24/02/2013

"Hangout" scepticisme et athéisme (mes activités sur le net)

Aujourd'hui même à 16 heures, j'ai participé à une discussion en ligne en compagnie de Jean-Michel Abrassart, célèbre sceptique francophone, sur des sujets tels que le scepticisme, la façon dont on y est parvenu, et l'athéisme. La vidéo est ici :

https://www.youtube.com/watch?v=imx6_SquckY&feature=youtu.be


Je suis le deuxième en bas à gauche.

18/02/2013

Concernant une lettre ouverte à la ministre de la Santé

Sur le site du psychanalyste Michel Balat, a été publiée, il y a une semaine, une lettre d'un certain Collectif Autisme Sud-Ouest (aucun rapport avec le Collectif Autisme à l'échelle nationale, semble-t-il*), adressée à Marisol Touraine, ministre française de la Santé et des Affaires Sociales : http://www.balat.fr/Lettre-ouverte-a-Madame-la.html.

Cet article est intéressant, tant il montre à quel point les psychanalystes en sont dans leurs derniers retranchements argumentatifs, à force de reprendre toujours les mêmes points qui masquent à peine une logique purement corporatiste.


Commençons par le début :

Les choses sont posées par la critique franche du documentaire Le cerveau d'Hugo passé le 27 novembre dernier sur France 2 ; pour détailler un peu, celui-ci prenait la forme d'un docu-fiction au sujet de Hugo, un enfant autiste de haut niveau qui finit par devenir pianiste renommé, malgré ses grosses difficultés d'adaptation sociale. Le film, pour la première fois en France, donna la parole à plusieurs autistes et parents de familles différentes lors d'interludes durant le film. Vu par plus de 3 millions de personnes - sans compter ceux qui l'ont vu en replay -, il constitua également un record inattendu d'audience pour France 2. Il a été acclamé à peu près partout, et - je le précise à l'attention de ces psychanalystes -, y compris - et fort heureusement, d'ailleurs ! en fait, c'est loin de me déplaire - dans la presse de gauche (Télérama en tout cas, qui pourtant est plutôt pro-psychanalyse en général).

Ici, les auteurs se disent carrément "très choqués" par la diffusion du film ! A vrai dire, plusieurs d'entre nous s'attendaient à ce genre de réaction de la part de pro-psychanalyse, mais ils ont quand même pris leur temps : près de trois mois se sont écoulés depuis la diffusion du film, en effet...

On poursuit avec la défense de chapelle qui, par certains aspects, (et cela vaut aussi pour la suite) rappelle étrangement l'approche "Teach the controversy" et l'Intelligent Design à propos de l'enseignement de l'évolution aux Etats-Unis - de part l'invocation suspecte qui y est faite de l'explication "multifactorielle" ou du principe de "pluridisciplinarité" - auxquels je ne m'oppose pas fondamentalement, mais qui sont systématiquement employés avec des sous-entendus par les psychanalystes.  Par ailleurs, le fait d'attirer l'attention sur le cas des autistes "de bas niveau", s'il est probablement l'un des seuls mérites de l'article, est aussi une façade pour cacher la vacuité générale du contenu. En particulier, ce passage :

"Mais les personnes autistes que nous recevons dans nos établissements ne leur ressemblent en rien et continuent à rester en marge des études scientifiques comme des medias."

C'est peut-être vrai en France (encore que ! ce genre de phrase est à double tranchant, on peut en effet se demander si les psychanalystes eux-mêmes ne sont pas au moins partiellement responsables de cette situation), beaucoup moins dans un bonne partie du reste du monde grâce à des recherches scientifiques autrement plus abouties.

Le paragraphe accuse carrément la télévision de participer à la "falsification de la réalité" et dénonce une mystérieuse "cabale" - en fait une théorie du complot à peine voilée. La position, imparfaite certes, mais courageuse du documentaire et de la chaîne mériterait fort d'être saluée, plutôt que dénigrée de la sorte.

La lettre continue avec la dénonciation des pratiques de la HAS. De façon générale, lorsqu'elle critique des études (ou défend des théories), elle est extrêmement peu sourcée ; ses infos sont donc à prendre avec de grosses pincettes. Ils en profitent donc, comme d'habitude, pour faire une diversion bien pratique sur l'ABA et les thérapies comportementales en général, sans préciser qu'il ne s'agit pas des seules alternatives à la psychanalyse - alternatives qui ne sont jamais mentionnées, d'ailleurs. Une défense en bonne et due forme de la psychanalyse, en toute logique, aurait dû s'y attaquer.

Quant à l'ABA, comme d'habitude, elle est - mais je peux me tromper - décrite et critiquée telle qu'elle était pratiquée il y a 20 ou 30 ans, pas telle qu'elle est aujourd'hui. Ce glissement très maladroit vers le terrain de l'éthique m'amène également à aborder le sempiternel problème dit "de la paille et de la poutre" concernant ces questions, quand on lit par exemple la phrase suivante :

il n’en reste pas moins vrai que ce renforcement aversif (contrainte corporelle intensive) est encore en vigueur à l’heure actuelle et revendiqué pour son efficacité « dans les cas extrêmes »"

qui pourrait très bien s'appliquer au packing.

Et tout autant, par ailleurs, au sujet du manque de fiabilité des études menées, où les psychanalystes n'ont franchement pas de leçons à donner à leurs collègues comportementalistes, loin de là ! Cette lettre elle-même en est un exemple flagrant (voir la suite !), mais cela fait aussi partie de leur discours plus général...

La critique des comportementalistes emploie également un langage très chargé. A ce sujet, comme pour d'autres exemples similaires, il est intéressant de voir à quel point des défenseurs auto-proclamés de la liberté n'ont, en pratique, aucune idée de ce que ce mot signifie. Ainsi, le simple fait d'utiliser sa liberté d'expression pour critiquer le fait qu'une formation proposée ne corresponde pas aux recommandations de la HAS est assimilé à du totalitarisme !

Passons au prochain paragraphe :

"Nulle part, les experts n’évoquent l’angoisse, la souffrance psychique qui habitent ces sujets en permanence et ne la prennent en compte. On cherche à la juguler par ces programmes de conditionnement. La séquence fiction-réalité sur le jeune pianiste "Hugo" (France 2) montre bien pourtant ces bouffées terrifiantes qui assaillent ce garçon. N’aurions-nous donc rien d’autre à proposer que ce spray d’ocytocine pour favoriser ce lien à l’autre ? Ne voir que l’aspect neurologique de cette affection, d’ailleurs non encore prouvé même s’il est probable chez un certain nombre d’entre eux, ne justifie en rien le rejet d’une approche multifactorielle pour ces jeunes. On ne peut qu’être d’accord sur les volets cognitifs à travailler avec eux mais ne penser leur évolution qu’en termes de QI paraît bien réducteur de la personne. Nous soutenons qu’il est fondamental de redonner du sens aux actes, aux comportements, aux émotions, aux ressentis violents que ces patients nous expriment, de refaire du lien psychique, de les aider à habiter leur corps. Cela leur permet aussi de se sentir entendus et non objets de manipulation."

La première phrase est de toute évidence un mensonge flagrant. Les relations comorbides qui peuvent éventuellement exister entre l'autisme et l'anxiété, les troubles bipolaires ou la dépression sont bien connues et documentées. Le reste du paragraphe est un mélange grossier d'exagération (ou "strawman"), de ligne défensive, et de tendance à ne voir l'autisme que sous l'angle de la souffrance, c'est-à-dire de la pathologie et de la maladie.
On rencontre de nouveau l'idée que les psychanalystes auraient, quelque part, un "monopole" sur l'écoute du patient. C'est faux (l'idée que les TCC ne s'intéresseraient pas à cela est un mythe), et je peux même prouver que les psychanalystes ne peuvent être meilleurs que les autres à cette tâche. En effet, il n'existe pas d'écoute pure ; tout ce que l'on écoute, que l'on remarque, est donc forcément interprété à travers le prisme de théories. C'est par exemple le cas lorsqu'ils parlent de "faire du lien psychique" ou d' "habiter [un] corps", ou d'autres exemples plus lourds de conséquences. L'important est de savoir si la théorie est plus ou moins fidèle à la réalité, et comment elle pourrait être contredite par des observations ultérieures. Cette prétention des psychanalystes est donc tout simplement arrogante.

Pour revenir au passage sur la souffrance, je dirais que cette focalisation est le signe d'un état d'esprit conservateur (pensons à Boutin et ses homosexuels qui souffrent, lors des débats sur le PaCS), incompatible avec l'idée de neurodiversité. En fait, je pense qu'il faudrait en finir avec cette tendance, qu'elle vienne des psychanalystes - ou même des comportementalistes, d'ailleurs -, à ne voir dans l'autisme que la souffrance, alors qu'il faudrait surtout y voir une différence ; c'est complètement contre-productif et misérabiliste. En ce sens, le documentaire, par ses divers témoignages, est un vrai bol d'air.

La suite :

"Repensons plutôt le soin avec le triptyque "soin-éducation-scolarisation" qui ne déstructurerait pas l’institution soignante, déjà très ébranlée, ni le patient, ni les parents. Les soins dits "éclectiques" qui se pratiquent de plus en plus, faute de financement suffisant dans l’hospitalier et le médico-social sont dénoncés par la HAS comme étant inefficaces. Pourquoi ne pas redonner du souffle aux structures soignantes qui œuvrent dans la cohérence et non dans l’écartèlement auquel on ne peut que soumettre le sujet avec des approches aussi contradictoires ?"

Je suis assez surpris (ou pas ?) de ce raisonnement assez conservateur, jusque dans le vocabulaire utilisé. C'est dans ce genre de passage que ces psychanalystes révèlent leur vrai visage, corporatiste à souhait.

Je trouve aussi surprenant que de telles personnes censées dénoncer la normalisation défendent à ce point une logique de soin, qui suppose qu'il y a quelque chose à soigner, donc indirectement une logique de normalisation !

Le prochain paragraphe parle de ce que j'appelle les "ateliers d'occupation" ; j'avoue ne pas être suffisamment compétent à ce sujet, mais j'ai entendu dire que c'était un gros gâchis. Le début de la première phrase :

"Les approches qui s’inscrivent dans la lignée de la pensée pédopsychiatrique française et qui sont sans cesse remaniées en fonction des nouvelles théorisations"

C'est, là aussi, assez surprenant, à vrai dire. Qu'est-on censé comprendre, au juste ? Que la "pensée pédopsychiatrique française" mériterait d'être conservée justement parce qu'elle est française, ou plus adaptée au contexte national, à nos autistes à nous, qui ne sont pas les mêmes que dans les autres pays ? Ne peut-on pas qualifier cela de chauvinisme ou d'ethno-particularisme ? Ainsi, la France aurait sa propre vision des choses, ses propres traditions à respecter ? Par ailleurs, je suis content d'apprendre que ces théories sont "remaniées en fonction des nouvelles théorisations" mais j'aimerais bien qu'elles le soient aussi en fonction des nouveaux résultats...


"Des lieux spécifiques servent à l’apaisement des angoisses corporelles et à la structuration de l’image du corps, que nous sommes les seuls à avoir théorisée. Ils servent à les amener à passer de la sensation dans laquelle ils sont enfermés, à la représentation intériorisée du corps grâce au travail d’équivalences corporelles du dedans/dehors, de l’enveloppement, de la tenue, de l’inscription de souvenirs partagés, etc... ;"

Le fait qu'ils aient été les seuls à les avoir théorisés ne veut pas dire qu'ils ont raison. Encore un exemple parmi d'autres d'une version soft du syndrome de Galilée. Notez comment le packing est évoqué de façon subliminale, mais positive. De façon générale, ces personnes semblent avoir certaines difficultés à comprendre que ce n'est pas parce qu'ils théorisent quelque chose qu'ils ont raison à ce sujet, encore faut-il passer à l'épreuve des faits.


La scolarisation, les techniques éducatives (apprentissages, autonomie) et cognitives ne sont pas oubliées. Nombreux sont ceux qui utilisent le PECS ou le MAKATON (pas assez encore, sans doute) qui apaisent aussi ces patients en mal de communication. Ils en comprennent vite le sens, ce qui permet de mettre en place de vrais échanges. Ces techniques et d’autres approches cognitives qu’on peut adapter à chacun d’entre eux l’aident à structurer temps et espace et deviennent des outils précieux s’ils tiennent compte et du rythme et de l’intérêt du patient avant tout ;

Ce serait rassurant, si seulement c'était vrai (d'après mes infos, ça ne l'est pas)...

Le dernier petit paragraphe est au sujet des parents ; le contenu, pris littéralement, est en fait assez consensuel, mais on ne peut s'empêcher de penser au trope Suspiciously Specific Denial en le lisant, ce qui n'augure rien de bon.

La dernière grande partie est intitulée "un enjeu économique". On y lit des passages pour le moins surprenants, tels que :

"Nos techniques sont beaucoup moins coûteuses [qu'une certaine approche comportementaliste critiquée] et elles soignent, jour après jour tous ces patients, qu’ils soient Asperger, avec TED et (ou) troubles associés sensoriels ou neurologiques."


en parlant d'une prise en charge qui aurait été dénoncée par la HAS en 2012 ! On est carrément au niveau de l' Insane Troll Logic, là ! Je sais qu'il y en a que cela va faire rire ou pleurer, selon les cas...

Pour se défendre, ils s'appuient sur le même discours que d'habitude, concernant toujours les mêmes cas vaguement anecdotiques, sans jamais citer rien de concret.

Il est aussi absolument effarant de voir comment le paragraphe sur les pressions politiques peut être aussi aisément retourné. Il est en effet très tentant de voir ces psychanalystes comme étant l'égal des "lobbies" qu'ils prétendent dénoncer ; ou encore ce passage :

"Il s’agirait de rassembler et d’intégrer dans ces approches la totalité du sujet et non sa partie à rééduquer et qu’y soit reconnue la part souffrante de ces enfants [...]."

que l'on pourrait tout à fait transformer ainsi :

"Il s’agirait de rassembler et d’intégrer dans ces approches la totalité du sujet et non sa partie à soigner et qu’y soit reconnue la part capable de ces enfants [...]."

Le paragraphe suivant est plus ou moins hors-sujet, en tout cas je ne vois pas le rapport avec le reste du texte, personnellement.

Le dernier :

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Madame la Ministre, de veiller à ce que la pression des lobbies évoqués plus haut n’empêche pas celle de notre propre lobby

Oups, ce n'était pas ça, excusez-moi... Il n'empêche que la phrase suivante (après celle-ci) est l'expression-même du corporatisme à l'état pur, qui se traduit ici par un attachement à un type particulier de profession même quand celui-ci n'est plus adapté aux nouveaux savoirs accumulés.

Ne nous méprenons pas : la déconsidération des psychologues du public (ou même de toute autre profession du public), est un problème réel, mais je pense qu'ils y apportent une mauvaise solution. Un peu de pédagogie, voire plus, sera certainement nécessaire, pour que s'installe l'idée d'une reconversion, d'un changement de paradigme, pour que les psychologues soient à la fois respectés et mis au service du public de la meilleure façon possible.

En effet, le mode de fonctionnement actuel, de part le type de savoir employé, très décalé par rapport aux autres pays (et à l'origine de véritables souffrances pour les familles), ne favorise pas le respect des psychologues, qui se sentent souvent visés personnellement alors que ce sont leurs théories qui seraient à remettre en question. Ils devraient réfléchir à cela, pour mieux comprendre la vraie situation à l'heure actuelle.


En résumé, on a donc affaire à un magnifique exemple de conservatisme corporatiste, qui dénonce de soi-disant complots, s'appuie sur des preuves anecdotiques, des faussetés flagrantes et de la pseudo-science, bourré d'hypocrisie (par exemple lorsqu'il s'agit d'écouter les autistes, sauf lorsqu'ils disent des choses qui ne correspondent pas aux théories que l'on défend ; ou le passage sur les preuves), qui défend le soin comme méthode de normalisation, et qui prône le "pluralisme" presque uniquement avec des théories qu'on a soi-même élaborées. On a donc affaire à un vernis, à un revêtement d'idéologie pour masquer un intérêt corporatiste peu avouable directement. Du grand art.

Il s'agira maintenant de mener la contre-attaque auprès de nos chers ministres, pour ne pas qu'ils se laissent abuser par ce genre de rhétorique facile, et faire entendre notre voix et celle de la science.



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* En fait, c'est très étrange : quand je tape "Collectif Autisme Sud-Ouest" dans Google, les premiers liens qui ressortent pointent vers une copie de cette lettre ouverte, ce qui suggère que cette entité n'existe pas réellement.

10/02/2013

Commentaire sur l'article de Yann Kindo (ou l'inné, l'acquis, et l'étrange logique française)

(C'est un article que je reposterai peut-être sur mon nouveau blog politique)

Yann Kindo a récemment écrit un article, lui-même la réponse à un article de Michael Shermer, sur les idées pseudo-scientifiques à gauche de l'échiquier politique que ce soit aux Etats-Unis ou en France [3]. Je vous le recommande d'ailleurs, même si je ne suis pas marxiste contrairement à lui (Kindo).


D'ailleurs, je n'ai pas pu résister à la tentation de vous en commenter certains passages :

Après nous avoir présenté l'article de Shermer, il nous révèle (ou non) que les choses sont loin d'être simples en France aussi, y compris sur des sujets tels que l'évolution, le réchauffement climatique ou les cellules-souches. Voici ce qu'il nous dit par exemple sur l'évolution :

Là, j'ai pas de données précises comme l'enquête de Dominique Guillo évoquée dans le lien précédent, mais sans même remonter jusqu'à la crise lyssenkiste des années 1950, on sent bien chez pas mal de gens de gauche, même parfois étiquetés marxistes, des réticences  vis-à-vis du darwinisme, pour des raisons purement idéologiques (« oh ben non, quand même, ces histoires de concurrence pour la survie et de sélection naturelle, c'est pas cool »). Je me demande si, dans le cas français, ce n'est pas aggravé par l'influence du structuralisme et d'une pensée sociale non évolutionniste, qui pèse largement dans les rangs de la gauche –  je dis bien : « je me demande », je ne saurais ni le mesurer ni le prouver...

D'une part : cela montre bien que la droite conservatrice n'a pas le monopole du rejet des théories scientifiques parce qu'elles ne correspondraient pas à son idéologie. On voit également que la "naturalistic fallacy" (que Yann Kindo expose d'ailleurs lui-même vers la fin de son texte) et son opposé, la "moralistic fallacy", interviennent des deux côtés de l'échiquier (pour différentes raisons, toutefois). Ici, cette dernière consiste à dire que, puisque le darwinisme véhicule de mauvaises idées, alors il a forcément tort quelque part.

Concernant le structuralisme : pour le peu que j'en connais, son incapacité à envisager l'évolution des "lois d'association et de dissociation" est effectivement un défaut majeur ; et il a été beaucoup critiqué par Noam Chomsky par exemple. Et ses étranges héritiers que sont le post-structuralisme et la déconstruction (qui l'ont beaucoup critiqué également) se sont révélées être des impasses flagrantes de part leur manque de rigueur, voire leur caractère ouvertement anti-scientifique.

La gauche, à mon sens, mériterait davantage d'être sensibilisé aux apports les plus récents des théories des systèmes et de l'information, par exemple.

Il poursuit :


"Lorsque l'on parle psychologie, la gauche, tout particulièrement hexagonale, est encore profondément marquée par des conceptions préscientifiques voire antiscientifiques, dans le genre de la psychanalyse, et refuse généralement toute forme de « psychologie évolutionniste ». C'est ce que dit Shermer, en parlant des « créationnistes cognitifs », qu'il définit comme «  ceux qui acceptent le darwinisme pour le corps mais pas pour l'esprit ». Shermer a raison de souligner que la vison de l'esprit humain comme étant un pur produit d'une culture, une pure construction sociale, et non partiellement le fait d'un déterminisme biologique ou d'une sélection darwinienne, est une idée dominante à gauche, et probablement uniquement là. Je ne connais pas très bien le sujet, je ne suis pas sûr que la « psychologie évolutionniste » initiée par Steven Pinker ait abouti à des résultats vraiment convaincants. J'en sais rien, pour tout dire. Par contre, ce que je connais, de par mon expérience, c'est un refus à peu près général à gauche d'aborder ces phénomène sous un autre angle que la construction sociale. Ce qui est au moins partiellement anti-scientifique. Essayez en France  d'expliquer à quelqu'un de gauche qu'il y a quand même de bonnes chances pour  que les préférences sexuelles aient largement une origine biologique interprétable dans un cadre darwinien, et on vous regardera probablement d'un drôle d'air – les plus progressistes invoquant l'idée étrange d'un « choix » de l'individu, et les plus réacs encore marqués par le freudisme s'interrogeant par exemple sur le rôle d'une mère trop envahissante pour expliquer l'homosexualité masculine."


Ce passage est, de mon point de vue, tellement important qu'il me force à faire un aparté qui devait à l'origine constituer un article entier.

Ici, Yann Kindo a raison de souligner (tout en avouant son incompétence concernant la psychologie évolutionniste, ce qui est également mon cas, et à vrai dire, j'ai même des a priori négatifs à ce sujet) à quel point, en France, ce dogme du constructionnisme social - entendu comme la préférence pour les causes sociales - atteint des proportions carrément absurdes, et aboutit même à des types de raisonnements (lus y compris sur des forums, de la part de personnes relativement jeunes) qui seraient vus comme proprement aberrants à l'étranger, à la limite de la balle dans le pied.

Toutefois, il convient de souligner, d'après mon expérience personnelle, que ce "quelqu'un de gauche" sera aujourd'hui plus probablement un "intellectuel" établi qu'un électeur de gauche ou LGBT lambda, qui auront plus de chances de se foutre totalement de la question ou d'être moins stupides que leurs "élites" supposées, surtout si ce sont de jeunes progressistes peu politisés par ailleurs.*

A ce sujet, il est notoire qu'aux Etats-Unis, penser que l'homosexualité est un "choix" ou le résultat d'un apprentissage, est corrélé avec une moins grande acceptation de celle-ci, alors que ceux qui pensent que les homosexuels sont "nés comme ça" sont réputés plus ouverts.* [1]

Je me suis toujours demandé ce qui expliquait la prégnance grotesque de ce type de raisonnement en France ; il semblerait qu'il y ait d'une part, évidemment, l'influence de la psychanalyse et de son idée étonnante de "choix inconscient"; d'autre part, il semblerait que, contrairement aux Etats-Unis, les idées eugénistes n'aient pas vraiment disparu à droite, en tout cas si l'on en croit les déclarations de Nicolas Sarkozy en 2007 face à Michel Onfray, pour Philosophie magazine.

Rétrospectivement d'ailleurs, toute cette affaire a quelque chose d'assez bizarre : Michel Onfray rejette certes l'idée presque aberrante selon laquelle l'orientation sexuelle serait un choix**, mais dans ses mots d'alors, "on ne naît ni hétérosexuel, ni homosexuel, ni pédophile"  - ce qui est déjà assez ambigu comme rapprochement - et y voit quasi-exclusivement l'oeuvre de causes environnementales. C'est en réponse à cela que Sarkozy nous sort sa désormais célèbre tirade. Aussi étonnant que cela puisse paraître de ce côté-ci de l'Atlantique, la première partie de sa phrase aurait très bien pu être prononcée, aux Etats-Unis, par un défenseur de la pédophilie !

La réaction de la presse et des autres milieux politiques face à cette affaire a été à la fois exagérée, Nicolas Sarkozy ne déclarant pas explicitement qu'il faille appliquer des techniques eugéniques aux pédophiles ou aux suicidaires (!) - mais on était en pleine campagne présidentielle, si je me souviens bien - et est passé totalement à côté de l'essentiel. Pour paraphraser Comte Sponville qui parlait de Zemmour : "on condamne ses propos [...] mais on ne se pose pas la question de savoir si ce qu’il avance est vrai ou faux." Même ceux qui ont tenté de le faire, comme Axel Kahn, ont rajouté une couche d'idéologie par dessus en le faisant.

Il me semble important, dans ce contexte - et c'est une remarque plus générale -, de rappeler la distinction is/ought de David Hume : en d'autres termes, on ne peut pas tirer de conclusions quant à ce qui doit être, uniquement à partir de ce qui est. C'est une phrase qui est souvent mal interprétée : bien sûr qu'en pratique, des découvertes sur "ce qui est" ont des conséquences sur ce que l'on pense "devoir être". Mais tout dépend des principes éthico-politiques que l'on a adopté, et on pourra toujours en trouver qui seront insensibles à "ce qui est" connu.

D'où une autre chose, que je trouve très importante, à articuler avec le point précédent : le simple fait que l'on dise que X ait une cause signifie que l'on pourra éviter à X d'apparaître si l'on s'attaque à cette cause. Ainsi un vrai progressiste doit défendre la tolérance et l'acceptation envers X (tant que X ne pose pas de danger pour d'autres individus) quelque soit sa cause. Sinon, cela voudrait dire qu'il y a des causes pour lesquelles il serait impossible de défendre X.

Cela me fait également penser à une phrase de mon ancien prof de socio, pourtant très réputé dans son milieu (il pensait également que le fait d'être gaucher ou droitier était uniquement social, si je me souviens bien), qui trouvait cela "rassurant" si on découvrait que la couleur de la peau n'était pas d'origine génétique mais uniquement une différence superficielle. Encore un exemple de raisonnement que je trouve bizarre.

En l'état actuel des choses, cet état d'esprit, à force de ne voir le biologique que comme quelque chose de "sale" et créateur de hiérarchie, est donc totalement contre-productif et ne peut contribuer, par la suite d'un effet pervers, qu'à perpétuer la stigmatisation des différences biologiques ; quelque chose que je trouve particulièrement grave.

Pour cette raison, c'est aussi un frein à la diffusion d'idées authentiquement progressistes telles que la neurodiversité (mouvement d'acceptation des différences neurologiques et neurodéveloppementales, qui suppose, de part son nom-même, que certaines conditions psychiques soient d'origine biologique et non sociale, et qui s'appuie beaucoup sur les découvertes scientifiques).

Cet état d'esprit donne aussi l'impression que les psychanalystes sont, dans l'ensemble, bien intentionnés, mais sont "handicapés" à la fois par leur corporatisme, leur attitude anti-scientifique et, il faut le dire, des modes de raisonnement complètement aberrants. Qu'ils ne s'étonnent pas après d'être "mal compris" auprès des parents d'enfants autistes, aux modes de raisonnements plus "terre-à-terre", par exemple lorsqu'ils leur suggèrent que l'autisme serait un "choix" du sujet*** [2].

De façon générale, c'est vrai que là-dedans, il y a de claires réminiscences du lyssenkisme. Je cite Jean-Louis Racca :


A ce sujet, en 1977, dans un compte rendu de l’ouvrage de Dominique Lecourt qui venait de paraître, le biologiste communiste Ernest Kahane rappelait un argument déjà utilisé par les généticiens communistes anglais dans leur opposition à Lyssenko, celui qui consiste à dire que l’on ne voit pas très bien en quoi l’influence du milieu et l’hérédité de l’acquis seraient intrinsèquement parés de vertus plus « progressistes » que le déterminisme génétique :

« Si réellement intoxiqué que j’aie été par la propagande "mitchourinienne" à laquelle j’étais soumis, et celle à laquelle je me livrais, je n’avais jamais pu admettre, et de ce fait proclamer, que la génétique mendélienne conduisait au racisme. L’hérédité des caractères acquis, automatique ou occasionnelle, ne justifiait-elle pas au contraire la constitution d’une caste dans la classe ou dans l’ethnie, adaptée aux travaux, soit les plus nobles, soit les plus serviles ? La "grande loterie des chromosomes" n’entraînait-elle pas inversement, et en dépit de toutes les sélections des géniteurs, un brassage, avec retour à la masse et redistribution de tous les caractères inclus dans le patrimoine héréditaire de l’espèce ? ».

Après ce long aparté, on continue :

"Sur le réchauffement climatique, les choses sont très claires aux Etats-Unis, mais je n'ai pas l'impression qu'en France la question soit aussi « politisée » et corresponde à un quelconque clivage gauche/droite. J'ai le sentiment que ça ressemble plus à une querelle plus ou moins scientifique, même si on peut dire qu'après débat elle a été tranchée par l'Académie en faveur des partisans du GIEC et au détriment de Allègre et Courtillot, qui m'ont l'air très marginalisés du fait des (respectivement) trucages ou grossières erreurs de leurs publications. Mais je ne vois pas vraiment de « climatoscepticisme de droite » actif en France, au moins dans la classe politique, et un auteur « climatosceptique » comme Benoît Rittaud m'a l'air d'être motivé par des considérations épistémologiques plutôt que politiques ou financières."

En fait, c'est un sujet tellement peu politisé qu'on en discute pas tant que ça, et du coup les milieux sceptiques (tels que l'AFIS, justement), de part leurs articles récurrents sur les OGM et le nucléaire, peuvent vraiment donner l'impression d'être à fond et idéologiquement anti-écolo, au point parfois de susciter des alliances contre-nature (?) avec les soi-disant "climato-sceptiques" - voir les billets complaisants de Jean Günther à une certaine époque.

Cela dit, ce n'est pas parce qu'on ne voit pas cette politisation (à droite) en France, qu'elle n'existe pas : Claude Allègre s'est par exemple rapproché de l'UMP à partir de 2009 - au point de voter Sarkozy en 2012 -, et je ne pense pas que ça soit purement une coïncidence ; de plus, la plupart des auteurs "climato-sceptiques", soit, sont ouvertement ultralibéraux/"libertariens", soit s'entendent bien avec eux et ne voient pas d'objections à être repris par eux. En outre, le sinistre Club de l'Horloge est notoirement "climato-sceptique".

Mais je pense effectivement que cette situation particulière explique le fait que les sceptiques américains paraissent, en moyenne, un peu plus "écolo" que leurs homologues français, pour peu qu'ils ne soient pas "libertariens".


Sur la question des cellules-souches, Yann Kindo a raison de souligner que la situation est loin d'être meilleure en France, à cause de la timidité des organisations de gauche traditionnelles sur tout ce qui concerne la bioéthique (même si je ne vois pas le rapport avec la bourgeoisie ; sinon, c'est un point qui était déjà souligné par Daniel Borrillo). En revanche, lorsqu'il écrit :

"Dans un domaine proche,  les invocations permanentes du risque d'eugénisme à propos du développement des diagnostics prénataux, même si ils sont le fait de gauchistes défenseurs de la « « Science Citoyenne », rappellent les cris d'orfraie des opposants à l'avortement."

il fait référence à une question complexe, qu'on ne peut pas balayer d'un simple revers de main sous prétexte que ça "rappelle les cris d'orfraie des opposants à l'avortement". J'écrirais peut-être un article dessus d'ailleurs, pour clarifier ma position sur ce sujet. Dans le même ordre d'idées, je ne suis pas aussi radical que lui dans son rejet du principe de précaution, qu'il juge "intrinsèquement conservateur". Il peut effectivement poser problème dans certains cas, notamment à cause de certaines interprétations abusives (dans tous les sens du terme), mais je le juge trop correct pour me voir l'abandonner entièrement ; je le vois comme la simple application du fait qu'il faille faire des études et des recherches concernant les nouvelles innovations, si elles peuvent potentiellement poser de graves problèmes pour la santé et/ou l'environnement. C'est d'ailleurs, à mon avis, au nom d'une variante de ce principe que la HAS a condamné le packing en 2012, alors qu'il n'y avait en réalité pas beaucoup de recherches à ce sujet. 

De même, pour le nucléaire et les OGM, le fait qu'il y ait de mauvais arguments, de mauvaises études et des discours stéréotypés ne signifie pas que les choses soient si simples ; il restera toujours une part de normatif concernant les risques environnementaux que l'on est prêt à assumer. Mais on a raison, malgré tout, de dénoncer les dérives réactionnaires d'une certaine "gauche radicale" qui, bizarrement (ou non ?), se met de plus en plus à fonctionner sur le mode de la nostalgie, proche ou lointaine... Il s'agit donc plus que jamais de remettre la gauche sur les bons rails, sans quoi elle n'aura plus rien de neuf à proposer.



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* A ce sujet, la chanson Born this way de Lady Gaga a eu un certain succès en France, et on peut l'entendre encore aujourd'hui dans des Gay Prides, malgré son décalage manifeste avec nos modes de raisonnement les plus courants. Notez toutefois que les plus laïcs préféreront Evolved this way.

** La raison pour laquelle je trouve cette idée aberrante est, non seulement que je suis un déterministe crypto-spinoziste qui ne croit pas fondamentalement au choix, mais aussi que, s'il faut définir le choix, celui-ci doit être une décision consciente dont il est possible d'estimer les conséquences et sur laquelle il est éventuellement possible de revenir. De toute évidence, le fait de préférer le même sexe ne peut ainsi pas être un choix, en tout cas dans l'absolu.

*** Le raisonnement dans ses grandes lignes, est le même que précédemment. (**)

[1] on peut citer http://en.wikipedia.org/wiki/Biology_and_sexual_orientation#Political_aspects ; il faudrait par ailleurs que je retrouve ce papier universitaire qui suggère spécifiquement cela, même s'il me semble que c'est cet article-là : http://poq.oxfordjournals.org/content/early/2012/12/20/poq.nfs049.abstract, que je ne peux malheureusement plus lire.

[2] L'expression-même de cette idée a créé un tollé général lors d'une réunion de psychanalystes en Bretagne, où des parents d'enfants autistes étaient présents dans la salle.

[3] Il convient toutefois de replacer l'article de Michael Shermer dans son contexte d'origine. D'ailleurs, il peut être intéressant de lire les réponses qu'y ont apportées PZ Myers et Rebecca Watson - bien qu'elles soient critiquables, certes - pour appréhender un peu mieux la véritable situation américaine sur ces sujets.

Mon nouveau blog politique

Il s'intitule (provisoirement ?) Idées politiques et autres vanités. Il se trouve ici : http://6pol28.blogspot.fr/.

Ce sera désormais sur ce blog que j'exposerai mes idées politiques ; de ce point de vue, les thématiques abordées seront donc, selon toute vraisemblance, un peu plus larges que sur ce blog-ci, qui restera consacré à la psychologie et à la bioéthique d'un point de vue de commentateur et d'observateur non-professionnel (sauf si Jérémy Royaux, ou un autre, décide d'écrire un nouvel article pour ce blog...)

J'y posterai également des liens vers des sites ou blogs qui traitent de politique ou d'économie.

Bien entendu, je vous attends pour faire des suggestions quant à la forme, comme d'habitude je dirais...

09/02/2013

Pour un scepticisme de la "voie moyenne"

Comme vous le savez, et on peut en effet le lire à beaucoup d'endroits différents sur la toile, le mouvement sceptique est aujourd'hui assez divisé.
Pour s'en rendre compte, il suffit simplement de faire un petit tour sur n'importe quel site ou blog sceptique régulièrement mis à jour, comme il y en a tant. Une des controverses les plus récentes concerne le mouvement de l'Athéisme plus (Atheism +) et ses rapports avec le féminisme. Je ne rentrerai pas dans les détails, le sujet étant déjà suffisamment couvert ailleurs.

Autrement, pour simplifier outrageusement, disons que d'un côté, il y a ceux qui appellent, sinon à une politisation, du moins à un traitement plus important des questions politiques par le mouvement sceptique actuel, et de l'autre, ceux qui ont une préférence pour un mouvement non politisé. Mais qui a raison, au fond ? Quelle devrait être la bonne démarche ?

En ce qui me concerne personnellement, je me positionne contre les deux extrêmes ; d'un côté, celui qui ne constituerait qu'un scepticisme hyper-restreint, par exemple qui ne s'intéresserait qu'à des sujets tels que l'existence du Bigfoot et les médecines alternatives ; de l'autre, ce que j'appelle l' "esprit critique à sens unique", incarné d'une part par le "scepticisme libertarien" à la Penn et Teller par exemple, qui considère comme une évidence le droit de propriété et ne le remet pas en question, d'autre part par le "scepticisme engagé à gauche" que j'envisage de façon assez stricte comme un scepticisme mis au service d'une idéologie de gauche (ou même, le plus souvent, d'extrême-gauche) qui n'est pas toujours posée de façon très explicite et pédagogique, et qui, là encore, est censée s'imposer à tous comme une évidence - alors qu'en réalité, c'est loin d'être le cas.
Je pense que c'est ce qu'est devenu à mon sens le toujours marginal CorteX qui, malgré des débuts intéressants, semble être devenu de plus en plus orienté au fil du temps ; cela semble aussi être le cas de Lazarus Mirages ; malgré certains passages très didactiques et pertinents pour les "non-initiés", d'autres restent malheureusement plus "orientés" et moins pédagogiques. Par ailleurs, Le Petit cours d'auto-défense intellectuelle de Normand Baillargeon, malgré sa qualité, sa pertinence et son utilité, là aussi pour le non-initié, tend également dans cette direction.

Le point commun de ces deux courants, par ailleurs diamétralement opposés, est de fonctionner en s'appuyant sur des dogmes implicites, non remis en question ; or, à mon sens, l'esprit même du scepticisme devrait être de remettre en question toutes les évidences qui s'imposent à nous, y compris en ce qui concerne nos opinions politiques ; tout le monde pourrait y gagner, puisque l'on pourrait trouver davantage de moyens et d'arguments pour défendre ses idées, et celles-ci seraient exprimées de façon plus pédagogique, plus ouverte et didactique.

Est-ce une raison suffisante pour ne pas parler de politique ? Evidemment, non. D'une part, certains sujets politiques devraient pouvoir unir tous les sceptiques : la défense de la liberté d'expression, de la laïcité et d'une éducation scientifique correcte (incluant la formation à l'esprit critique) en sont des exemples marquants. Et même les sujets du "scepticisme classique" peuvent occasionnellement être politisés. S'impose comme une évidence aujourd'hui, l'idée que les sceptiques doivent examiner critiquement les allégations testables des religieux, fût-ce au prix de critiquer directement les fondements d'une religion voire d'atteindre certains croyants eux-mêmes dans leurs convictions sincères et profondes.
Dans ce cas, pourquoi n'en serait-il pas de même avec la politique et l'économie ? Et par ailleurs, à mon sens, Ben King (repris sur ce point par PZ Myers), malgré l'aspect un peu extrême de sa rhétorique, a raison de poser la question suivante : Entre les homéopathes, les médiums et d'autres pseudo-scientifiques mineurs d'un côté, et tout le système politique et économique mondial de l'autre, lequel fait le plus de mal dans le monde ? Cette question devrait être considérée avec attention, car elle nous interroge sur un motif très particulier : au fond, pourquoi nous engageons-nous dans le scepticisme ? Parce que nous aimons cela ? Certes, mais répondre uniquement ainsi serait faire preuve de cynisme ; en réalité, pour la plupart d'entre nous, c'est parce que nous sommes sincèrement convaincus que cela rendra le monde meilleur ; dans ce cas, pourquoi ne pas rendre cet engagement à la fois plus utile, plus critique, plus concret, plus large (far-reaching en anglais) et plus incisif ?

Donc oui, dans ce contexte, il nous faut bel et bien parler de politique, à chaque fois que cela est approprié (par exemple concernant la laïcité, la liberté d'expression, mais pas uniquement) et, par ailleurs, remettre en question les dogmes des systèmes économiques et politiques actuels ne devrait pas être exclu.

En ce qui me concerne, je ne crois pas en la neutralité politique, en tout cas, tant que les sceptiques diront des choses qui heurteront les opinions politiques de certains. Mais je pense aussi qu'il y aura toujours des croyants tels que les arguments scientifiques et naturalistes seront sans effet sur leurs croyances, car ils trouveront toujours des ruses et préféreront toujours s'accrocher à leur vision du monde, quoi qu'il en soit, ou en tout cas, je ne pense pas que ça soit impossible ; et PZ Myers, en tentant de démontrer le contraire (à moins que j'aie mal compris), est pris au piège par le vocabulaire qu'il utilise, et sa position n'est peut-être finalement pas si éloignée de celle de Stephen Novella sur ce point.



Après ce petit bilan, je dirais donc que je suis favorable à un engagement sceptique, mais pas à un scepticisme engagé politiquement (au sens  de "mis au service d'une idéologie") ; et le cas échéant, je pense qu'il faut maintenir la nécessité de dissocier son engagement sceptique d'un engagement politique.

C'est pourquoi, pour exprimer mes idées politiques, je projette actuellement de le faire sur un autre blog où, je pense, celles-ci auront davantage leur place.

Voir aussi (en anglais) : http://theness.com/neurologicablog/index.php/bigfoot-skeptics-new-atheists-politics-and-religion/ écrit par Steven Novella, la réponse à http://freethoughtblogs.com/pharyngula/2013/01/27/a-common-complaint-i-hear-a-lot-nowadays/, lui-même la réponse au lien de Ben King que j'ai posté plus haut (pour la suite complète des échanges, voir au bas du post de Ben King).

Edit : Juste pour signaler que Jean-Michel Abrassart, du blog Scepticisme Scientifique, vient d'écrire un nouvel article à ce sujet, ici : http://scepticismescientifique.blogspot.be/2013/03/les-objectifs-du-mouvement-sceptique.html  Je vous invite à le lire, cela pourra alimenter votre réflexion.

Edit 2 : Voici le second article de JMA à ce sujet, que je vous invite également à lire : http://scepticismescientifique.blogspot.fr/2013/04/pourquoi-jai-fait-mon-deuil-de-lidee.html Et malgré la date à laquelle il a été écrit, non, ce n'est pas un poisson, rassurez-vous.