[Tw : transphobie, et incompétence possible de l'auteur sur cette épineuse question]
Si, comme moi, vous fréquentez régulièrement les réseaux sociaux tels que Twitter, vous n'avez pas pu passer à côté de ce shitstorm qui agite actuellement la toile : J.K. Rowling, l'autrice de la célèbre saga Harry Potter, serait transphobe, c'est-à-dire hostile aux droits des personnes transgenres.
A vrai dire, elle n'en est pas à son coup d'essai. Déjà, le 19 décembre 2019, elle se fendait d'un tweet pour partir à la défense de Maya Forstater, une spécialiste fiscale qui avait été licenciée pour avoir posté sur Twitter que le sexe biologique était purement binaire, qu'il était impossible de changer celui-ci et, surtout (même si cela est rarement évoqué), pour avoir, apparemment, utilisé ces justifications afin de nier des droits fondamentaux à des personnes transgenres. C'est beaucoup plus grave que la version qu'en a donnée Rowling, à savoir qu'elle avait été licenciée uniquement pour avoir affirmé que le sexe (biologique) existait[1].
Bref, cette fois-ci, tout a commencé par ce tweet le 6 juin dernier :
Si on lit l'article en question, on se rend compte que l'expression people who menstruate était vraiment à prendre au sens littéral, et n'était absolument pas un « euphémisme » pour women (femmes), parce qu'il abordait directement le problème des règles durant la pandémie de covid-19.
Ce choix de langage était donc tout à fait pertinent. D'une part, de façon triviale, parce que ce ne sont pas toutes les femmes qui ont leurs règles. Sans même parler des femmes trans et intersexes, il y a toute une série de raisons, temporaires ou définitives, qui font que les femmes n'ont pas leurs règles : grossesse, ménopause, soucis de santé, etc...
Mais aussi parce qu'il y a des personnes qui ne se considèrent pas elles-mêmes, voire que d'autres personnes ne considèrent pas comme femmes, et qui ont leurs règles : c'est par exemple le cas des « gender non-binary persons » (personnes non-binaires) évoquées dans l'article, mais aussi des hommes trans et de certaines personnes intersexes. C'est pourquoi, même parler uniquement de « women who menstruate » n'était pas suffisamment inclusif pour ce genre d'article qui s'adresse au plus grand nombre ; il fallait donc, a minima, reconnaître l'existence de personnes qui ne sont pas des femmes et qui ont des règles[2].
Si on se met à la place des personnes concernées, en particulier celle des femmes trans, on peut donc tout à fait comprendre que ce tweet ait été particulièrement mal perçu, puisqu'il sous-entend que les femmes trans ne seraient pas des femmes ; en effet, avec la technologie actuelle, il n'est pas possible de donner de menstruations à une femme trans. Sans entrer dans un débat sur le transmédicalisme, on peut a minima considérer qu'une femme trans opérée à laquelle on a remplacé le pénis par un vagin est une femme, point (vision simpliste et aujourd'hui considérée comme dépassée, voire rétrograde, d'ailleurs). On n'est pas en train de parler de non-binaires barbus à moitié libanais, là. Il s'agit de quelque chose de très basique concernant les droits des personnes trans.
Rowling aurait pu s'en arrêter là, mais elle est allée en fait beaucoup plus loin que ça. Dans ses tweets d'après, déjà, elle en a rajouté une couche sur la réalité du sexe biologique (à grands renforts d'équivocations et de doubles sens), alors que ce n'était pas le propos de l'article qu'elle citait, qui ne nie même pas l'existence du sexe biologique, et se contente d'utiliser des termes corrects et consensuels pour désigner des réalités biologiques.
Ensuite, elle s'est fendue d'une longue justification, assez bancale, où l'on retrouve des arguments TERFs assez classiques, du type « les hommes vont envahir nos espaces », où elle n'hésite pas à donner dans l'amalgame au sujet des « trans-activistes », et où elle évoque certaines des réponses qu'elle a eues suite à ses diatribes. A ce sujet, je tiens à signaler que je ne cautionne absolument pas les pires excès de la cancel culture qui sévit actuellement sur Twitter, ni certains des harcèlements dont Rowling a pu être la victime, s'ils ont bel et bien eu lieu.
Toujours est-il que les acteurs de la série Harry Potter, Daniel Radcliffe et Emma Watson en tête, ont commencé à prendre leurs distances vis-à-vis des positions de Rowling sur la transidentité. C'est bien évidemment une bonne chose, et l'on ne peut que souhaiter que cela continue.
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[1]Plus précisément, ce qui était visé dans le jugement prononcé à l'encontre de Forstater, semble-t-il, ce n'était pas tant sa croyance philosophique en l'immutabilité du sexe biologique que le fait qu'elle utilise cette croyance pour justifier des atteintes aux droits des personnes trans. Il s'agit d'un manque de neutralité évident. C'est l'équivalent d'un chrétien qui discriminerait à l'encontre des homosexuels en raison de passages tirés du Lévitique.
[2]L'article ne parlait d'ailleurs même pas directement du cas des hommes trans, et pourrait donc être lui-même accusé de transphobie par certaines personnes pour cette raison-là.
Ce blog se chargera de discuter les notions d'inné, d'acquis, de normal, de pathologique, de corps, d'esprit, et les raisonnements logiques et éthiques les plus fréquents à leur sujet. On y critiquera la psychanalyse et on y traitera également de bioéthique le cas échéant.
12/06/2020
J. K. Rowling et la transphobie
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