Chez les gens de gauche (et les activistes LGBT, bien entendu), il est courant de partager des témoignages positifs autour de l'homoparentalité, pour montrer que « les enfants vont bien » et en espérant ainsi convaincre des personnes réticentes et/ou réactionnaires.
Mais généralement, ils ne comprennent pas pourquoi les gens de droite ne sont pas convaincus par ces témoignages. C'est parce que ceux-ci ne les intéressent pas. Pour certains d'entre eux, un seul témoignage négatif suffit à discréditer l'homoparentalité.
Et si on cherche des témoignages plus ou moins négatifs sur l'homoparentalité, on en trouve.
Certains sites se sont faits une spécialité de recueillir ce genre de témoignages.
Maintenant, penchons-nous sur la possibilité de décortiquer ceux-ci.
Tout d'abord, gardons-nous bien d'invalider tout ressenti, aussi négatif soit-il. Là-dessus, souvenons-nous de ce que disait Acermendax sur les SJW (paradoxalement) :
Laisser la parole en priorité à ceux qui sont frappés par les discriminations est évidemment une bonne chose, cette prise de parole fait partie de la solution : elle rappelle aux dominants que d’autres types d’individus existent, qu’ils ont un point de vue et que le résultat de la violence sociale, ce sont eux qui le vivent. L’expression de ce ressenti est importante ; le privilégié serait donc bien inspiré de prendre conscience de ses privilèges et de la mettre en veilleuse quand il a la possibilité d’entendre un moins privilégié que lui s’attaquer au problème. Ce principe rejoint une éthique personnelle dont il est utile de faire la promotion de manière pédagogique. Toutefois, si cette parole à l’opprimé fait sens dans le cadre du ressenti, elle devient absurde lorsqu’elle est étendue au cadre de la réflexion sur les dynamiques sociétales de préservation de stéréotype, ou sur les moyens de lutte contre les discriminations (extension que pratique volontiers le SJW).
Ce ne sont donc pas les ressentis qu'il faut critiquer, mais les implications qu'il y a derrière telle ou telle instrumentalisation. Nous supposerons également que les témoignages sont de bonne foi (il est trop facile de suggérer que tel ou tel témoignage relèverait d'une fabrication). Cependant, je suis aussi obligé de préciser que certains de ses témoignages sont tronqués. Souvent, le contexte d'origine peut permettre de relativiser l'interprétation homophobe qui peut en être tirée.
En l'occurrence, le premier témoin a deux mamans et se demande ce que cela ferait d'avoir un père, et se demande l'identité de son père biologique. Cela ne me paraît pas anormal. Il se trouve que l'un de mes grands-pères est mort bien avant ma naissance et que l'autre est décédé peu après. En conséquence, je me suis parfois demandé ce que cela faisait d'avoir un grand-père encore en vie. Le témoin indique même explicitement qu'il ne souhaite pas que celui-ci devienne un papa actif, qu'il veut juste connaître son identité. A aucun moment n'est sous-entendue l'idée selon laquelle l'homoparentalité serait quelque chose d'intrinsèquement mauvais et qu'il faudrait interdire le mariage pour tous.
La deuxième témoin est apparemment la fille d'une mère célibataire (bien que lesbienne), donc le rapport à l'homoparentalité est déjà assez ténu en soi. Elle considère le donneur de sperme comme son père (ce qui arrive plus facilement lorsqu'on est l'enfant d'une mère célibataire) et désirerait le connaître et entretenir une relation père-fille avec lui. C'est son droit le plus strict, bien entendu, mais au-delà de ça il n'y a pas de réel sous-entendu politique, à part qu'il s'agit d'un sujet dont il n'est pas facile de parler avec sa mère.
La troisième témoin considère ses deux mamans comme les meilleurs parents qu'elle et sa sœur ont pu avoir (en quoi est-ce un argument contre l'homoparentalité ?). Certes, elle veut un papa, mais cela ne me semble pas anormal (cf. précédemment) et elle indique qu'elle n'est ni contre le mariage pour tous, ni contre l'homoparentalité.
Le quatrième témoin est l'enfant d'une mère célibataire, peut-être décédée (vu le temps utilisé). Il exprime des sentiments mitigés : d'un côté il évoque la « kick-ass mom » qui l'a mis au monde, de l'autre il souligne qu'elle ne saura jamais les dégâts qu'elle a causé en le privant de père, mais n'explicite pas davantage à ce sujet.
La cinquième témoin a aussi une mère célibataire lesbienne. Elle a apparemment souffert de ne pas avoir de père, mais les arguments qu'elle donne n'ont que peu avoir avec le genre de son parent et visiblement davantage à voir avec la façon dont sa mère l'a élevée, et les difficultés qu'elle a eu à communiquer avec sa mère (dont elle n'est pas la seule responsable).
La sixième témoin veut elle aussi un papa et semble être aussi dans un rapport d'opposition vis-à-vis de ses parents.
La septième témoin aime ses deux mamans et veut un papa. Là encore, sa colère se situe contre la PMA et l'anonymat des donneurs en particulier, mais elle soutient l'adoption pour les couples homosexuels.
Le huitième a été élevé par deux mamans et ne veut pas connaître son « vrai » papa. Il considère comme probable le fait que son père biologique soit un médecin peu scrupuleux. Cela l'a évidemment paniqué, mais cette histoire n'a que peu à voir avec le bienfondé ou non de l'homoparentalité.
La neuvième voulait un papa parce que le papa de son meilleur ami était quelqu'un de génial qu'elle admirait. Elle a pleuré lorsqu'on l'a qualifiée de « fille à papa », sachant qu'elle ne saura jamais ce que c'est.
Le dixième avait une mère biologique bisexuelle, en couple avec une femme à la naissance, dont le père biologique est le neveu de sa mère sociale. Elle n'a pas cherché à le contacter, par respect pour cet arrangement, mais reste en contact avec la sœur et le cousin de ce monsieur. Mis à part que la situation n'est pas toujours facile à vivre pour elle à cause de tous ces arrangements et de ces séparations, il n'y a pas de réel sentiment négatif exprimé.
La onzième veut un papa (encore), considère une famille normale comme ayant un papa et une maman et ne connaîtra jamais son père biologique.
Le douzième est un athée élevé par des pères gays. Il met sa maladie mentale à l'adolescence sur le compte de leur homosexualité et considère même l'homosexualité comme une maladie mentale. A ma connaissance, il s'agit du seul de ces témoignages qui évoque explicitement l'idée selon laquelle les personnes LGBT feraient intrinsèquement de moins bons parents que les autres (mais d'autres témoins l'ont aussi indiqué ailleurs).
La treizième a deux mamans. Elle n'a appris que tardivement que son donneur de sperme était en fait son « oncle ». Là encore, on trouve la critique d'un certain type d'arrangement, mais pas de l'homoparentalité en général.
La quatorzième est la fille de deux mères lesbiennes séparées. Elle a souffert d'habiter dans un quartier conservateur à partir de l'âge de six ans, où elle a dû inventer des histoires pour cacher l'absence de père. Ce n'est que tardivement qu'elle s'est mise à rechercher son père biologique.
Le quinzième a lui aussi deux mamans divorcées. Il souffre de ne pas avoir de papa (ou au moins un frère) dans sa famille. Il s'entend mal avec sa mère sociale et la famille de celle-ci.
La seizième ne sait rien de son père/donneur et ne s'entend pas très bien avec sa mère biologique.
Le dix-septième a deux mamans et ne connait pas sa famille biologique. Autrement, son témoignage est quelque peu confus.
Le dix-huitième a deux papas et appelle sa mère biologique « maman » lorsque ses papas ont le dos tourné.
Enfin, la dernière témoin a deux mamans, voulait un père bien qu'elle aime ses deux parents, et considère qu'on lui a menti lorsqu'on lui a dit qu'elle n'avait pas de père. Elle a connu plusieurs problèmes de stabilité émotionnelle et mentale à cause de cela.
Que penser de tous ces témoignages ?
D'abord, les thèmes récurrents :
- séparation précoce des deux parents,
- blocage de la communication vis-à-vis d'un des parents ou des deux (surtout si cela est accompagné d'un « trip » idéologique de leur côté),
- décalage vis-à-vis d'un environnement conservateur, qui a contribué à ce que certains de ces témoins intériorisent leur homophobie, parfois jusqu'à l'extrême,
- critique de certains arrangements (dont l'anonymat des donneurs), plus que de l'homoparentalité en général.
Dans de nombreux témoignages, on ressent aussi un certain manque de préparation du côté des parents (ce qui est normal car personne ne peut tout anticiper dans la vie d'un enfant), mais qui devrait s'estomper dans d'autres familles avec le temps, notamment avec l'acceptation grandissante de l'homoparentalité et les revendications croissantes des personnes nées d'un don.
A la lecture de ces témoignages, faut-il donc s'opposer à l'homoparentalité ?
Je pense que non, et je vais vous expliquer pourquoi.
Tout d'abord, je pense que lorsque l'on est favorable à l'homoparentalité (ce qui est mon cas), il faut au contraire rechercher activement ce type de témoignages. Il ne faut pas être favorable à l'homoparentalité grâce aux témoignages positifs ; il faut y être favorable malgré les témoignages négatifs. C'est ce qu'en rhétorique, on appelle la défense de l'homme d'acier, c'est-à-dire s'attaquer à la forme la plus forte de l'argument de son adversaire. Ou, en termes poppériens, il s'agit de chercher la réfutation plutôt que la confirmation de nos thèses.
En l'occurrence, est-ce que ces témoignages remettent en cause l'homoparentalité ?
Non. Je pense que les difficultés qui traversent ces familles sont davantage dues à la façon dont celles-ci sont gérées (manque de communication et/ou de disponibilité des parents, difficulté de bien s'armer face à un environnement conservateur, manque de soutien et d'accompagnement des parents et des enfants...) qu'à l'homoparentalité en elle-même.
Certes, la personnalité des enfants eux-mêmes peut aussi favoriser ce genre de problèmes. Personne ne peut s'assurer qu'une personne née par don sera heureuse vis-à-vis de sa conception. On ne peut qu'augmenter la probabilité que ce sera le cas.
Et les traits de personnalité qui favorisent ce genre de difficultés et d'accrochages peuvent aussi favoriser le genre de rébellion adolescente des enfants contre la façon dont ils sont élevés dans les familles dites « normales », pour des raisons souvent légitimes : la rébellion peut être une attitude saine, qui permet de faire évoluer la famille en tant qu'institution. Cependant, pour ces familles-là, personne n'irait remettre en cause des droits fondamentaux, comme le droit au mariage, sous prétexte de désaccords avec la façon dont ces familles élèvent leurs enfants. Et c'est bien là qu'on voit le cœur du problème.
Dans le pire des cas, les personnes qui haïssent leurs propres origines, cela existe dans tous les milieux et dans toutes les communautés, et seuls les « antis » verraient cela comme un argument valable contre l'existence de ces milieux et de ces communautés.
Sur le plan de la santé mentale, à éventuellement une exception près, la plupart de ces témoins ne se débrouillent en réalité pas si mal que cela (leurs difficultés éventuelles existent aussi dans d'autres familles, pour d'autres raisons), et certains d'entre eux sont même de parfaits petits militants conservateurs.
Tous ces témoignages précédents permettent aussi de mieux comprendre pourquoi les familles hétéroparentales infertiles tiennent tant au secret, cette pure manifestation de privilège hétérosexuel : par peur qu'en cas de difficultés dans la famille, l'ouverture du secret ne serve d'argument au rejet d'un des deux parents. Malheureusement pour eux, le secret est difficile à tenir à long terme. L'abandonner permettrait de marquer une forme de solidarité avec les familles homoparentales dans la façon de faire famille et de déstigmatiser une bonne fois pour toutes l'engendrement par don.
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