Mais la sphère dite « woke » est actuellement agitée par un drama d'ampleur peut-être plus importante encore.
Tout a commencé par un post sur l'accouchement sous X, dans lequel une twittos appelait à ne pas relayer les posts de nés sous X qui recherchaient leur mère de naissance, afin de respecter la décision qu'avait prise celle-ci de garder l'anonymat. S'en est suivi, inévitablement, un clash avec lesdits nés sous X (parmi lesquels se trouvaient de nombreuses personnes racisées)[1].
Dans un des tweets de son fil, ladite twittos visait expressément une personne IAD engagée contre l'anonymat des dons de gamètes, disant qu'elle était homophobe, réactionnaire et la présentant implicitement comme une sorte de repoussoir idéologique absolu. Suite à ce harcèlement ciblé, ladite personne IAD[2] a réussi à mobiliser sa communauté afin de signaler le compte en question et de le suspendre.
À vrai dire, je ne sais toujours pas s'il s'agissait de la bonne décision à prendre, même si je reconnais qu'au minimum, il ne doit pas être très agréable de se prendre ce genre de harcèlement injustifié à répétition.
Toujours est-il que par la suite, la personne IAD en question s'est prise en retour un call-out particulièrement sévère en pleine poire, de la part de « féministes-matérialistes-lesbianistes-radicales » (ou FMLR)[3] pour lesquelles tout désaccord ou toute critique de leur idéologie relève de l'homophobie pure et simple.
Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas ici de véritablement expliquer[4] en quoi les propos de ladite personne IAD seraient homophobes, discriminatoires, intégristes, réactionnaires ou d'extrême-droite ; il s'agit avant tout de dénoncer, de dénigrer, de discréditer, de provoquer, de désinformer un certain public présent sur Twitter afin de maintenir celui-ci dans une emprise sectaire (on pense aux fameuses deux minutes de la haine, dans 1984 de George Orwell, par exemple), puis de répéter et d'exagérer les accusations des autres intervenants. De fait, leurs principaux arguments relèvent du plus pur déshonneur par association et d'autres tropismes issus de la désormais tristement célèbre « cancel culture ».
Un autre individu IAD, profondément engagé dans la même cause que la précédente personne IAD, s'est ensuite mis en avant pour signaler autant de posts injurieux qu'il le pouvait. Parmi les « FMLR » de Twitter, celui-ci a suscité un certain nombre de railleries, notamment en raison de son pseudonyme, mais cela leur également permis de découvrir les actions effectivement menées par les personnes IAD de chair et d'os, et aussi, indirectement, qu'il existait toute une frange LGBT « modérée » (largement majoritaire, hors de Twitter) qui non seulement ne partageait pas leur idéologie, mais la rejetait même ouvertement (avec toutefois beaucoup de nuances à apporter à cela, évidemment)[5].
Quant à moi, cela m'a permis d'en découvrir davantage concernant les contradictions qui agitent actuellement ce mouvement de pensée.
Notamment en ce qui concerne les incohérences de sa rhétorique, qui révèlent en filigrane ce que pourraient bien être les véritables motivations derrière les revendications de ce mouvement.
Prenons la « libre disposition de son propre corps », par exemple. Les « FMLR » y sont en principe favorables... sauf lorsqu'il s'agit d'user de cette libre disposition de son corps pour effectuer des tests ADN[6] afin de découvrir son géniteur.
Prenez ce post, par exemple.
Ainsi, les « FMLR » découvrent avec horreur que l'anonymat des dons de gamètes, que des démagogues leur avaient promis et auquel elles tenaient tant, n'est plus garanti dans la pratique, et que même des médecins gays de gauche applaudissent des deux mains... Quelle surprise, dites donc !
Il est tout de même cocasse de voir que les mêmes personnes qui, dans un autre domaine, se vantaient ouvertement de défendre des « fraudeuses » (pourtant à juste titre, selon moi) s'étonnent ici de voir d'autres personnes « contourner la loi », et ce avec une confondante naïveté ; alors que pourtant, on est en droit de penser que résoudre un questionnement existentiel pourrait être ni plus ni moins légitime que d'assouvir un désir d'enfant. Dans les deux cas, il s'agit de façons de reprendre sa vie en main.
Bien sûr, la twittos dont il est question ici prend soin par la suite de ne pas paraître trop « pro-donneurs » (ce qui serait étonnamment « pro-hommes » pour une supposée féministe radicale). Elle enchaîne donc avec le tweet suivant :
Comment peut-on être davantage à côté de la plaque ?
Je veux dire, à moins de penser sérieusement que tous les hommes sans exception sont secrètement l'un ou l'autre voire les deux, il est fort à parier que dans les faits il n'y aura ni l'un ni l'autre (sauf peut-être chez des « repentis », des progressistes ou des gens responsables), à moins d'être particulièrement stupide, suicidaire ou les deux.
Elle enchaîne ensuite avec deux tweets qui témoignent indirectement de ce qu'on pourrait appeler le cœur du problème, à savoir la peur. Peur - largement fantasmatique - d'être un jour confrontée à un inconnu qui pourrait menacer notre famille ; peur de se voir, soi et sa famille, délégitimées et déconsidérées ; mais, peut-être aussi, peur implicite et secrète de voir un jour nos propres enfants finir par nous « trahir ». Ce à quoi je réponds que nos familles ne devraient pas être basées sur la peur et l'appréhension, car nos enfants valent mieux que ça[7].
Dans le post suivant, il y a aussi le sentiment que la situation est plus ou moins en train de leur échapper, et qu'il va falloir tôt ou tard faire le deuil d'une utopie mort-née, à savoir tenter de redéfinir la famille et la parenté sans aucune référence même implicite à la biologie, et de pouvoir imposer ce point de vue à tous et en premier lieu à leurs propres enfants.
C'est ce qui me fait dire que, dans l'affaire, les vrais réactionnaires ne sont peut-être pas ceux qu'elles voudraient nous faire croire.
Parce qu'il n'y a pas que les cathos, les intégristes ou les conservateurs qui ont du mal à s'adapter à l'évolution du monde ; il y aussi les FMLR, dans un autre registre. C'est quelque chose qu'elles comprendraient certainement mieux, si elles essayaient davantage de discuter avec des personnes IAD nées dans des couples hétéro, plutôt que de venir les insulter sur les réseaux.
À leur décharge, il faut dire que ce courant ne développe quasiment aucune réflexion pertinente qui lui soit propre en matière de droits des enfants, et pour cause puisque le simple fait d'évoquer ce sujet fait de vous une personne d'extrême-droite à leurs yeux.
C'est bien simple, le plus souvent, le sujet n'est abordé qu'à l'aune d'un dogmatisme « pro-choix » aussi suranné qu'immature, qui partage paradoxalement en commun avec son homologue anti-avortement dans sa forme la plus crue, le fait de tenir des opinions très fortes et arrêtées sur ce que pourrait ou devrait être une grossesse, tout en se foutant de ce qu'il advient de l'enfant après (pas au sens littéral bien sûr, mais au sens où certains de ses éventuels besoins, opinions ou considérations ne seront probablement pas pris en compte).
Ce dogmatisme, accompagné d'une fermeture délibérée à la discussion, au dialogue et à l'échange, ne peut déboucher que sur une forme d'irresponsabilité proclamée et revendiquée, affichée et assumée en tant que telle, aux forts relents passifs-agressifs, qui contribue paradoxalement à essentialiser encore davantage le désir d'enfant.[8]
C'est fort dommage, parce que le projet de loi bioéthique contenait bel et bien de nombreuses avancées marquantes, qu'il ne doit donc être enterré sous aucun prétexte et qu'il faudra les défendre coûte que coûte, dénaturées qu'elles aient été après le passage au Sénat. Je dirais même que la crise du COVID-19 rend la question de la levée de l'anonymat des donneurs encore plus pertinente et pressante que jamais, pour plusieurs raisons (perturbations possibles, et à titre temporaire, de l'industrie des tests ADN, ce qui appelle à une facilitation des démarches administratives à l'avenir pour retrouver son donneur, enquêter sur les réactions face au COVID-19 des parents biologiques qui pourrait correspondre à un profil génétique particulier, etc...).
___
[1]Plus précisément, ce clash opposait majoritairement d'un côté des féministes « pro-choix » radicales, mais majoritairement blanches et aussi en un sens plus traditionnelles qu'elles ne le prétendaient, et de l'autre de jeunes personnes, souvent racisées, là aussi des femmes pour la plupart.
[2]Probablement l'une des personnes IAD les plus ouvertes et progressistes que je connaisse, en plus. C'est même pire que ça : en fait, je pense qu'elle est même ciblée spécifiquement parce qu'elle est ouvertement progressiste, parce que quelque part elle baigne déjà dans cette sphère-là et ce depuis longtemps. Un type IAD lambda aurait eu beaucoup moins d'abonnés en commun avec les FMLR, et l'impact d'un call-out s'en serait trouvé d'autant plus amoindri.
[3]Cette notion correspond à peu près à celle de « sympathisante GCN » ; mais je me réserve dorénavant le droit de parler de GCN pour parler plus spécifiquement de l'association, et non du courant de pensée dans son ensemble. En tout les cas, elles sont à peu près aussi représentatives des lesbiennes en général qu'Eric Zemmour est représentatif des français.
[4]Comme indiqué
précédemment, toute critique de leur idéologie est généralement
considérée comme lesbophobe, sans autre forme de procès ;
cependant, et particulièrement quand on les pousse à détailler
leur point de vue, il arrive parfois que des FMLR explicitent
davantage en quoi elles considèrent ces désaccords comme
lesbophobes (tout en insistant toujours à chaque fois sur le fait
qu'elles ne devraient pas avoir besoin de l'expliquer, tant selon
elles ce point de vue devrait aller de soi).
En particulier,
elles rejettent l'argument selon lequel la levée de l'anonymat n'est
pas lesbophobe parce qu'elle concerne aussi les hétéros, et ce pour
plusieurs raisons.
Tout d'abord,
elles considèrent, tout comme les homophobes paradoxalement, que
l'homosexualité est davantage histoire d'idéologie que d'orientation sexuelle, ce qui dans leur cas engendre une confusion
très utile pour immuniser leur idéologie face à la critique.
Et entre autres,
cette idéologie leur permet d'affirmer que les homosexuel-le-s seraient
substantiellement différent-e-s des hétéros en termes de culture, de
pensée, de vision du
monde, de vécu et d'idéologie elle-même.
Bien sûr, dans la vraie vie, ce n'est pas tout à fait vrai. Par
exemple, les motivations des parents opposés à la levée de
l'anonymat, quelque soit leur orientation sexuelle, sont très largement
similaires : peur de la chute des dons, peur de se voir trahi-e par ses propres enfants (particulièrement dans le cas du parent non-biologique), peur de se voir perturbé-e dans la vision de sa propre famille...
Seule l'expression de ces sentiments diffèrent, suivant le type de
famille : les hétéros gardent autant que possible le secret sur la
conception de leurs enfants, parce qu'ils peuvent se permettre cette
fiction, tandis que les FMLR, incapables de garder le secret,
minimisent l'importance de la biologie.
De façon plus importante encore, prétendre que, sous prétexte que
les homosexuels auraient intrinsèquement une idéologie différente
de celle des hétéros, la critiquer relèverait de l'homophobie, ce
n'est pas un argument recevable dans le cadre d'une démocratie à
l'occidentale (et encore moins dans le modèle universaliste à la
française). Cela permet de se rendre compte où s'arrête l'égalitarisme et où commence le relativisme ou le communautarisme (le vrai, et non le fantasmé).
D'autre part, on
trouve l'idée que la présence d'un homme dans les familles
hétéro-parentales qui ont recours à la PMA protégerait
intrinsèquement mieux celles-ci, d'un point de vue politique. Elles
vont jusqu'à imaginer des scénarios alambiqués dans lesquels les enfants des lesbiennes seraient placés sous l'autorité parentale d'un type qu'ils n'ont jamais connu au nom de leur droit d'avoir un père et une mère. En plus de totalement méconnaître les opinions
de la droite et de l'extrême-droite françaises réelles sur la
question de l'accès aux origines (en pratique, ces dernières sont
souvent beaucoup plus « pro-donneurs » ou « pro-secret parental » que les FMLR ne se
l'imaginent), ce projet serait à la fois impossible à mettre en
place, contre-productif et probablement même inconstitutionnel.
[5]L'association PMAnonyme, implicitement visée à travers toute cette campagne de harcèlement, a notamment co-signé des tribunes dans la presse avec l'ADFH, association homoparentale qui milite de longue date pour la levée de l'anonymat des dons de gamètes, mais aussi Le Refuge, le RAVAD, Stop Homophobie, les associations religieuses David et Jonathan et Beit Haverim, des franc-maçons LGBT, des représentants d'organisations LGBT proches des grands partis du centre et de la gauche, ainsi qu'avec Caroline Mécary, Martine Gross, Christophe Beaugrand, Marie Labory et Jérôme Courduriès. Il existe également d'autres organisations LGBT qui sont en désaccord avec PMAnonyme concernant certains détails légaux techniques, mais qui ne s'opposent pas (ou plus) à la levée de l'anonymat des dons de gamètes, prise dans ses grandes lignes. Voir aussi ce sondage, qui date de l'année dernière.
[6]À la légalisation desquels même le juriste franco-argentin ultra-libertaire Daniel Borrillo se montre pourtant favorable.
[7]À ce sujet, un très bon article (en anglais) aborde justement cette question-là.
[8]Cela pourrait paraître exagéré, mais, toutes proportions gardées, on peut noter de troublantes similitudes entre le discours d'un incel qui fait l'apologie du viol parce que la prostitution est illégale, et celui d'une FMLR qui fait l'apologie du fait de concevoir un enfant dans le dos d'un homme (par trouage de préservatif) parce que la PMA ne sera pas légale dans les conditions qu'elle aurait souhaitées (je ne suis pas ici en train de prétendre qu'il s'agirait là de deux situations parfaitement équivalentes, bien entendu). Une pamphlétaire telle que Marcela Iacub offre ainsi une possibilité de convergence fortuite entre FMLR et incels.
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