25/05/2021

"Marche lesbienne" : ayons un peu de recul

En ce moment, avec la pandémie en cours, on ne parle plus trop du projet de loi bioéthique, qui prévoit entre autres l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, et qui se trimbale depuis au moins 2019 entre le gouvernement et les différentes chambres du parlement.

Et c'est fort dommage, je trouve ; le Sénat, conservateur comme par son habitude, a tout intérêt à laisser pourrir le projet et à faire obstruction pour que celui-ci soit adopté le plus tard possible, et le moins que l'on puisse noter, c'est que de ce point de vue-là, il n'a pas déçu, si je puis dire[1]. 

En effet, récemment, le Sénat a quasiment sabordé le projet de loi, en le vidant littéralement de sa substance et de ses dispositions les plus importantes. Ainsi, lors de l'examen du texte en deuxième lecture, c'est tout l'article 1 (qui prévoit l'ouverture de la PMA à toutes les femmes) qui a été rejeté.

Plus tard, et de façon prévisible, la commission mixte parlementaire n'est pas parvenue à se mettre d'accord sur un texte commun, ce qui signifie que le texte aura droit à un passage en troisième lecture à l'Assemblée Nationale.

De l'autre côté, pour des raisons en partie compréhensibles, vu le contexte actuel, les défenseurs du projet (et/ou celleux qui voudraient aller plus loin) n'ont pas donné beaucoup de voix, jusqu'à maintenant. Celleux-ci semblent eux-mêmes être divisés selon des lignes idéologiques relativement précises (notamment sur l'accès aux origines et la RCA), ce qui rend de facto quasi-impossible toute défense unifiée d'un projet alternatif, qui serait à la fois plus cohérent et moins « stigmatisant / discriminant » que l'actuel projet (cette division arrange d'ailleurs beaucoup les opposants dudit projet, soit dit en passant).

C'est donc dans ce contexte qu'un nouveau rassemblement « lesbien » a eu lieu le 25 avril dernier, en particulier à Paris.  

Cet évènement fut un relatif « succès surprise », tout particulièrement dans le contexte actuel de la pandémie de Covid-19, puisqu'il aura attiré au minimum plusieurs milliers de personnes. En revanche, il aura attiré très peu d'attention médiatique, finalement. 

En ce qui me concerne, mes propres sentiments personnels sur cette marche sont plutôt mitigés.

D'un certain côté, même si je ne suis pas nécessairement d'accord avec toutes leurs revendications (je détaillerai pourquoi dans la partie d'après), je suis, à vrai dire, extrêmement content que ce genre de marche existe et rencontre même un certain succès, en réalité. Oui, les lesbiennes sont encore trop souvent victimes de discriminations, et oui, les discriminations dans l'accès à la parentalité en font clairement partie. 

De plus, face à un gouvernement qui semble avoir délibérément mis la PMA sous le tapis et laissé traîner le sujet comme un boulet, et à un Sénat qui semble avoir tout fait pour tuer le projet dans l'œuf et l'enterrer, il était plus que nécessaire de réveiller nos chers parlementaires pour qu'ils n'ignorent pas ces revendications et n'oublient pas non plus leurs engagement passés. 

Ce qui me dérange dedans, c'est donc plutôt la rhétorique des organisatrices, leurs possibles motivations, ainsi que le contenu de leurs revendications, une fois qu'on se penche dessus et qu'on les examine plus en profondeur.

Parce que le diable se cache dans les détails. Même si, si l'on se base sur le texte des interventions lors de la marche, la ligne rouge ne semble pas avoir été franchie, il se trouve qu'en France, le lesbianisme politique se caractérise dans le meilleur des cas par une ambigüité profonde sur la question de l'accès aux origines, et dans le pire par une hostilité farouche à son encontre

De prime abord, Collages Lesbiens (le collectif à l'origine du rassemblement) semble moins explicite que les Gouines Contre Nature sur certains aspects de son projet et de ses motivations. Il subsiste néanmoins des motifs d'inquiétude importants, d'autant plus que ce mouvement se dote d'ores et déjà d'une assise beaucoup plus large que celle de son « prédécesseur ».

Passons outre les éléments de langage possiblement « connotés » tels que « PMA sans conditions »« lesbophobie et transphobie d'Etat  »  (qui fait écho à la thématique décoloniale du « racisme d'Etat ») ou encore « non mixité » : parfois mobilisés par des organisations respectables, ils ne devraient pas à eux seuls nous alerter.

C'est plutôt au niveau des revendications que le bât blesse. En effet, dès le début de leur liste de revendications, le 25 mars dernier, on pouvait lire en gras « PMA anonyme par défaut ». Plus tard, le 1er avril dernier, elles ont précisé que les dons dirigés qu'elles revendiquent[2] doivent pouvoir bénéficier de l'« anonymat total »rajoutant après « Il est important en effet de respecter l'équilibre des familles lesbiennes (sic) en ne leur imposant pas une « figure paternelle » lorsqu'elles ne le souhaitent pas »

Il y a plusieurs choses qui clochent dans cette affirmation ; premièrement, parce qu'à première vue, les « colleuses » ne prévoient rien pour les femmes, lesbiennes ou non, qui envisageraient bel et bien une « figure paternelle » pour leurs enfants. Ainsi, elles ne semblent pas revendiquer de double guichet, option qui proposerait pourtant davantage de possibilités pour les femmes qui le souhaiteraient. 

Ensuite, parce qu'avec cette loi, ce n'est pas l'équilibre des « familles » qu'il faut viser, mais celui des enfants, parce que ce sont eux les produits de la PMA, et que ce sont les seuls qui n'ont pas leur mot à dire dans le processus, alors même que leur parole devrait être considérée comme la plus importante de toutes. 

De fait, revendiquer l'anonymat des dons va à rebours d'une tendance mondiale qui consiste à davantage prendre en compte l'intérêt de l'enfant, y compris dans les décisions de PMA, et qui conteste tous les dogmes familialistes qui placent le bien-être de la « famille » au-dessus de celui de l'enfant, que ce soit le secret familial ou l'idéologie du « deux parents maximum ». Je considère comme paradoxal que des personnes, pourtant historiquement elles-mêmes discriminées à cause d'une idéologie familialiste, se mettent à réinventer à leur manière une nouvelle forme de familialisme tout aussi délétère que les autres.

Pour le reste, je réitère la critique que j'avais déjà formulée à l'époque contre les Gouines Contre Nature

« Je répète encore, en quoi, pour un enfant, le fait de pouvoir avoir accès à l'identité de son géniteur à sa majorité légale constitue-t-il un moyen d'imposer une « présence masculine » à sa famille ? »

De plus, faut-il encore le rappeler aujourd'hui : de facto, l'anonymat ne peut plus être garanti et n'existe plus en pratique, de par la généralisation des tests ADN récréatifs, malgré leur interdiction en France.

Je pense qu'il s'agit là d'éléments à rappeler à toutes les personnes et groupes de personnes qui, ayant affirmé leur soutien à l'accès aux origines par ailleurs, ont soutenu ou relayé la marche, voire y ont elleux-mêmes participé. Rappeler que si c'est le cas, elles ont probablement défilé avec des Gouines contre Nature et des personnes qui, non seulement s'opposent farouchement à l'accès aux origines, mais ont harcelé des personnes conçues par don en ligne lorsqu'elles osaient émettre leur point de vue. 

Pour ma part, je considère évident que les défenseurs de l'accès aux origines, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, ne s'associent pas à un évènement qui fait de l'anonymat des donneurs de gamètes une de ses principales revendications, même si cela n'a été que rarement mentionné par les divers média qui ont couvert la manifestation (et sans aucun recul critique, lorsque ce fut le cas). Personnellement, c'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle j'ai finalement décidé de ne pas participer à cette manifestation (il y avait aussi d'autres raisons, plus personnelles).

Bref, cette marche pose les mêmes problèmes que la marche contre l'islamophobie en son temps (ou la manifestation des policiers, si vous préférez) : de bonnes intentions, mais gâchées par des organisateurices et soutiens discutables, dans les deux cas.

---

[1]Le maintien de l'anonymat, fût-ce sous une forme moins rigide, fait d'ailleurs partie de cette double stratégie de maintien du statu quo et de division du camp progressiste. Il est avéré que, dans les pays qui ont voté l'accès aux origines avant l'ouverture du mariage pour tous et de la PMA pour toutes les femmes, privant ainsi le camp adverse de toute objection sérieuse à leur encontre, ces deux mesures sont passées de façon relativement facile. Si par exemple, en Suisse, l'ouverture de la PMA est en passe d'être votée, c'est que l'accès aux origines y est garanti depuis déjà plusieurs années.

[2]Dans l'absolu, je suis moi-même favorable aux dons dirigés (non-anonymes), et je pense aussi que l'accès des minorités ethniques à la PMA, notamment par l'appariement (ou le non-appariement) mériterait une bien meilleure considération. Cependant, les dons dirigés tels que les envisagent les « collageuses » semblent reposer sur des bases contradictoires, où ceux-ci seraient à la fois dirigés et anonymes (plus précisément, le donneur connaîtrait le couple receveur, mais celui-ci n'aurait que des informations limitées sur le donneur, si j'ai bien compris). Quoi qu'il en soit, je ne peux m'empêcher de voir une hypocrisie profonde dans le fait de revendiquer l'anonymat au prétexte que la biologie n'aurait pas d'importance, tout en revendiquant l'accès à la PMA et au don dirigé au nom de l'importance d'« avoir un enfant qui nous ressemble ».