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12/06/2020

J. K. Rowling et la transphobie

[Tw : transphobie, et incompétence possible de l'auteur sur cette épineuse question]

Si, comme moi, vous fréquentez régulièrement les réseaux sociaux tels que Twitter, vous n'avez pas pu passer à côté de ce shitstorm qui agite actuellement la toile : J.K. Rowling, l'autrice de la célèbre saga Harry Potter, serait transphobe, c'est-à-dire hostile aux droits des personnes transgenres.

A vrai dire, elle n'en est pas à son coup d'essai. Déjà, le 19 décembre 2019, elle se fendait d'un tweet pour partir à la défense de Maya Forstater, une spécialiste fiscale qui avait été licenciée pour avoir posté sur Twitter que le sexe biologique était purement binaire, qu'il était impossible de changer celui-ci et, surtout (même si cela est rarement évoqué), pour avoir, apparemment, utilisé ces justifications afin de nier des droits fondamentaux à des personnes transgenres. C'est beaucoup plus grave que la version qu'en a donnée Rowling, à savoir qu'elle avait été licenciée uniquement pour avoir affirmé que le sexe (biologique) existait[1].

Bref, cette fois-ci, tout a commencé par ce tweet le 6 juin dernier :




Si on lit l'article en question, on se rend compte que l'expression people who menstruate était vraiment à prendre au sens littéral, et n'était absolument pas un « euphémisme » pour women (femmes), parce qu'il abordait directement le problème des règles durant la pandémie de covid-19.

Ce choix de langage était donc tout à fait pertinent. D'une part, de façon triviale, parce que ce ne sont pas toutes les femmes qui ont leurs règles. Sans même parler des femmes trans et intersexes, il y a toute une série de raisons, temporaires ou définitives, qui font que les femmes n'ont pas leurs règles : grossesse, ménopause, soucis de santé, etc...

Mais aussi parce qu'il y a des personnes qui ne se considèrent pas elles-mêmes, voire que d'autres personnes ne considèrent pas comme femmes, et qui ont leurs règles : c'est par exemple le cas des « gender non-binary persons » (personnes non-binaires) évoquées dans l'article, mais aussi des hommes trans et de certaines personnes intersexes. C'est pourquoi, même parler uniquement de « women who menstruate » n'était pas suffisamment inclusif pour ce genre d'article qui s'adresse au plus grand nombre ; il fallait donc, a minima, reconnaître l'existence de personnes qui ne sont pas des femmes et qui ont des règles[2].

Si on se met à la place des personnes concernées, en particulier celle des femmes trans, on peut donc tout à fait comprendre que ce tweet ait été particulièrement mal perçu, puisqu'il sous-entend que les femmes trans ne seraient pas des femmes ; en effet, avec la technologie actuelle, il n'est pas possible de donner de menstruations à une femme trans. Sans entrer dans un débat sur le transmédicalisme, on peut a minima considérer qu'une femme trans opérée à laquelle on a remplacé le pénis par un vagin est une femme, point (vision simpliste et aujourd'hui considérée comme dépassée, voire rétrograde, d'ailleurs). On n'est pas en train de parler de non-binaires barbus à moitié libanais, là. Il s'agit de quelque chose de très basique concernant les droits des personnes trans.

Rowling aurait pu s'en arrêter là, mais elle est allée en fait beaucoup plus loin que ça. Dans ses tweets d'après, déjà, elle en a rajouté une couche sur la réalité du sexe biologique (à grands renforts d'équivocations et de doubles sens), alors que ce n'était pas le propos de l'article qu'elle citait, qui ne nie même pas l'existence du sexe biologique, et se contente d'utiliser des termes corrects et consensuels pour désigner des réalités biologiques.

Ensuite, elle s'est fendue d'une longue justification, assez bancale, où l'on retrouve des arguments TERFs assez classiques, du type « les hommes vont envahir nos espaces », où elle n'hésite pas à donner dans l'amalgame au sujet des « trans-activistes », et où elle évoque certaines des réponses qu'elle a eues suite à ses diatribes. A ce sujet, je tiens à signaler que je ne cautionne absolument pas les pires excès de la cancel culture qui sévit actuellement sur Twitter, ni certains des harcèlements dont Rowling a pu être la victime, s'ils ont bel et bien eu lieu.

Toujours est-il que les acteurs de la série Harry Potter, Daniel Radcliffe et Emma Watson en tête, ont commencé à prendre leurs distances vis-à-vis des positions de Rowling sur la transidentité. C'est bien évidemment une bonne chose, et l'on ne peut que souhaiter que cela continue.

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[1]Plus précisément, ce qui était visé dans le jugement prononcé à l'encontre de Forstater, semble-t-il, ce n'était pas tant sa croyance philosophique en l'immutabilité du sexe biologique que le fait qu'elle utilise cette croyance pour justifier des atteintes aux droits des personnes trans. Il s'agit d'un manque de neutralité évident. C'est l'équivalent d'un chrétien qui discriminerait à l'encontre des homosexuels en raison de passages tirés du Lévitique.

[2]L'article ne parlait d'ailleurs même pas directement du cas des hommes trans, et pourrait donc être lui-même accusé de transphobie par certaines personnes pour cette raison-là.


29/09/2014

Enquête sur l'entendement humain, David Hume

Enquête sur l'entendement humain est un célèbre livre du philosophe britannique/écossais David Hume (que j'ai eu l'occasion d'étudier au cours de ma scolarité), dans lequel on peut trouver l'émergence de la pensée sceptique moderne, notamment dans le chapitre sur les miracles.

Le reste de l'ouvrage, beaucoup moins bien connu - excepté par les spécialistes de philosophie -, expose la philosophie empiriste de son auteur, notamment concernant la formation des idées, qui occupe les premières sections de l'ouvrage après une première section consacrée à la philosophie naturelle.

Le chapitre sur les miracles, d'ailleurs, n'occupe qu'à proprement parler que le dernier chapitre, mais il est très important, car c'est de là que vient le texte qui va être à la base de la fameuse "Maxime de Hume", entre autres...

Pour rebondir sur l'auteur, David Hume (1711-1776, cette dernière année étant par coïncidence celle de la publication de la Richesse des Nations de son proche compatriote Adam Smith, et de la déclaration d'indépendance américaine), sachez qu'il est surtout connu pour sa remise en cause de la vision classique de la causalité : selon lui, pour schématiser, c'est l'habitude qui fait que nous percevons des relations de cause à effet entre deux événements. C'est l'une des principales thèses qu'il expose dans Enquête sur l'entendement humain.

Il est également connu pour être l'auteur du célèbre Traité de la Nature Humaine, sur les sentiments et les émotions, et a aussi touché à l'économie. Pour avoir mis en doute l'existence de Dieu, sa candidature à l'université d'Edimbourg sera repoussée.

Bref, c'est un petit livre qu'on peut trouver pour pas très cher en librairie, et qui peut s'avérer tout à fait pertinent même aujourd'hui ! Mieux vaut tout de même s'intéresser réellement au sujet, pour appréhender un style parfois ardu.

05/05/2014

Scientia Salon

Scientia Salon est un blog Wordpress (en anglais) qui aborde principalement le thème de la philosophie des sciences.

Parmi les auteurs, on compte Massimo Pigliucci, connu pour son ancien blog/podcast Rationally Speaking, mais également Alan Sokal, auteur d'un célèbre canular, et d'autres que l'on peut trouver ici.

Entre autres articles intéressants :

- Alan Sokal est à l'origine d'une série de trois articles sur ce qu'est la science selon lui ;

- Massimo Pigliucci critique le scientisme avec plus ou moins de mérite, en réponse à un article de John Shook qui critique les accusations de scientisme régulièrement faites à l'encontre des scientifiques ;

- en rapport avec la fin de l'article précédent, cet article de Pigliucci sur l'eugénisme ;

- cette série de trois articles sur les rapports entre la religion et la science, par David Kyle ;

- ou encore cet article sur la conscience, par Mike Trites.

Le blog est régulièrement mis à jour, et s'annonce assez prometteur...

01/11/2012

Ethique, de Baruch Spinoza


Ethique est le principal ouvrage dans lequel le philosophe hollandais Baruch Spinoza expose, de façon synthétique, l'ensemble de sa philosophie - bien que l'aspect politique y reste assez parcellaire. Spinoza utilise une suite de "démonstrations" fondées sur des raisonnements logiques établis à partir d'axiomes, ce qui peut rendre la lecture plus difficile que prévu (le livre lui-même, en conséquence, ne devrait être conseillé qu'aux passionnés de philosophie).

Il est divisé en cinq grandes parties :

La première s'intitule De Dieu et Spinoza y expose sa conception de la métaphysique. Pour lui, tout est en Dieu, substance unique (d'où le "monisme"), assimilée à la Nature elle-même. C'est pourquoi on a pu qualifier Spinoza de panthéiste, même si ce n'est pas tout à fait exact étant donné le rapport très particulier de Spinoza à Dieu. Par ailleurs, la philosophie de Spinoza est déterministe. Il critique aussi le finalisme, le fait de tout attribuer à la volonté de Dieu ("cet asile de l'ignorance" dans ses propres mots).

La deuxième a pour titre De la nature et de l'origine de l'âme. Spinoza y décrit sa conception de l'âme, ou plutôt esprit, qui est "l'idée du corps". Dans la continuité de la partie précédente, il s'oppose au dualisme cartésien. Il y expose aussi quelques éléments de son épistémologie.

La troisième, De l'origine et de la nature des affections, traite des affects, des sentiments, de la Joie et de la Tristesse, l'Amour et la Haine. C'est aussi là qu'il présente le concept de "conatus", l'effort de persévérance dans l'être propre à toute chose selon lui.

La quatrième, De la servitude de l'homme, a pour sujet, d'abord les éléments extérieurs qui limitent l'homme sur le plan moral, et ce qu'on qualifierait aujourd'hui d'éthique à proprement parler, puis aborde des éléments concernant les règles de la vie sociale. Spinoza y décrit un chemin particulier, celui de l'homme guidé par la Raison.

La cinquième, enfin, De la liberté de l'homme, est un peu plus positif dans la vision de Spinoza et décrit son idéal de vie : la connaissance intuitive, l'amour intellectuel de Dieu, la recherche de la béatitude. Il a une conception intéressante, quoique contre-intuitive, de l' "immortalité" de l'âme.


Comme je l'ai écrit précédemment, il s'agit d'un livre assez difficile, à réserver aux fans de philo. Néanmoins, en le lisant, on comprend pourquoi Spinoza a eu une influence considérable sur de grands champs de la philosophie. Aujourd'hui encore, de grandes parties de sa vision de Spinoza ont été reprises par le psychologue Antonio Damasio.

12/10/2012

Théorie de la Justice, John Rawls


Théorie de la justice de John Rawls, publié en France aux éditions du Seuil, est un livre que j'ai acheté il y a déjà pas mal de temps (en pensant que j'allais faire une bonne affaire en achetant 11 € un livre de 600 pages écrites en petit...).

Pour commencer, John Rawls est un philosophe américain, qui a enseigné dans de nombreuses universités prestigieuses de la côte Est américaine (Princeton, Harvard, etc). Son oeuvre se centre sur le libéralisme politique - au sens américain - et l'idée de justice en particulier.

Dans Théorie de la Justice, qui restera comme l'un des ouvrages les plus commentés de la seconde moitié du vingtième siècle, il expose, comme son nom l'indique, sa conception de la justice.

Il voit ainsi la justice comme équité ("justice as fairness"), et, dans la tradition du contrat social, se base sur le concept de "position originelle", une abstraction où toutes les différences entre les hommes seraient effacées, et ceux-ci ne connaîtraient pas leur position réelle dans la société, cachés qu'ils sont derrière un "voile d'ignorance". Dans ces conditions, la conception d'une société juste adoptée par l'individu moyen devrait suivre le principe du "maximin", c'est-à-dire maximiser les perspectives des membres les moins fortunés.

Au bout du compte, deux principes de la justice seraient adoptés :
le principe d'égale liberté est le suivant : « Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de liberté pour tous », quant au second : « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions d'égalité  équitable (fair) des chances (a), et elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. (b, principe de différence) ».

Le premier principe couvre par exemple la liberté de participation politique, la liberté d'expression, de conscience, la possession personnelle et la protection contre l'arbitraire. De façon intéressante, ce premier principe ne couvre pas la propriété privée des moyens de production ni la liberté contractuelle. Au delà d'un niveau basique de développement économique, ce principe a la priorité sur le suivant.

Dans le deuxième principe, (a) a la priorité sur (b). L'égalité équitable des chances est une conception beaucoup plus exigeante de l'égalité des chances que celle utilisée généralement dans le débat courant. Il est aussi important de noter que d'après Rawls, on ne "mérite" pas ses dons naturels.

Rawls s'oppose par ailleurs à l'utilitarisme classique, qu'il considère comme excessivement conséquentialiste, voire machiavélien.

Le livre a été discuté et critiqué de tous bords, ce qui devrait suffire à vous faire comprendre l'influence qu'il a eu dans le débat à ce niveau-là. A noter qu'il existe des interprétations très diverses de Rawls, et qu'on l'a placé aussi bien à l'extrême-gauche qu'au centre-droit.

Je tiens à vous prévenir toutefois : le livre en lui-même est intéressant, mais il est très dense, et est à réserver aux purs fans de philosophie et/ou de politique qui au moins quelques notions des deux, ou même d'économie. Ou à ceux qui font des études de philosophie politique, ce qui est logique.

L'ouvrage a été traduit par Catherine Audard, qui avec Monique Canto-Sperber est l'une des principales figures du libéralisme social français. Je possède d'ailleurs son livre sur le libéralisme, et il est intéressant, loin des clichés répandus par les uns et les autres.

J'écrirai peut-être un prochain article, non exempt de remarques, sur une possible conception "rawlsienne" du handicap et de l'autisme en particulier.

06/10/2012

La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? Philippe Corcuff


J''ai finalement acheté le petit livre La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? de Philippe Corcuff, sociologue français qui milite depuis longtemps à gauche, aux éditions Textuel.

Sans lien direct avec les thématiques de ce blog, ce livre contient à mon avis des idées intéressantes, à la fois - indirectement - pour critiquer le discours de certains psychanalystes  (je pourrais faire un article dessus, d'ailleurs), et se débarrasser de modes de pensée d'une "gauche radicale" stéréotypée, donc indirectement, critiquer des raisonnements "défectueux".
La thèse de l'auteur est que la gauche française a gagné alors qu'elle était intellectuellement moribonde. Cela peut sembler paradoxal avec le développement des think tanks et autres cercles de réflexion, mais d'après lui, ceux-ci ne sont que des symptômes de la professionnalisation et technocratisation de la politique, droite comme gauche, qui a abandonné toute vision globale et cohérente.

Après une très courte partie I, sorte de liaison entre l'introduction et le reste, l'auteur détaille en partie II les penchants qui l'irritent dans la gauche radicale française actuelle. Les principaux :

- la tendance au complotisme : passage assez pertinent (vous le savez sûrement déjà, mais les théories du complot n'existent pas qu'à l'extrême droite). Je ne vous cache pas que c'est quelque chose qui tend aussi à m'agacer, dans la gauche radicale actuelle. Visiblement, l'auteur est critique vis-à-vis des positions politiques de Chomsky, qu'il décrit comme étant à la limite du complotisme, voire incarnant un complotisme "soft" (qu'il oppose au complotisme "hard", le négationnisme par exemple).
Bien que l'auteur, en opposition, mette évidemment l'accent sur les logiques "impersonnelles", institutionnelles et sociales, qu'il essaie de mettre en avant, cela ne l'empêche pas de garder un rôle à l'intentionnalité. C'est une vision dans laquelle je me reconnais assez.

- l'essentialisme : ici, l'auteur dénonce l'emploi de termes qui renvoient à des généralités, dans les deux sens du terme. Il critique les positions de Caroline Fourest et d'autres, qu'il juge "laïcardes", critiques vis-à-vis de l' "Islam" en ignorant les multiples réalités que recouvre ce terme. C'est un point qui est peu développé ici. Dans un autre passage plus réveillant pour moi, il critique aussi les positions-"miroirs" de Terra Nova et de sa rivale Gauche Populaire, qui selon lui oublient que le terme "populaire" recouvre des réalités diverses.
Bref, le chapitre oscille entre conseils de très bon aloi et d'autres peut-être plus critiquables, selon la sensibilité de chacun, mais reste intéressant et pertinent tout du long.

- la tendance à privilégier le politique par rapport à l'expérimentation sociétale : je reproche souvent en effet à la gauche radicale de vouloir faire la révolution sans savoir où elle va, en pensant que le processus révolutionnaire engendrerait des conditions qui se dépasseraient d'elles-mêmes. On a pu voir par le passé où cet état d'esprit nous a mené (même s'il est vrai qu'on est plus modéré qu'autrefois).
Contre cela, Corcuff réhabilite l'expérimentation sociale, et je suis plutôt d'accord. La fin de ce court chapitre aborde de façon pertinente le langage, même si j'ai quelques réserves.

- le collectivisme : un point intéressant. Corcuff rappelle que la gauche est historiquement individualiste et il critique l'anti-individualisme primaire d'une partie de la gauche radicale. A notre époque hautement individualiste, la gauche devrait nourrir un individualisme positif plutôt que de sans arrêt critiquer l' "individualisme".

La partie III est consacrée aux impensés de la gauche, on y aborde le rapport au temps, la décroissance, la professionnalisation de la politique, les "laïcards", le rapport aux médias...
Plus inégal, à vrai dire. Selon moi, Corcuff a raison de dénoncer la tentation de la nostalgie et de l' "avant-gardisme léniniste" (tendance un peu paternaliste qui consiste à croire qu'on connaît mieux le bien des opprimés qu'eux-mêmes), mais il faut faire le tri sinon. Parfois, on a même l'impression qu'il se contredit*.
J'ai des réserves sur sa critique de la technocratie (mais je la trouve pertinente pour dénoncer le risque d'une nouvelle dérive bureaucratique) : selon moi, la politique n'est pas qu'une affaire d'opinions, mais aussi de compétences, et ainsi il n'est pas inutile de créer des petits groupes d'experts par thématique, tout dépend comment c'est organisé. Mais il a raison de souligner que le système politique devrait être repensé pour éviter la professionnalisation à outrance.

En résumé, c'est un petit livre qui se lit vite. Si vous êtes de gauche, quelque soit votre sensibilité, je vous invite à le lire, juste histoire de vous faire une opinion et peut-être de le critiquer sur un point ou un autre.

*Par exemple, il soutient la discrimination positive, ce qui me semble en contradiction avec sa dénonciation de l'essentialisme.

05/10/2012

Bioéthique, Daniel Borrillo


Bioéthique, du juriste Daniel Borrillo (éditions Dalloz), est un petit livre qui traînait depuis déjà pas mal de temps dans ma bibliothèque.

Il aborde la bioéthique surtout du point de vue du droit (la seconde moitié de l'ouvrage est toute entière consacrée aux textes français et internationaux sur la bioéthique jusqu'en 2011... mais après tout, nul n'est censé ignorer la loi !), mais reste tout à fait accessible aux non-initiés pour peu qu'ils s'intéressent aux enjeux philosophiques et politiques concernant cette question.

L'auteur commence par détailler l'histoire juridique de la bioéthique en France, puis décrit les différentes philosophies idéologies à ce sujet ; elles sont au nombre de quatre selon lui :

- le courant constructiviste, fondé sur l'éthique immanente, est en gros le courant libéral moderniste, basé sur la liberté individuelle et une éthique utilitariste, associé politiquement à la gauche "sociétale" et à une partie des libéraux authentiques.

- le courant essentialiste, fondé sur une éthique transcendante, est le courant conservateur d'inspiration traditionnelle religieuse (surtout catholique dans les pays francophones, mais les protestants évangéliques américains ne tiennent pas un discours significativement différent), qui se base sur la "loi naturelle". Associé à la droite conservatrice.

- le courant néo-traditionaliste est, dans les faits, assez semblable au précédent, mais utilise une rhétorique "modernisée", qui prétend s'inspirer davantage de l'anthropologie, de la psychanalyse, et même de préoccupations de "gauche" telles que la dénonciation de l'individualisme et de la marchandisation. Associé aujourd'hui à une grande partie de l'opinion de droite et de centre-droit, il était répandu même au centre-gauche jusqu'à récemment.

- le courant du juste milieu, encore appelé "orléanisme de gauche" se veut une voie moyenne entre les premier et troisième (voire deuxième) courants. Par certains aspects, il correspond effectivement au sophisme du "juste milieu". Initialement associé à la gauche parlementaire et au centre-gauche, sa version initiale, qui a depuis conquis une bonne partie de l'opinion centriste et même de droite, a un peu vieilli, et il a depuis plusieurs fois tenté de se moderniser. L'auteur critique ce courant, mais je ne le trouve pas inintéressant non plus.


Il critique également le dispositif français, qu'il décrit tout au long des troisième et quatrième parties comme étant empreint d'une idéologie grossièrement paternaliste, conservatrice, chrétienne et familialiste - avec toutefois quelques nuances, selon les courants -, et qui évolue en fait relativement peu au cours du temps, à cause de pressions de toutes sortes, venues de tout l'échiquier politique.

Il y a des points ou je suis en désaccord avec l'auteur (par exemple sur l'anonymat du don de gamètes, où il critique les raisonnements certes discutables de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, mais qui est réputée plutôt progressiste, favorable à l'homoparentalité et à la gestation pour autrui, par exemple ; et sa critique d'Irène Théry est aujourd'hui dépassée), mais ce tout petit livre reste une lecture intéressante et hautement recommandée, utile pour stimuler votre réflexion à ce sujet. Attention, toutefois, les non-français pourraient le trouver un peu trop franco-centré.

Au prix modique de 3 €, si vous tombez dessus, ne vous privez pas.