13/05/2020

Mes évolutions personnelles sur l'accès aux origines

Tout d'abord, pour tous ceux qui suivent mes articles, je tiens à préciser que je ne suis moi-même pas conçu par don, j'ai juste un très fort intérêt personnel pour le sujet. Bien sûr, dans ces conditions, il me faut également comprendre pourquoi j'ai un intérêt personnel aussi fort pour ce sujet.

Contrairement à ce que certaines FMLR pourraient penser, je ne pense pas que ce serait parce que je serais homophobe ou lesbophobe. Au contraire, j'ai très tôt remarqué, en particulier dans le monde anglo-saxon, la convergence entre certains mouvements de personnes conçues par don et certains courants homophobes. Et, bien que j'aie tout de suite ressenti de la sympathie pour cette cause, je savais qu'il faudrait tôt ou tard la purger de ses possibles instrumentalisations homophobes (ou, plus généralement, conservatrices), ce qui, fort heureusement, m'a l'air d'être en assez bonne voie, si je suis l'évolution du mouvement au cours du temps.

Je pense qu'il y a aussi, effectivement, une part de volonté de « dénoncer la gauche radicale là où elle se fourvoie », mais cela vise moins des groupes de personnes en particulier que des idéologies : la minimisation de la biologie et le relativisme culturel, par exemple. Puis bon, en France, l'opposition à l'accès aux origines provient en réalité davantage de la droite (cf. les débats au Parlement et ce sondage) que de la gauche, même radicale, contrairement à ce que pourraient faire penser certaines minorités bruyantes sur Twitter. De plus, en politique, je sais très bien où sont mes priorités, et que je sais que je ne voterai jamais pour la droite conservatrice, même si celle-ci était plus favorable à l'accès aux origines que la gauche.

Enfin bref, je pense qu'en a peine quelques mois, j'ai évolué sur la question de l'accès aux origines. Pas sur le fond, ni sur les principales positions à défendre, mais plutôt sur la manière de défendre celles-ci.

Il y a quelques mois à peine, j'engageais directement le débat avec certaines FMLR sur leurs profils, et suite à certaines de leurs insultes ou à certains arguments particulièrement mauvais de leur part, il m'arrivait de m'énerver et de tomber ainsi dans leur piège, qui était de me faire passer pour insensible, voire réactionnaire et homophobe. Occasionnellement, il m'est ainsi arrivé d'user de termes psychophobes pour me référer à certaines de mes adversaires lorsqu'elles avaient le dos tourné, ou d'employer un ton pouvant être vu comme condescendant, allant jusqu'à balancer des accusations de « reniement » voire de « totalitarisme » à l'encontre de certaines d'entre elles. Avec le recul, ce sont autant d'arguments que j'utilisais à l'époque et que je n'utiliserais plus aujourd'hui. [update du 12 février 2022 : j'ai encore évolué depuis. Je pense que si je n'utiliserai plus ces arguments aujourd'hui, c'est avant tout parce que, fondamentalement, je n'aime pas faire de la peine aux gens, et que je sais désormais où ces arguments nous mènent. Mais je maintiens qu'il y a tout de même un problème avec la violence de certaines des réactions que j'ai pu croiser, révélateur de problèmes plus fondamentaux de leur idéologie, ce qui pourrait faire l'objet d'un prochain article] En particulier, je pense qu'il convient de ne pas exagérer les méfaits d'une pratique et d'une idéologie à laquelle on s'oppose, tant que l'on n'a pas vu, de façon concrète, comment les choses se déroulaient dans la pratique. 

Aujourd'hui, c'est tout juste si je me contente de liker les posts d'un "courageux" individu conçu par don, qui se vante de signaler les cas les plus flagrants de harcèlement et de désinformation provenant de la communauté FMLR. Je ne réponds plus à rien, sauf si on s'adresse directement à moi.

Par ailleurs, j'ai récemment lu des articles d'anthropologie portant sur l'excision (un sujet que j'ai délibérément choisi pour son caractère extrême, puisque je doute qu'il y ait beaucoup de personnes pour le défendre dans le monde occidental, mis à part quelques anthropologues relativistes). Sans tomber dans le relativisme extrême, ces articles mettaient en avant certaines problématiques qui compliquaient la lutte contre l'excision et pouvaient même s'avérer contre-productives.

Notamment, un certain risque d'ingérence paternaliste et néo-coloniale de la part d'un Occident civilisateur qui apporterait le salut aux femmes indigènes, ce qui leur fait dire que pour combattre efficacement l'excision, il fallait tout d'abord bien comprendre les mécanismes culturels derrière cette pratique, et avant tout s'appuyer sur les femmes qui habitent sur place et travailler avec elles pour changer les attitudes locales et éduquer les personnes sur les dangers de cette coutume, dont la pratique persiste même dans des régions où il y a des lois qui l'interdisent.

Pour comparer avec notre sujet de départ - avec lequel je ne suis pas en train d'insinuer qu'il y aurait un quelconque degré de gravité similaire ou comparable, ni même qu'il faudrait le traiter avec la même sévérité - cela me fait mieux comprendre, toutes proportions gardées, l'opposition à la levée de l'anonymat des dons de gamètes de la part des FMLR.
Avant toute chose, la situation politique que nous vivons est très délicate, et les aspects homophobes de la culture hétérosexuelle ont souvent brandi un certain concept de « droits de l'enfant » pour s'opposer aux droits des personnes LGBT de vivre leur vie comme elles l'entendaient, alors même que le système d'anonymat des donneurs tel que défini par la loi de 1994 était l'incarnation-même du privilège hétérosexuel. D'ailleurs, les FMLR utilisent le fait que cette institution ne soit remise en cause que maintenant, et que notre monde a encore un rapport compliqué voire contradictoire à la science, au corps et à la parenté (notamment en ce qui concerne les droits des personnes intersexes), comme preuves indéniables de l'inoxydable hypocrisie du monde hétérosexuel à leur égard, alors que nous n'en avons justement pas terminé avec cette défense masculine et hétérosexuelle de l'anonymat des donneurs et des secrets de famille.

C'est pourquoi, dans notre combat contre l'anonymat des dons de gamètes, il nous faut avant tout nous appuyer sur la « majorité silencieuse » de la communauté LGBT et des féministes, renforcer notre coopération avec les organisations LGBT (y compris en ouvrant le dialogue avec des militant-e-s assez radicales, ce qui a déjà commencé), écouter les enfants de ces familles-là, d'autant plus si iels-mêmes sont LGBT et engagé-e-s dans ce milieu[1], travailler main dans la main avec les centres LGBT régionaux, rappeler que pour une personne conçue par don, découvrir l'identité de son donneur à sa majorité n'est en aucun cas une obligation, écouter les justifications derrière les revendications de nos adversaires, en évitant autant que possible les jugements de valeur négatifs[2].

Je remarque qu'en France, les associations pour le droit d'accès aux origines entament déjà des démarches allant dans ce sens, et c'est une bonne chose. Cela se voit dans la trajectoire du site web de l'association PMAnonyme : en moins d'une quinzaine d'années, celui-ci est ainsi passé d'une esthétique froide connotée « pro-vie » à une esthétique beaucoup plus chaleureuse, qui met davantage en avant les droits des personnes et leurs expériences. La rhétorique employée a elle aussi évolué : celle de la toute première version du site serait rétrospectivement qualifiée de pro-« Manif Pour Tous » à cause du vocabulaire employé[3], tandis que celle de la version actuelle est beaucoup plus modérée.
Plus récemment, le site a aussi supprimé la mention de la notion de « père biologique » (bien que techniquement correcte, cette expression peut être considérée comme controversée, dans l'optique d'un dialogue avec des militant-e-s radicales) et relégué au second plan sa catégorie Ils l'ont dit (section controversée chez les FMLR, en raison de citations de députés de droite, notamment).

Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas indiquer dans la charte de l'asso une reconnaissance et une valorisation de la diversité des modèles familiaux, comme l'ont déjà fait le Donor Sibling Registry et l'Association Canadienne des Personnes Conçues par Don de Gamètes avant elle ?

Soyons fous : PMAnonyme pourrait même proposer de participer, avec ou sans sa concurrente Origines (qui, par rapport aux organisations LGBT et féministes les plus classiques, a l'avantage d'être encore moins « controversée » que PMAnonyme), à la prochaine Marche des Fiertés (qui ne se tiendra pas avant un bon moment, vu le contexte actuel, donc).

Absurde ? Pas tant que ça : le Donor Sibling Registry, dont les positions sont nettement similaires à celles de ses homologues français, participe depuis déjà plusieurs années à des événements LGBT. Et après tout, PMAnonyme et Origines se sont, chacune dans leur genre, beaucoup mobilisées et illustrées dans le débat bioéthique et la loi sur la PMA, sachant que l'accès aux origines est aussi une revendication de l'Inter-LGBT.

Cependant, cette participation risquerait certainement d'être perçue comme une provocation, voire comme une insulte, par certaines organisations radicales, ce qui risquerait de provoquer des clashs et autres altercations inutiles. Des incidents du même type ont eu lieu à cause du même genre de personnes lors de précédentes Marches des Fiertés, pour d'autres raisons.

Ainsi, si cette participation est acceptée, ce serait bien sûr une grande victoire pour la cause de l'accès aux origines, mais il ne faudrait pas se réjouir trop vite, et rester vigilants, bien entendu.

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[1]D'après mon expérience personnelle, les personnes LGBT conçues par don (mêmes celles issues de parents LGBT) ont d'ailleurs globalement tendance à privilégier leur identité de personne conçue par don à celle de personne LGBT, en termes de revendications.

[2]C'est un point sur lequel je pense avoir particulièrement progressé, depuis moins d'une semaine. Dans mon précédent article, j'écrivais encore que les FMLR étaient principalement motivées par la peur, notamment celle d'être « trahies » par leurs propres enfants. Dans la réalité, c'est certainement plus complexe que cela. Personne n'admet facilement être motivé par la peur, et elles seraient tout à fait capables de renverser cette accusation à notre égard, pour d'autres raisons. En fait, certaines FMLR semblent même motivées par une forme de confiance (qui d'ailleurs, de notre point de vue, apparaît largement excessive, et il faudra donc faire comprendre qu'elle est empiriquement excessive) dans leur idéologie « révolutionnaire », davantage que par la peur.

[3]Le vocabulaire utilisé n'était pas spécifiquement homophobe à proprement parler, mais on peut lui trouver rétrospectivement une connotation homophobe, notamment à cause de la récupération de ce genre de rhétorique par La Manif Pour Tous à partir de 2013.




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