03/02/2023

Disposer de son corps : un droit encore à conquérir, Daniel Borrillo, 2019



Daniel Borrillo est un auteur dont j'avais déjà parlé dans de précédents articles (tous regroupés ici). J'avais d'abord évoqué favorablement son livre sur la bioéthique, avant de m'éloigner de cet auteur à cause de sa relative malhonnêteté intellectuelle sur certains points (notamment par rapport à Irène Théry) ainsi que de son obsession anonymiste concernant les questions de PMA et d'accouchement sous X.

Son dernier livre, Disposer de son corps : un droit encore à conquérir est sorti en 2019 aux éditions Textuel, au sein de la collection Idées-débats.

Tout d'abord, que l'on soit d'accord ou non avec son auteur sur chaque point discuté, il s'agit d'un livre tout à fait digne d'intérêt. Une foule de thèmes y sont abordés, les uns à la suite des autres : les libertés vestimentaires, sexuelles et reproductives, par exemple. 

Pour résumer mon point de vue global : la libre disposition de son corps est évidemment un thème très important  (je rejoins d'ailleurs Borrillo sur de nombreuses questions) et on ne peut nier ici qu'il a fait un formidable travail d'envergure, mais je crains que cette thématique ne soit chez lui qu'une espèce de dogme, disjoint de certaines réalités (j'y reviendrai).

Je n'ai pas grand chose à redire concernant les deux premières parties. Sans doute, et d'autant plus particulièrement dans un contexte français, Daniel Borrillo exprime-t-il souvent des opinions controversées sur certaines questions, et il le sait ; mais, n'étant pas un expert, il serait probablement trop long et fastidieux (voire possiblement hors sujet) d'exposer ici mes éventuelles réticences ou divergences, qui portent d'ailleurs souvent davantage sur la forme que sur le fond de ses propos, tant il y a de thématiques abordées dans un espace de pages aussi réduit. Sur beaucoup de sujets, en réalité, ce livre est une redite de son précédent ouvrage sur la bioéthique, datant d'il y a plus de dix ans maintenant.

Je me concentrerais donc davantage sur la troisième partie, portant sur la procréation.

Ma première divergence avec Daniel Borrillo porte sur la notion de « filiation basée sur la volonté ». J'y suis moi-même favorable dans l'absolu, le problème étant que Borrillo élargit considérablement ce qu'il entend par « filiation », y incluant par exemple l'accès aux origines personnelles, faisant ainsi paradoxalement les mêmes erreurs que les sympathisants LMPT.

En particulier, j'ai une interprétation assez différente de la notion de « volonté » : lorsque Daniel Borrillo parle de « volonté », en effet, il parle toujours de celle des adultes ou des parents d'intention, jamais de celle de leurs enfants. C'est ce qui introduit une certaine incohérence dans son raisonnement.

En matière de droits de l'enfant, le projet de Borrillo est proprement désastreux. Il propose en effet de généraliser des principes qui vont à l'encontre du droit international (abandon, accouchement sous X y compris pour les hommes, adoption plénière...) dans un objectif soi-disant émancipateur, sans prendre en compte qu'il y a un rapport de domination intrinsèque entre d'un côté les adultes et les parents et leurs enfants de l'autre. Comme disait Henri de Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Sur la GPA, d'un côté, Borrillo a raison de dénoncer le consensus qui règne en France contre cette pratique, mais de l'autre, il se montre implicitement favorable à la GPA commerciale, dont l'éthique peut être discutée.

Pour Borrillo, la gratuité dans les arrangements procréatifs (y compris la PMA « classique ») est en effet à remettre en cause parce que celle-ci créerait une pénurie. Le fait que le paiement puisse être un facteur d'exploitation de certaines personnes par d'autres n'est pas pris en compte dans son analyse.

J'aimerais aussi revenir sur sa vision de l'accès aux origines. Cette question n'est abordée que brièvement dans le livre. Borrillo prétend que la levée de l'anonymat relèverait uniquement d'une logique de « prééminence de la filiation hétérosexuelle » et de « différence des sexes » (je simplifie). Sans doute Borrillo ne doit-il connaître ni n'avoir jamais croisé aucune personne conçue par don qui recherchait son géniteur. Sinon comment penser une seule seconde que, si ces personnes se battent pour l'accès à leurs antécédents médicaux et à leur identité personnelle, ce serait uniquement pour emmerder les homosexuels ? On objectera que la levée de l'anonymat peut parfois servir de cache-sexe pour défendre des positions homophobes derrière, sauf que personne ne le nie (les concerné-e-s sont les premières personnes à dénoncer cette instrumentalisation). En l'occurrence, rien n'indique dans l'avis du CCNE que la levée de l'anonymat était réclamée pour des raisons homophobes ; celui-ci semblait simplement mieux informé sur la question que Borrillo lui-même.[1]

Borrillo ne parle pas non plus du consensus qui entoure la levée de l'anonymat en France, homosexuels et hétérosexuels confondus. Qu'est-ce qui est le plus assimilationniste, au fond, la levée de l'anonymat, ou cultiver le fantasme d'avoir des enfants à soi et rien qu'à soi ?

Ultimement, à cause de ce gros point noir sur la procréation, Daniel Borrillo ne défend pas une vision cohérente de la libre disposition de son corps, qui serait basée sur l'idée que notre liberté s'arrête là où commence celle des autres, même lorsque ceux-ci n'existent pas encore (mais où on part du principe qu'ils vont exister). Borrillo est donc plutôt quelqu'un que je qualifierais volontiers de « social-libertarien » et pour certaines questions, notamment l'accès aux origines, on y retrouve la même négation libertarienne des droits-créances.

Pour terminer, pour quelqu'un qui prétend défendre la liberté de disposer de son corps, on ne trouve pas un mot dans son livre sur les mutilations génitales lorsque celles-ci ne concernent pas les personnes intersexes (même ces dernières ne sont abordées que brièvement).

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[1]On peut retrouver l'avis du CCNE ici. Parmi les raisons invoquées pour justifier la levée de l'anonymat, on retrouve notamment l'idée que celui-ci est revendiqué par des personnes conçues par don, et que les tests ADN récréatifs largement pratiqués aujourd'hui rendent illusoire la possibilité de le garantir.

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