27/09/2019

Les arguments fallacieux des « Gouines contre Nature »

L'« intégrisme LGBT » que j'avais dénoncé dans un précédent article vient enfin de se doter d'une expression politique : les Gouines contre Nature (que nous appellerons ci-après GCN, pour simplifier la lecture).

Quelque part, paradoxalement, je considère que c'est une bonne chose que ce mouvement se dote d'une expression politique et d'une appellation, car jusque là, pour désigner cette idéologie, il fallait recourir à des termes trop ambigus (comme « lesbianisme radical », « intégrisme LGBT »), qui pouvaient laisser croire que nous étions hostiles aux droits LGBT dans leur ensemble, alors que si l'on parle de « GCN », on sait tout de suite à qui on a affaire.

Les GCN ont récemment organisé un événement place Saint-Michel à Paris, le 5 octobre. L'objectif en est de dénoncer les « manquements » du projet de loi actuel, à savoir les insuffisances en matière de parentalité trans mais surtout, aussi, la levée de l'anonymat des donneurs (et ce, bien que l'accès aux origines fasse partie des revendications de l'Inter-LGBT en 2019).

Soyons clairs : ce ne sont absolument pas les questions liées à la parentalité trans (qui me semble être un combat tout à fait légitime) que je conteste (même si les GCN instrumentalisent certainement la question pour gagner des sympathisant-e-s et ne pas parler du reste). Plutôt le fait que dans ce cas, l'anonymat soit toujours défendu avec des arguments qui ne résistent pas à l'analyse critique.

En effet, dès l'introduction, il est écrit : « Nous appelons au rassemblement le 5 octobre 2019 pour les droits reproductifs, pour le droit à disposer de nos corps librement, nos gamettes [sic] comprises. »

J'aimerais revenir sur cette notion de « droit à disposer de son corps librement », qui me semble mobilisée à tort et à travers. Pour moi, cette notion n'est rien d'autre qu'un artifice rhétorique. Rien que sur l'IVG, par exemple, on ne va jamais totalement au bout de ce que cette notion implique. À part quelques illuminé-e-s, personne ne défend le droit d'avorter jusqu'au neuvième mois de grossesse, par exemple. De même (à part les libertariens, probablement les plus cohérents dans cette démarche) personne n'aurait l'idée saugrenue d'utiliser cette notion pour revendiquer le droit de rouler en voiture sans mettre sa ceinture de sécurité, ou même de conduire en état d'ivresse et sans permis.

Ensuite, techniquement, ce n'est même pas du « droit à disposer de [leur] corps librement » que parlent les GCN. Cette loi ne changera rien - ou presque, et dans un sens positif - à l'utilisation de leurs propres gamètes. En réalité, paradoxalement, les GCN militent surtout, à première vue, pour le droit des donneurs (majoritairement masculins) à disposer de leur corps à eux. Je dis à première vue, car sous le régime français d'anonymat pur et simple, ce droit à disposer de son propre corps est en réalité très restreint, ce que beaucoup de donneurs déplorent eux-mêmes.

Bref, on acceptait déjà auparavant que le droit des donneurs à disposer de leur corps connaissait de nombreuses limites, ce principe reste le même, seules les modalités vont changer.

(Addendum du 8 décembre 2021 : l'idée sous-jacente, à savoir défendre sa « liberté de disposer de son corps » juste parce qu'on pense en avoir le droit, a très mal vieilli avec la pandémie de Covid-19 ; il n'y a qu'à voir comment l'extrême-droite a récupéré le slogan « mon corps, mon choix » pour s'opposer à la vaccination et aux mesures sanitaires. 
Paradoxalement, sur la question de l'anonymat des dons de gamètes, la vision qu'ont les sympathisantes GCN de la libre disposition de son corps a davantage à voir avec celle des anti-vax qu'avec celle du militantisme féministe traditionnel. C'est d'autant plus étonnant que, si on peut reprocher des choses aux sympathisantes GCN, il faut leur reconnaître qu'elles se sont le plus souvent montrées très pro-vax et pro-mesures sanitaires, depuis le début la pandémie)



Continuons. Au début de leur tract, il est écrit « La PMA voulue par la majorité et défendue par la ministre de la santé Agnès Buzyn transforme le donneur de gamète en “père biologique”, et le don de spermato en “origines” pour nos enfants. »

À ce sujet, il faut dores et déjà noter que non, ce n'est pas la réforme qui transforme le donneur de gamètes en « père biologique » (l'expression ne figure d'ailleurs même pas dans le projet de loi) et les spermatozoïdes en « origines »[1]. Ce sont des personnes, le plus souvent elles-mêmes concernées, qui utilisent ce langage - parfois, mais pas tout le temps. Pour défendre la première assertion (père biologique), les GCN s'appuient sur une phrase d'Agnès Buzyn qu'elle a prononcée lors d'une interview, pour prétendre que ce serait comme cela que tous les partisans de la réforme verraient les choses. Certes, elles peuvent déplorer qu'Agnès Buzyn parle d'« origines » et de « père biologique » (expressions pourtant techniquement correctes) mais le déploreront-elles lorsque ce seront leurs propres enfants qui le feront ?

Ensuite : « Nous refusons de laisser l’Etat nous imposer des présences masculines dans nos familles, car nous y voyons une manière de nous rappeler que celles-ci n’ont de la valeur seulement quand nous avons un lien avec un homme. Nous voulons vivre nos maternités librement et nous n’admettons pas que l’ordre répressif hétérosexuel nous impose ses termes et sa vision réactionnaire de la famille. »

Ce passage révèle une profonde méconnaissance des revendications des personnes IAD, qui entrevoient toutes l'accès aux origines comme un droit ouvert à l'enfant et non pas comme une obligation imposée aux parents. Je répète encore, en quoi, pour un enfant, le fait de pouvoir avoir accès à l'identité de son géniteur à sa majorité légale constitue-t-il un moyen d'imposer une « présence masculine » à sa famille ? À ce stade-là, je me pose donc la question : ou bien les GCN n'ont pas compris le projet de loi, ou bien elles n'utilisent cet argument que comme façade pour cacher d'autres intentions. Notamment, et je le dis tel quel, la peur de la liberté que pourraient avoir leurs propres enfants dans leur façon d'envisager leur famille[2].

En fait, ce passage relève de la désinformation pure et simple, et c'est à cela qu'il faudra être particulièrement vigilant.

« On nous rejoue la musique de 2013, en opposant le droit des femmes lesbiennes et célibataires à faire famille à la thèse préférée de l’extrême droite : l’intérêt de l’enfant. Nous devrions tout accepter, de la levée de l’anonymat des donneurs au monopole complet des médecins sur le processus de procréation, sous peine d’être pointée du doigt comme des femmes capricieuses, égoïstes et négligentes du bien-être de leurs enfants. Ces arguments, nous les connaissons bien, puisque nous les entendons quand nous avortons, quand nous accouchons sous X, et à chaque fois que nous luttons pour le droit de disposer librement de nos corps. »

Ou quand le simple fait de parler d'intérêt de l'enfant fait de vous une personne d'extrême-droite... Rappelons à ce sujet que la notion d'intérêt supérieur de l'enfant provient de la Convention des droits de l'Enfant de 1989 (en fait, elle est même plus ancienne que cela). D'extrême-droite, l'ONU ?

Par ailleurs, l'extrême-droite, la vraie, a toujours été profondément hostile aux droits de l'enfant, et ne  ne fait en réalité qu'instrumentaliser la question contre les populations LGBT lorsque cela l'arrange, de la même façon qu'elle instrumentalise les droits des femmes et la laïcité contre les populations d'origine étrangère lorsque cela lui convient.

Par opposition, ce serait une idée de gauche que de prétendre que l'enfant n'a pas d'intérêt ? Étrange perspective...

Lorsqu'on lit la suite, on se rend compte qu'elles revendiquent en réalité un droit à ce que leurs décisions personnelles ne puissent être critiquées, même lorsqu'elles ont un impact sur d'autres personnes (ce qui est le cas, dans le cas de l'accouchement sous X). Va-t-on promouvoir le droit à boire de l'alcool et à fumer pendant la grossesse au nom des mêmes arguments ?

Je ne reviendrai pas sur les deux derniers paragraphes, car y répondre serait réitérer mes précédents arguments (juste préciser : personne de sérieux ne nie que leurs familles existent déjà ; mais leurs enfants aussi, pris comme groupe abstrait,  sont déjà en train de retrouver leur géniteur que cela leur plaise ou non. Donc cet argument peut être retourné pour défendre la levée de l'anonymat).

Il y aurait beaucoup à dire sur cette étrange fascination paradoxale, très certainement inconsciente, qu'exercent certaines idées libertariennes et/ou conservatrices, notamment un certain type de modèle familial autoritaire, sur les sympathisantes GCN[3], notamment l'idée que « si les enfants n'appartiennent pas à leurs parents, ils appartiennent à l'Etat » ou « les parents comme premiers éducateurs de leurs enfants », toutes historiquement des idées de droite. C'est là qu'on voit que les extrêmes se rejoignent.

Certaines sympathisantes GCN semblent même envier aux hétérosexuels leur capacité à cacher à leurs enfants le secret de leur conception, alors que les personnes IAD ne le voient justement pas comme une bonne chose. Paradoxalement, certaines associations autrefois opposées à la levée de l'anonymat s'opposent à la RCA, qui garantirait l'accès aux origines pour les enfants de couples hétérosexuels, et les sympathisantes GCN elles-mêmes soutiennent, indirectement, l'idée que les couples hétérosexuels puissent cacher son mode de conception à leur enfant.

Bref, tout cela illustre parfaitement bien l'écueil, voire l'impasse d'un certain militantisme dogmatique enfermé dans un carcan idéologique et peu ouvert à la discussion. Les LGBT valent mieux que ça. S'il est impossible d'avoir un débat rationnel avec les sympathisantes GCN les plus extrémistes, il est en revanche possible de discuter avec des personnes qui seraient tentées par cette idéologie, afin d'en réfuter les arguments les plus répandus. D'où la nécessité de rester le plus inclusif possible envers les populations LGBTI+, afin de leur éviter de tomber dans le piège d'une idéologie sans issue.

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[1]Dans ce contexte, parler d'accès aux origines est certes une simplification, mais aucune personne conçue par don que je connais ne réduirait ses origines personnelles à son propre donneur uniquement.

[2]En réalité, on peut constater que les Gouines Contre ont saisi les enjeux du projet, dès lors qu'on les pousse à s'exprimer davantage dessus. C'est ainsi que j'ai pu écouter une interview d'une de leurs militantes sur le site Gouinement Lundi, qui évoque spontanément son opposition à la levée de l'anonymat : contrairement à d'autres personnes, ses arguments ne reposent pas sur de la désinformation ou des lieux communs (« chute des dons », etc...), mais sur des motivations purement idéologiques, voire sémantiques. Même si elle ne pense probablement pas en ces termes, elle peine d'ailleurs à cacher sa méfiance envers la liberté dont pourraient disposer ses propres enfants.

[3]Ce que trahit un de leurs slogans officiels (« Pas d'État dans nos familles ! »), leur intérêt personnel pour le homeschooling (source), ainsi que la revendication implicite de voir leurs familles « protégées », et non leurs enfants.

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