Comme le titre de ce blog l'indique, celui-ci ne traite que de (critique de) la psychanalyse, il aborde aussi des questions de bioéthique.
Dans le cas présent, il s'agit des questions relatives à l'anonymat des dons de gamètes. J'en ai déjà parlé dans un précédent article. Je vais donc détailler à ce sujet.
La question m'interpelle à plusieurs titres. En effet, en France, la plupart des personnes connaissent leurs deux parents biologiques. Bien sûr, personne n'est sûr à 100 %, mais la grande majorité est dotée d'une certitude raisonnable à ce sujet. Tout le monde donc, à l'exception de quelques-uns, dont les enfants issus de PMA. C'est pourquoi je suis très sceptique face à l'anonymat des dons de gamètes : je m'y oppose, quitte à ce que cela réduise les dons. Etant de gauche dans l'âme, c'est pour des raisons égalitaires que je m'y oppose, et je sympathise avec celles et ceux qui veulent connaître l'identité de leur géniteur anonyme, comme les membres de l'association PMA. Je me suis renseigné sur le sujet principalement grâce à deux lectures : Des humains comme les autres d'Irène Théry et Mes origines : une affaire d'état d'Audrey Kermalvezen.
Je sais que mon point de vue n'est pas nécessairement majoritaire en France, loin de là. D'après plusieurs sondages, l'anonymat est souhaité à la fois par les donneurs et les receveurs dans leur majorité, mais ce point de vue semble également majoritaire dans l'opinion publique française dans son ensemble.
En France, la question transcende les clivages gauche-droite habituels, y compris, et c'est le plus notable, les clivages usuels en bioéthique. Pour simplifier, on a d'un côté des idéalistes égalitaires et "biologisants" minoritaires contre des utilitaristes et socialisants/médicalisants majoritaires.
C'est pourquoi la légalisation de la PMA pour les couples de lesbiennes me pose problème, en l'état actuel des choses. Je considère que sur ce sujet, il ne faudrait pas mettre la charrue avant les bœufs, quand on voit ce qui se passe chez nos voisins et comment la question a été traitée chez eux. Je regrette bien évidemment que le débat sur ce sujet ait été verrouillé, mais je ne regrette pas que l'extension de la PMA n'ait pas été votée.
Chez les partisans de l'extension de la PMA à tout prix, un leitmotiv revient qui est celui de l'égalité, que réserver la PMA aux hétérosexuels infertiles serait intrinsèquement discriminatoire, et que ne pas connaître ses origines biologiques ne serait finalement pas si grave parce que beaucoup de personnes ne les connaissent pas et que certaines situations particulières (inceste, viol...) justifient le maintien du secret. Selon certaines organisations, s'opposer à l'extension de la PMA serait même carrément homophobe, ce qui est un autre bon moyen de verrouiller encore davantage le débat à ce sujet...
Pour le premier point, je suis d'accord et j'ai déjà affirmé cette position dans un précédent article. Pour le second point, je trouve beaucoup à redire : déjà, qu'il est présomptueux de parler au nom d'individus que l'on ne connaît pas, et de minimiser la souffrance qu'ils pourraient exprimer. De plus, il y a une différence entre être privé de ses origines par accident et créer volontairement une situation où un enfant serait privé à vie de l'identité d'un de ses géniteurs. Enfin, la comparaison avec l'inceste ou le viol est à se tirer une balle dans le pied, car elle sous-entend que la PMA serait une technique de procréation intrinsèquement honteuse. Autrement, il ne sera pas possible de faire croire à un enfant né dans une famille homoparentale qu'il sera né de ses deux parents : sa méthode de conception lui sera très vite dévoilée ; il y a lieu de penser, et plusieurs études le suggèrent déjà, que les questions sur le géniteur ne seront pas rares.
Qu'on le veuille ou non, il y a in fine toujours besoin d'un homme et d'une femme pour la procréation, sinon, il n'y aurait justement pas de revendications liées à la PMA. Le parent dit "social" n'est pas plus à l'origine de l'enfant que je suis à l'origine du T-shirt que je me suis acheté. Le fait d'avoir un enfant est avant tout un fait biologique. Même si le désir est une composante importante, bien sûr, pour s'assurer qu'il soit correctement élevé ensuite. Mais il faut toujours se rappeler qu'il faut "fabriquer" quelque chose avant de le donner, de le distribuer. Cela vaut dans ce domaine comme ailleurs.
Sur la PMA, il y a une contradiction qui émerge dans le discours : d'un côté, on dit que le biologique n'est pas important, on dénonce la "biologisation de la filiation" mais de l'autre on juge la PMA et la connexion à un parent biologique préférable à l'adoption !
Etant donné que je suis à la fois favorable au mariage et l'adoption "pour tous" et critique de l'anonymat des dons de gamètes, je suis conscient que ma position sera difficilement comprise et pourra même être jugée incohérente. C'est qu'à mon avis, l'objectif devrait être de trouver un équilibre entre le biologique et le social, les deux méritant d'être reconnus à leur juste valeur.
La levée de l'anonymat est une position qui peut être aussi difficile à défendre à gauche en France, à cause de la méfiance du milieu intellectuel de gauche vis-à-vis du biologique. La part biologique de l'homme y est souvent sous-estimée (cf. cet article sur le site de la Ligue des Droits de l'Homme). Un exemple concerne l'histoire médicale de chacun. Il se trouve que ma grand-mère était atteinte de la maladie de Huntington, ce qui me laisse une probabilité d'un quart de développer cette maladie au cours de ma vie. Mais bon, au moins je le sais, et je serais donc mieux préparé si les symptômes surviennent un jour.
Autrement, je me suis aussi rendu compte qu'il existait, à l'extrême-gauche sociétale, toute une sale tradition qui consiste à défendre la liberté des adultes au détriment des droits des enfants. Il ne s'agit pas de la perpétuer !
Pour me rassurer, bizarrement ou non, le sujet n'enthousiasme pas non plus la droite française, qui ne réagit pas de façon plus intelligente ; au contraire même, elle préfère se réfugier dans son cynisme habituel, sans grande réflexion ni cohérence - par exemple, en maintenant l'adhésion au modèle médical - en plus des arguments de façade utilitaristes, sentimentaux et anti-"eugénistes" contre le "tri des donneurs" (dont personne, en France, ne fait la revendication) s'y rajoute de l'hypocrisie sur la dénonciation de la "biologisation de la filiation" - alors qu'ils sont contre l'homoparentalité ! A ce sujet, certaines associations homoparentales (comme l'ADFH) sont contre l'anonymat des dons de gamètes, ce qui permet de répondre à certains clichés sur le "on ne ment pas aux enfants"... Par ailleurs, si demain, si la législation n'est pas changée, un fils de lesbiennes demandait à connaître son géniteur, sa requête serait-elle considérée comme plus légitime, plus acceptable que si c'était le fils d'un couple hétéro stérile ? Là se situe l'hypocrisie, selon moi.
Je considère aussi la PMA médicale comme un mirage. La PMA ne rend pas fertile un homme stérile. C'est le sperme d'un autre homme qui est utilisé. A la limite, je préfèrerais une droite constante dans son opposition à la PMA qu'une droite qui continue d'adhérer au mirage de la PMA médicale.
La bonne façon de voir les choses, à mon sens, serait de voir la PMA comme un moyen de remédier à une impossibilité reproductive (quelque soit son origine) dans un système libéral régulé - un système purement "libertarien" opterait au contraire pour le système de "double guichet" avec possibilité de rémunérer les dons, système en vigueur aux Etats-Unis ; malgré tous les défauts du système français, je lui reconnais d'avoir mis un frein à la marchandisation du vivant en optant pour les dons gratuits.
La question de la levée de l'anonymat a pu, il est vrai, être instrumentalisée par des groupes dotés d'une idéologie "pro-vie", conservatrice voire réactionnaire ; mais est-ce que cela en fait une mauvaise idée pour autant ? Au contraire, je pense que l'élargissement de la PMA après la levée de l'anonymat constitue, à mon sens, le bon équilibre qui permettra à chacun de ne plus être en marge de la race humaine.
Pour les lecteurs de ce blog, j'indique ici l'article que j'avais écrit sur filiation biologique et sociale:
RépondreSupprimerhttp://franck-ramus.blogspot.fr/2012/12/il-ny-pas-choisir-entre-la-filiation.html
Et je remets aussi mes réflexions sur l'anonymat du don:
RépondreSupprimerJe n'ai pas d'opinion tranchée sur quel droit doit primer (entre celui du donneur et celui de l'enfant). Mais je constate que le donneur existe avant l'enfant, et qu'il a donc des droits avant que l'enfant n'en ait. Notamment le droit de ne pas donner, ou de donner seulement si les conditions du don lui conviennent. Ca ne me parait pas donc pas insensé de prêter attention aux conditions qui incitent les donneurs à donner.
Par ailleurs, il ne faut quand même pas exagérer sur les droits des enfants qui ne sont pas encore nés. Dans les conditions "naturelles" de reproduction, l'enfant n'a strictement aucun droit! Ses parents décident pour lui, point barre! Ou parfois ne décident rien du tout. Dans tous les cas l'enfant naît bien malgré lui, pour le meilleur et pour le pire. Bien des fois l'enfant ne connaît pas son père biologique. Et alors? A moins de vouloir interdire ce genre de possibilités et de se retrouver dans une situation d'ingérence totale (et carrément dictatoriale) dans la vie d'un nombre incalculable de familles, je ne vois pas trop par quelle asymétrie on devrait conférer à l'enfant virtuel in vitro plus de droits qu'à l'enfant virtuel in vivo.
Je ne vois pas non plus pourquoi il y devrait y avoir un modèle imposé pour tout le monde par la loi. Pourquoi ne pas laisser au donneur différentes options:
- anonymat total garanti
- anonymat concernant les données nominatives, mais possibilité de fournir sur demande de l'enfant une notice biographique rédigée en accord avec le donneur (par exemple, âge, région, activité, etc.). Cela pourrait être intéressant pour les enfants qui s'interrogent sur leurs origines, tout en préservant la tranquillité du donneur.
- anonymat par défaut, mais pouvant être rompu sur demande de l'enfant.
- identification claire du donneur.
Et dans chacun des cas, il pourrait être défini la possibilité de ne révéler certaines informations qu'après une certaine date, ou après la mort du donneur.
Je ne vois en fait aucune raison valable de vouloir priver le donneur de tous ces degrés de liberté.
Franck, Ramus
RépondreSupprimerJe vous remercie pour votre réponse et l'intérêt que vous portez à ce blog, un peu désert ces derniers temps.
Cordialement,
"Bien des fois l'enfant ne connaît pas son père biologique. Et alors? A moins de vouloir interdire ce genre de possibilités et de se retrouver dans une situation d'ingérence totale (et carrément dictatoriale) dans la vie d'un nombre incalculable de familles, je ne vois pas trop par quelle asymétrie on devrait conférer à l'enfant virtuel in vitro plus de droits qu'à l'enfant virtuel in vivo."
RépondreSupprimerMon ressenti personnel est qu'il y a une différence entre des situations qui sont dues à des facteurs accidentels, et des situations qui surviennent avec la complicité de l'Etat. (c'est ce que suggère la déclaration des droits de l'enfant, qui proclame "dans la mesure du possible" le droit de connaître ses parents et d'être élevés par eux)