19/09/2019

Y aurait-il bel et bien un « intégrisme LGBT » ?

Mise en garde (août 2021) : cet article a initialement été rédigé à une époque où il était de bon ton, y compris chez certains sceptiques et progressistes, de tourner en dérision les « SJW ». Avec le recul, je réalise que si j'avais à le refaire, je ne pourrais certainement pas ré-écrire un tel article aujourd'hui, en tout cas en utilisant certains des termes que j'avais employés alors. Voir aussi ici, pour davantage de détails.

"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde." 
Albert Camus

Il existe des intégristes dans tous les milieux, malheureusement. Chez les catholiques, les protestants, les juifs, les musulmans, les majorités et les minorités. Par delà leur extraordinaire diversité, tous les intégristes ont bien davantage en commun qu'ils ne voudraient l'admettre. Par exemple, tous semblent partager la conviction commune selon laquelle si les enfants n'appartiennent pas à leurs parents, c'est qu'ils appartiennent à l'État. Par ailleurs, tenter de débattre avec un intégriste, quel qu'il soit, c'est un peu comme essayer de jouer aux échecs avec un pigeon : il va renverser les pièces, chier sur le plateau et se pavaner fièrement l'air de rien, comme s'il avait gagné. C'est simple, les intégristes de tout genre ne font aucun effort pour comprendre la perspective de l'autre, puisqu'ils ont déjà toutes les réponses.

Malheureusement, il existe aussi, en un sens, des personnes qui partagent ce genre de mentalité chez les LGBT, pourtant historiquement victimes de ces mêmes intégristes. Ce sera donc le sujet de cet article.

Tout d'abord, je dois apporter quelques précisions. Pour qui en douterait, tou-te-s celleux qui me connaissent savent que je n'ai absolument rien contre l'idée que les homosexuels puissent élever des enfants, y compris en ayant recours à la PMA. Un homosexuel n'est donc pas un « intégriste » pour la seule et unique raison de vouloir élever des enfants, que ce soit seul ou en couple. Par ailleurs, les quelques familles homoparentales que je connais sont parmi les familles les plus ouvertes d'esprit qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer.

Avant d'aller plus loin, sans même parler d'« intégrisme », les idées de complot, de propagande ou même tout simplement de lobby LGBT, sont des clichés réactionnaires et, partout dans le monde, ces notions sont souvent brandies contre des revendications tout à fait raisonnables, voire en opposition au simple respect élémentaire des droits humains.

Une fois ces précisions posées, avançons.

Pour commencer, ce que je vais dorénavant appeler l'« intégriste LGBT » (n'ayons pas peur des mots) est avant tout une espèce de SJW(TM) dont l'activisme concerne principalement les questions LGBT[1]. Iel est particulièrement extrémiste et virulent en la matière. En fait, pour résumer, on pourrait dire que cet « intégriste » est un peu au combat LGBT ce que les Indigènes de la République sont à la lutte antiraciste.

Ce qui préoccupe le plus l'« intégriste LGBT » en ces temps de débats bioéthiques, c'est la volonté de rendre les dons de gamètes non-anonymes (les enfants du dons pourra accéder à l'identité de leur donneur à leurs 18 ans). Pour diverses raisons, l'« intégriste LGBT » y voit une forme de lesbophobie honteuse, à peine dissimulée.

Certes, certains arguments avancés peuvent sembler légitimes. Il est vrai qu'on peut critiquer le timing de cette proposition (l'ouverture de la PMA à toutes les femmes et la levée de l'anonymat sont discutés au même moment) ainsi que le langage employé par la ministre Agnès Buzyn, qui ne témoigne pas toujours d'une véritable maîtrise du sujet.

Mais s'appuyer uniquement sur ces deux arguments n'est pas très honnête, intellectuellement.
Il y a d'autres arguments. Examinons-les de plus près.

L'« intégriste LGBT » avance que la fin de l'anonymat entraînerait mécaniquement une chute, voire une disparition des dons de sperme. Cela a beau être démenti par l'expérience des pays voisins qui nous ont devancés en la matière, l'intégriste LGBT n'a que faire des études, de l'empirisme et de ce qui se passe à l'étranger.

L'« intégriste LGBT » avance aussi que la fin de l'anonymat précariserait sa famille et la menacerait d'être exposée à l'existence d'une figure masculine. Historiquement, il s'agissait effectivement d'une préoccupation légitime, mais on se demande bien en quoi le fait de pouvoir découvrir l'identité de son géniteur à 18 ans seulement, à sa majorité légale, à un âge où l'on censé être suffisamment mature pour bien faire la distinction entre géniteur et père, contribuerait à précariser des familles.

Ce qui m'emmène à ce qui est peut-être la véritable raison, non-avouée, de cette opposition à la levée de l'anonymat : à savoir, la volonté de pouvoir exercer une forme de contrôle idéologique sur ses propres enfants, voire leur nier le droit à exprimer leurs propres opinions sur le sujet, afin de ne pas être ébranlé-e dans le confort de ses propres certitudes dogmatiques.

Attention, si on ose plaisanter sur le fait que les « intégristes LGBT » traiteraient leurs propres enfants de lesbophobes parce que celleux-ci se demandent où est leur « papa », on se voit tout de suite taxé de lesbophobie puante par mépris pour leur capacité pédagogique. À vrai dire, je ne pense pas littéralement que ces personnes accuseraient leurs enfants d'être lesbophobes si iels posaient des questions sur leur « père ». Mais l'on est en droit de douter, néanmoins, que l'adhésion à une idéologie aussi extrême facilite véritablement le dialogue vis-à-vis de ses propres enfants[2], à moins de chercher à tout prix de se séparer du reste de la société dans une véritable démarche intégriste.

Il s'agit en effet d'une idéologie qui, en termes aristotéliciens, entend réduire l'origine d'un individu à sa pure cause finale, alors que les autres causes sont peut-être tout aussi importantes pour lui.

Ainsi, il ne faut pas parler d'« origines », même biologiques, mais uniquement de « sperme » ou de « matériel génétique ». Il s'agit pourtant là d'une des causes matérielles et formelles de la formation d'un individu, et en un sens, il s'agit donc bien d'origines, au moins au sens biologique du terme.

De même, il ne faut pas parler de « don » mais d'« assistance médicale ». Il ne faut pas parler de « père biologique », ni même de « géniteur » ou de « donneur » ; en fait, il faut aller jusqu'à nier l'existence d'un homme, ou même d'une personne, derrière le don de gamètes[3].

Enfin, il ne faut pas parler de « PMA » mais de « faire un enfant ».

On comprend qu'avec ce genre d'argumentaire, les partisans modérés de la PMA n'ont pas besoin d'ennemis.

Cela montre que cette opposition à la levée de l'anonymat ne s'appuie pas que sur des arguments juridiques, elle est aussi « morale ». Par exemple, on peut être favorable au double guichet mais reconnaître qu'idéalement, il est préférable d'avoir recours à un donneur connu (par exemple chez certain-e-s libertarien-ne-s, par pure application de principes idéologiques). Ce n'est pas leur cas. Pour elleux, la morale est un truc de bourgeois, si bien qu'il est immoral de critiquer une femme qui aurait recours à un don anonyme, au nom de la formule « son corps, son choix » quand bien même la libre disposition de son corps connaîtrait de nombreuses limites, notamment celle de ne pas utiliser son propre corps de façon qui puisse porter préjudice à d'autres personnes.

Cela suggère aussi que, contrairement à ce que prétendent les réactionnaires - et contrairement à ce qu'iel prétend iel-même parfois - l'« intégriste LGBT » ne veut aucunement abolir la famille. En réalité, iel veut la recréer de façon tout aussi autoritaire, voire davantage, qu'auparavant. Un peu à la manière des bolchéviks de 1917, qui pensaient que l'on pouvait détruire l'État en renforçant considérablement son pouvoir.

L'« intégriste LGBT » a toujours raison. Iel prétend que la levée de l'anonymat est lesbophobe parce que la PMA concerne les lesbiennes, mais si on lui dit qu'elle concerne aussi les hétéros, iel y voit la preuve que la levée de l'anonymat est une revendication d'hétéro. Les biais liés au système actuel (en France, PMA réservée aux couples hétéros, avec très peu de donneurs non-blancs) sont complètement ignorés et mis de côté.

L'« intégriste LGBT » connaît le sens de l'Histoire mieux que quiconque (et surtout vous) et sait que vous êtes réactionnaire et iel progressiste. 

L'« intégriste LGBT » veut absolument des enfants, mais ne se renseigne pas d'abord sur ce que vivent ces enfants (ou retient uniquement ce qui l'arrange). Iel n'écoute pas les concerné-e-s quand leur discours la dérange, et pratique le « saucissonnage du concernement », en rejetant les témoignages des personnes qui ne sont pas suffisamment concerné-e-s selon iel. Iel serait même presque prêt-e à les envoyer en camp de rééducation pour tenter les débarrasser de leurs pensées négatives, si iel le pouvait.
De toute façon (et c'est une caractéristique qu'iel partage avec le réactionnaire), l'« intégriste LGBT » n'a que faire des études et des témoignages (sauf ceux qui vont dans son sens). Seule lui importe son idéologie[4].

L'« intégriste LGBT » est un-e habitué-e des faux dilemmes. Si on lui dit que les enfants sont concerné-e-s aussi par la PMA, tout d'un coup les LGBT cessent de l'être.

L'« intégriste LGBT » accuse celleux dont les ressentis ne lui plaisent pas de verser dans le « pathos » mais son indignation à iel doit toujours être considérée comme parfaitement légitime, sans jamais verser dans le pathos.

L'« intégriste LGBT » pratique le purisme idéologique, et sur les réseaux sociaux, bloque souvent - et parfois même si iel n'a jamais interagi avec elleux - les personnes qui émettent des opinions qui lui déplaisent, même lorsqu'elles sont raisonnables et argumentées.

L'« intégriste LGBT » aime les procès d'intention. Pour iel, si on demande l'accès aux origines c'est que l'on prétend que les enfants iraient forcément mal si iels ne les connaissaient pas. Il ne lui vient pas à l'esprit que ce n'est que parce qu'il est possible qu'iels aillent mal que nous le demandons.

L'« intégriste LGBT » adore les amalgames et les raccourcis foireux[5]. Par exemple, pour iel, le simple fait de parler d'intérêt de l'enfant est « fasciste ». Lorsqu'on lui fait remarquer que ne pas avoir la possibilité de connaître ses origines biologiques n'est peut-être pas dans le meilleur intérêt de l'enfant, iel fait dévier la conversation en parlant de choses certes tout aussi importantes,  mais sans rapport direct.

L'« intégriste LGBT » est généralement misandre et hétérophobe (et le revendique ouvertement), tout en considérant que la misandrie et l'hétérophobie n'existent pas, parce que ces oppressions ne font pas système. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'intégriste LGBT ne propose rien pour les enfants nés dans des couples hétérosexuels, et se moque de leur ressenti.

L'« intégriste LGBT » s'identifie à la communauté LGBT toute entière (alors qu'il n'en constitue iel-même qu'une infime minorité) parce qu'iel s'en croit à l'avant-garde, et pour rendre impossible la critique rationnelle de ses arguments[6].

L'« intégriste LGBT » est pétri-e de contradictions. Iel peut simultanément prétendre que la levée de l'anonymat ferait chuter les dons et qu'il n'y a personne derrière les gamètes fournis, ou que la biologie n'a aucune importance et vouloir un donneur de la même ethnicité qu'iel pour son enfant.

L'« intégriste LGBT » est toujours en colère contre la « méchante société » et lui attribue tous les problèmes que pourraient éventuellement connaître ses enfants. Si on lui dit que certain-e-s enfants de familles homoparentales sont carrément devenus homophobes en partie à cause d'un problème de communication avec les parents, ils en déduisent que si les enfants de familles homoparentales deviennent homophobes ce serait à cause de l'orientation sexuelle de leurs parents (et uniquement à cause de cela). Cela devient vite pratique comme excuse pour lui éviter de se remettre en question.

Un résumé des arguments.

Pour résumer, l'« intégriste LGBT » cause énormément de tort à la communauté LGBT, d'autant plus que les homophobes s'imaginent volontiers que tous les LGBT ressemblent à cela, à cause d'une minorité de personnes qui braillent plus fort que les autres sur Twitter.

Maintenant, se pose la question de savoir comment réagir face à cela. Des personnes que je croyais de bonne volonté se sont récemment fait-e-s l'écho de leurs désinformations sur Twitter, parce qu'iels gravitaient autour de cette sphère. Pour contrer ce genre de rhétorique, je pense qu'il est essentiel de :

- montrer que nous ne sommes pas « de droite » (certains peuvent l'être à titre personnel, mais certainement pas tous) ;
- rester le plus inclusif possible envers les populations LGBT+ et mettre en avant leurs expériences, pour contrer celles des « intégristes » ;
- et surtout, le plus important, refuser le jeu de la concurrence victimaire.

Si cela ne convaincra évidemment pas les « intégristes LGBT » elleux-mêmes, cela semble dores et déjà fonctionner sur certaines personnes sensibles à leur désinformation.

De toute façon, à force de rester les un-e-s sur les autres et de se fâcher avec tout le monde, les « intégristes LGBT » sont de plus en plus minoritaires, même au sein de la communauté LGBT. Leur sympathie potentielle dans l'opinion publique est proche du zéro absolu et leur poids politique inexistant.

Iels ne sont qu'une nuisance temporaire. Nos véritables adversaires sont, et restent, La Manif Pour Tous.

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[1]En réalité, surtout L, parfois G et T, plus rarement B. Mais dans tous les cas, une minorité de minorité. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, les personnes qui partagent cette idéologie ne sont pas nécessairement elles-mêmes LGBT.

[2]En ce sens, toutes proportions gardées, les « intégristes LGBT » ressemblent un peu aux terroristes qui dénoncent les caricatures qu'on en fait, tout en ressemblant un peu eux-mêmes à ces mêmes caricatures.

[3]À l'inverse, on ne verra jamais un homme gay ou bi, même « extrémiste », nier qu'une femme a joué un rôle dans la conception de son enfant. Vu les préjugés actuels autour de la GPA, ce serait vu comme extrêmement misogyne de sa part.

[4]Il se peut qu'il y ait des enfants d'« intégristes LGBT » qui ne questionneront jamais leurs origines et adhéreront entièrement à leur idéologie, néanmoins on peut se poser les raisons de la construction d'un tel attachement.

[5]Dans ce milieu, les militants pour l'accès aux origines sont parfois comparés aux militants anti-avortement, comme ceux des Survivants. En réalité, il y a beaucoup trop de différences entre les deux questions pour qu'on puisse réellement les comparer.

D'une part,  l'opposition à l'avortement est profondément enracinée dans des conceptions religieuses relatives à l'« âme du fœtus » ou au contraire à une vision purement matérielle de la vie (le fœtus a des bras, des jambes, etc, donc c'est un humain). Elle ne s'appuie pas sur des preuves empiriques.

Ensuite, l'IVG est un moyen d'éviter les grossesses non-désirées, tandis qu'au contraire la PMA est un moyen de tomber enceinte. Cette simple différence fait que, si l'on compare certains arguments relatifs à une naissance par empêchement d'IVG et à une naissance par PMA, ils pourront sembler étrangement similaires, bien qu'utilisés par des bords opposés sur la « libre disposition de son corps » (on peut par exemple citer l'accusation d'eugénisme, pouvant être brandie aussi bien par les anti-IVG que par les lesbianistes radicales, contre leurs adversaires respectifs, mais pour des raisons en apparence très différentes).

Enfin, les Survivants ne sont pas des fœtus, et encore moins des fœtus avortés, alors que les membres de PMAnonyme sont au contraire des personnes directement concerné-e-s.

Pour invalider davantage la comparaison, on peut noter d'une part que ce n'est pas parce que l'IVG est autorisée que celle-ci l'est jusqu'au neuvième mois de grossesse, et que la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède, pays où l'anonymat des donneurs n'existe pas, ont des lois plus libérales que les nôtres en la matière (de 18 à 24 semaines de grossesse contre 12 chez nous).

Enfin, dernier point, les mouvements de personnes conçues par don sont souvent très proches des mouvements de personnes adoptées et nées sous X. Ces derniers mouvements, en général, n'apprécient pas de voir les anti-IVG considérer l'adoption comme une alternative à l'avortement (et l'accouchement sous X fut souvent vu de cette façon-là).

[6]On voit d'ailleurs le même genre de manipulation chez les intégristes des autres communautés, généralement.

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