Ciel Ouvert. Film qui, que ce soit par sa réalisation, sa production ou son accueil critique par la presse, est un bon exemple d'illustration récente de cet aveuglement collectif.

18/03/2014

L'histoire de mon rapport à la psychanalyse

Comme beaucoup de français, j'ai longtemps eu une image positive de la psychanalyse ; Sigmund Freud n'était-il pas celui qui avait découvert l'inconscient (et d'ailleurs, comment, aujourd'hui, peut-on encore nier l'existence de l'inconscient) ? N'avait-il pas remis en question l'ancienne conception rigoriste, judéo-chrétienne de la sexualité, mis en évidence ses effets nocifs, et découvert la place essentielle de la sexualité au centre de la vie psychique ? S'opposer à la psychanalyse, n'était-ce pas être réactionnaire et/ou rétrograde ?

Petit à petit, mes convictions sur le sujet ont commencé à vaciller. En m'intéressant à la philosophie, j'ai découvert que le grand philosophe des sciences, Karl Popper, considérait la psychanalyse comme une pseudo-science car ses concepts n'étaient pas réfutables et que les psychanalystes utilisaient (et justifiaient l'usage de) l'ad hominem pour répondre aux critiques. A l'époque, je pensais que les critiques que Popper adressaient à Freud étaient surtout dues aux penchants conservateurs du premier (sans réaliser, à l'époque, que je tombais moi-même dans le piège des psychanalystes !)...

En terminale, j'ai appris en philosophie - dans un cours pourtant plutôt complaisant à l'égard de Freud - que celui-ci n'avait pas été le pionnier de la notion d'inconscient ; en effet, cet honneur semble incomber à Leibniz. La notion freudienne d'inconscient est en fait beaucoup plus spécifique, puisqu'elle est basée sur le concept de "refoulement". A partir de là, ma curiosité naturelle m'a poussé à nourrir davantage d'interrogations et de doutes à l'égard de la psychanalyse et de ses méthodes, mais uniquement en tant que philosophie, lorsqu'il fallait réviser le sujet.

Tout a réellement commencé à basculer en 2010, lorsque Michel Onfray - philosophe athée radical, qu'il serait franchement malhonnête de classer à droite, qu'on soit ou non d'accord avec lui - a sorti son ouvrage sur Freud, intitulé Le Crépuscule d'une idole : L'Affabulation freudienne ; à ce moment-là, pour diverses raisons, je commençais également à m'intéresser au scepticisme, au rationalisme moderne, aux critiques du créationnisme. Et j'étais d'abord surpris de découvrir que des individus peu suspects d'en vouloir à la laïcité ou même d'être de droite reprenaient les critiques de Popper et d'autres à l'égard de la psychanalyse.
Au final, j'ai trouvé malhonnêtes les critiques négatives de ce livre dans la presse, et la suite des événements m'a renforcé dans mon impression. 
Un ou deux ans plus tard, le livre d'Onfray était présent à la bibliothèque de mon université. Je l'ai finalement lu partiellement, lorsque j'en ai eu l'occasion ; je ne l'ai pas acheté, car ce qui m'intéressait avant tout c'était la critique de la psychanalyse en général, et pas de Freud en particulier.

A ce moment-là, Le Livre Noir de la Psychanalyse avait aussi été réédité. En 2005, lorsqu'il est sorti pour la première fois, j'étais un peu jeune pour m'intéresser à la polémique autour de ce livre, puisque c'était ma première année de lycée (celle qui s'appelle la Seconde...). En 2010, mes centres d'intérêt avaient évolué, et mon ouverture sur le monde aussi, puisque j'avais maintenant un ordi connecté à Internet avec une bonne connexion et que je faisais autre chose que de me connecter en boucle sur MSN et au plus deux-trois sites, entre autres. 
Bref. J'ai acheté ce livre en librairie, en même temps que L'Interprétation des Rêves, de façon à laisser sa chance au vieux barbu viennois - pour l'anecdote, il s'agit de l'édition des puf, celle qu'Elisabeth Roudinesco jugeait "illisible" ; à l'époque, je ne le savais pas, je ne faisais que me fier aux prix, mais maintenant j'en suis d'autant plus content !
Je n'ai pas été déçu. Les critiques à l'égard de la méthodologie de Freud étaient amplement justifiées, le récit de L'Interprétation des Rêves venant confirmer certaines des critiques du Livre Noir. La lecture de ce livre m'a poussé à vérifier les informations que celui-ci contenait : sur les critiques, sur l'autisme, sur le statut de la psychanalyse à l'étranger, force est de constater que le Livre Noir dit vrai, les sources étant trop nombreuses pour toutes les citer.

J'en ai d'ailleurs déduit la conclusion qui s'imposait : si la psychanalyse est abandonnée dans la plupart des pays civilisés, alors elle n'est pas nécessaire au progrès sociétal. De fait, les psychanalystes ont été dans leur grande majorité incapables d'anticiper les évolutions de la société.

Mieux encore : mes expériences ultérieures m'ont suggéré que la psychanalyse pouvait être nuisible au progrès sociétal, pour plusieurs raisons.

D'abord, de part mes lectures, je me suis rendu compte que beaucoup de psychanalystes (mais pas tous) étaient conservateurs, et j'ai compris que c'était une position somme toute assez logique, étant donné la place que tiennent généralement la différence des sexes, la famille et l' "ordre symbolique" dans ce système de pensée. Cet état d'esprit conservateur s'infiltre partout où il peut être reçu et récupéré : Manif pour tous, Printemps français, etc... Est-ce un hasard si la France a été jusqu'ici le pays européen dans lequel la réaction face à ce projet de réforme sociétale a été la plus violente ? Je ne pense pas, et on ne pourra pas dire que les psychanalystes ne pouvaient pas savoir.

Ensuite, j'ai réalisé que les arguments utilisés par les psychanalystes progressistes étaient parfois d'une grande malhonnêteté intellectuelle, quand ce n'était pas tout simplement du pur non-sens. Pour les progressistes, les employer devrait relever de la "balle dans le pied" et pourtant les politiques de gauche, désespérément franco-centrés, le font toujours, en France, quand leurs adversaires de droite font appel, certes n'importe comment, à des penseurs beaucoup plus intéressants comme John Rawls, qui est tout à fait le genre de philosophe qu'il faudrait mobiliser, et de la bonne façon, lors de ces débats. C'est préoccupant, car cela peut donner l'illusion à une partie du public que le mariage pour tous, par exemple, est une réforme qui ne peut être défendue qu'avec des arguments intellectuels élitistes, incompréhensibles ou vides de sens, alors qu'il s'agit d'un concept très simple à comprendre. De fait, aujourd'hui, l'interdiction de l'esclavage ou le droit de vote des femmes nous semblent être des évidences, pourtant on n'a pas attendus les théoriciens post-coloniaux ou Judith Butler pour les faire passer dans la loi et réaliser leur justesse. Je caricature un peu, mais cela montre bien que les psychanalystes ne sont pas très utiles dans ces débats.
Pour résumer : les psychanalystes progressistes ne sont pas progressistes parce qu'ils sont psychanalystes, mais parce qu'ils sont progressistes.

Enfin, la psychanalyse et la conception psychanalytique de l'humain, même purgées de leurs aspects les plus conservateurs, ne sont pas intrinsèquement progressistes pour autant. Par exemple, le dogmatisme, voire l'obscurantisme de certains psychanalystes et leur attachement à leur logique psychanalytique - que j'ai déjà eu l'occasion de critiquer dans d'autres articles - , favorisent une attitude anti-scientifique, ou une certaine "politique de l'autruche" (attitude qui peut s'étendre à une grande partie des sciences sociales) lorsque d'autres disciplines se développent en parallèle, sous couvert de dénonciation du libéralisme ou de dérives possibles. C'est le genre de position qui fragilise le camp progressiste au lieu de le renforcer ; en effet, au lieu de modifier son argumentaire au gré des découvertes, celui-ci reste arc-bouté sur une posture morale inefficace car sans conséquence, potentiellement en décalage avec son propre électorat.
De plus, mon point de vue - mais peut-être est-il dû à une mauvaise interprétation de ma part - est que la psychanalyse prend appui sur un cadre implicitement très "rousseauiste", dans lequel le Désir, le "Ça", est forcément bon ou créatif et le "Surmoi" source de contraintes. C'est une idée qui, si je me souviens bien, est partiellement contredite par de nouvelles découvertes en biologie et psychologie. Non, ce qui vient de l'intérieur de l'homme n'est pas forcément bon ; nos préjugés ne sont peut-être pas dus qu'à la façon dont nous avons été élevés, mais pourraient être présents en nous dès la naissance, voire avant.
Ce genre d'éléments invite fortement la gauche française à changer de paradigme par rapport aux questions de société, sans forcément changer de positions sur tout, mais au moins à reconsidérer l'importance de la société, des normes sociales, par rapport à ce qui nous permet de vivre ensemble. "Aller à l'idéal et comprendre le réel", disait Jean Jaurès. Seule une bonne image de la réalité nous permettra de rester progressistes, car l'utopie peut vite devenir réactionnaire.