01/02/2023

S'il suffisait qu'on s'aime, Daphné et Julie Guillot, 2022

S'il suffisait qu'on s'aime, chronique des années PMA est une bande dessinée française, écrite par Daphné Guillot et dessinée par Julie Guillot, et parue au format « roman graphique » en octobre 2022 aux éditions Steinkis.

Cette BD aborde la question de la lutte pour l'accès à la PMA du point de vue d'un couple de jeunes femmes. Globalement, celle-ci est très émouvante et touchante, notamment dans sa description des diverses violences, outrances et horreurs homophobes qui ont accompagné et émaillé la lutte pour le mariage pour tous, puis pour la PMA. On a à faire ici à un point de vue à la fois personnel et militant.

Dans l'ensemble, la BD est agréable à lire et, malgré quelques scènes érotiques par ci par là, elle n'a pas le côté trash ou moqueur que l'on voit parfois dans certaines productions abordant ce thème, et c'est tant mieux, je pense (j'y reviendrai).

S'il y avait un bémol à apporter, ce serait plutôt sur la question de l'accès aux origines. En effet, celle-ci n'est abordée que brièvement, et de façon plutôt ambigüe : d'un côté, en conclusion de la BD, les autrices ne voient pas la levée de l'anonymat comme un reproche à adresser à la loi de 2021 (ce qui semble témoigner, et c'est une bonne chose, d'une certaine normalisation de la levée de l'anonymat, ce qui était l'un des objectifs recherchés de cette loi), et elles ne font preuve d'aucune animosité particulière envers les personnes conçues par don qui recherchent leur géniteur ; on appréciera même un réel effort dans l'écriture pour adopter une posture compréhensive à leur égard (en tout cas, cela tranche le climat malsain qu'on a pu avoir sur Twitter, à une certaine époque).

De l'autre côté, cependant, il faut rappeler que les autrices ont fini par avoir accès à la PMA en Espagne, pays où l'anonymat des donneurs est imposé, et il y a tout un passage un peu dérangeant au milieu de la BD pour justifier ce choix final : en effet, on voit d'autres personnes faire pression sur les autrices pour qu'elles aillent aux Pays-Bas, en raison de meilleures garanties en termes d'accès aux origines dans ce pays. Les autrices prétendent ensuite que cela dépendrait en réalité du bon vouloir du donneur (ce qui reste à vérifier, en fonction de l'époque à laquelle la scène est censée se dérouler).

Ce qui permet d'embrayer sur les mouvements pour l'accès aux origines des personnes conçues par don. C'est ainsi que, malgré une certaine volonté de remettre les choses dans leur contexte, on assiste à une vision réductrice et déformée de leurs revendications : les autrices considèrent par exemple que ces personnes auraient du mal à différencier « père » et « géniteur », alors qu'elles font au contraire très bien cette distinction, y compris dans l'extrait cité dans la BD (bien mieux que certaines lesbiennes radicales, d'ailleurs). Elles leur reprochent aussi d'avoir été plus médiatisés que les lesbiennes pro-PMA (ce dont je n'ai pas l'impression). On note au passage une certaine ignorance des débats autour de l'article 7 de la convention des droits de l'enfant.

Les autrices reprochent ensuite de ne pas assez parler des enfants qui vivent bien leur mode de conception, mais sur une question telle que celle-ci, cela relève d'une erreur de raisonnement assez fréquente, un biais de confirmation pourrait-on dire. Si, dans l'Histoire, pour n'importe quelle institution archaïque, on n'avait écouté que l'avis des personnes qui la vivent bien, on n'aurait pas fait beaucoup de progrès. Si, pour prendre un exemple récent, dans un débat sur la réforme des retraites, on dirait regretter ne pas assez entendre l'avis des personnes qui veulent travailler jusqu'à 64 ans, ce serait presque du foutage de gueule. 

Et, s'il y a bel et bien des personnes conçues par don qui s'opposent à la levée de l'anonymat, parfois après être devenues parents à leur tour, celles-ci sont nettement minoritaires, et cela ne constitue de toute façon pas un argument en faveur de l'anonymat (c'est ainsi que dans le monde, il y a tant d'autres pratiques oppressives qui se perpétuent de génération en génération). 

Elles reprochent aussi de ne pas assez parler du don d'ovocytes (ce qui est faux, puisqu'on en parle, c'est juste plus difficile d'en parler dans un contexte de l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes). 

Tout cette séquence se termine par une double page qui souligne qu'on a longtemps surestimé le rôle du père, ou du mâle, dans la procréation. C'est bien sûr vrai, mais cela ne justifie pas de passer d'un extrême à l'autre. Le spermatozoïde transmet des caractéristiques biologiques importantes, ce qui fait que la connaissance de l'identité du donneur peut être importante pour l'enfant, aussi bien pour des raisons de santé que pour des raisons de formation de son identité personnelle, et ce devrait être à lui seul de décider si celle-ci est importante ou pas. En quelque sorte, l'anonymat fait des parents d'intention les propriétaires de l'identité de leur enfant. C'est pourquoi, s'il est pris trop au sérieux et que l'on s'y accroche de façon dogmatique, celui-ci ne peut à terme déboucher que sur la réinvention d'un modèle familial autoritaire. On peut de toute façon facilement le contourner aujourd'hui, avec l'avènement des tests ADN récréatifs.

Tout ce passage interroge sur les stratégies que les anti-anonymistes devraient suivre pour défendre leurs idées dans l'espace public. J'y vois deux leçons principales à en tirer :

- Ce serait une grossière erreur que de penser qu'un argumentaire reliant l'accès aux origines aux droits de l'enfant convaincrait immédiatement n'importe qui, surtout des personnes qui se sont vues refuser leur accès à la parentalité précisément au nom d'une certaine vision de ces mêmes droits : en effet, certaines d'entre elles risquent de voir cela davantage comme une ènième injonction moralisatrice que comme une sincère volonté de protéger les droits de l'enfant. Quand la droite et les réactionnaires ont passé leur temps à crier au loup, et ce de façon particulièrement hypocrite par ailleurs, voilà en définitive le résultat final. 

- Certaines lesbiennes ont du mal à se reconnaître dans les témoignages des personnes conçues par don issues de familles hétéroparentales, à cause de la trop grande différence de situation vis-à-vis de la leur. Or, en France, on manque cruellement de témoignages de personnes nées dans des familles homoparentales et qui recherchent leur géniteur.  Jusque là, outre bien sûr l'interdit légal qui pesait sur la PMA hétéro, il y avait justement une bonne raison à cette situation : la vague d'homophobie qui a suivi accompagné les débats sur le mariage pour tous et la PMA. Sans doute certaines personnes se taisent-elles de peur de voir leurs propos être mal interprétés, déformés et instrumentalisés contre leurs parents. Peut-être les mêmes se taisent-elles aussi de peur, pour paraphraser Sartre, de ne pas « désespérer [le Gouinistan] ».

Face à cette situation, il me semble important de rappeler que l'anonymat est contraire aux valeurs que le mouvement LGBT a historiquement défendues. Si l'on se bat pour l'autodétermination des homosexuel-le-s, des bisexuel-le-s, des transgenres, des intersexes, pourquoi la refuser pour les personnes conçues par don ? Les personnes « qui le vivent bien » ne doivent pas être les arbres qui cachent la forêt : quand on s'engage dans un tel parcours, on ne sait pas sur quel type d'enfant on va tomber, à la fin, et certains d'entre eux sont très curieux, par rapport aux donneurs, et pas forcément par volonté d'être « comme les autres ».

De plus, la bibliographie de la BD comporte de nombreuses sources anonymistes (Daniel Borrillo, par exemple). Les autrices sont aussi favorables au droit commun pour toutes, ce qui ne favorise pas la divulgation du secret chez les enfants nés dans des couples hétéros et se heurte à certains obstacles juridiques.

Néanmoins, je le répète encore une fois, et indépendamment de nos divergences portant sur certains points, il s'agit d'une démarche courageuse qu'on ne peut que saluer, et qui force le respect.

Que retenir de plus ? Principalement, que les lois trop restrictives et discriminatoires en matière d'accès à la PMA sont contre-productives, si on peut si facilement les contourner. Autrement, le livre se termine par une énonciation des manquements de la dernière loi Bioéthique (ROPA, GPA, intersexes, droits des personnes transgenres...). Je pense qu'un anti-anonymiste cohérent, s'il veut couper l'herbe sous le pied des anonymistes, devrait soutenir toutes ces réformes (de façon vigilante bien sûr, dans le cas de la GPA).

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