16/01/2013

Compte-rendu du dernier dossier de S&PS sur la santé mentale

Je viens récemment d'acheter le dernier numéro de la revue Sciences et Pseudosciences, de l'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS), car son principal dossier, ce trimestre-ci, concerne la santé mentale*. Le numéro du trimestre dernier - que je n'ai pas, malheureusement - avait pour sujet les vaccins.

Il se constitue de cinq articles, dont deux de Franck Ramus (déjà évoqué ici), un de Jacques Van Rillaer (idem, il s'agit d'un des auteurs du Livre Noir de la Psychanalyse), un de Jean Cottraux (autre auteur du livre noir) et un de Baudouin Forgeot d'Arc. Présentons-les dans l'ordre dans lesquels ils apparaissent :

Le premier article de Franck Ramus est intitulé La souffrance psychique est bel et bien évaluable et mesurable : sa thèse, qui s'oppose à celle des psychanalystes, est contenue dans le titre lui-même ; il commence par citer l'exemple des antidépresseurs qui, pour être mis sur le marché, doivent avoir fait la preuve de leur efficacité.

Il conteste également deux allégations courantes des psychanalystes (que les psys scientifiques réduisent l'homme à un chiffre et n'appliquent que des protocoles standardisés, respectivement) ainsi que le monopole qu'ils prétendent avoir sur la subjectivité ; et justifie le passage de la subjectivité à l'évaluation par les échelles standardisées : elles sont certes imparfaites, mais d'une part il y a toujours la possibilité d'utiliser divers outils statistiques pour les améliorer, et d'autre part on ne saurait se priver de leurs informations, qui au moins sont comparables (même grossièrement) d'un traitement à un autre, et permettent justement ces améliorations statistiques.

Son argumentation, évidemment, ne convaincra pas les psychanalystes eux-mêmes, et leur fera peut-être même peur, éventuellement à cause d'une certaine tendance qui consiste à assimiler "quantifiabilité" et "déshumanisation" ; alors que, à bien y réfléchir, c'est totalement idiot : on quantifie déjà beaucoup de choses concernant notre corps, à des fins médicales, et ce n'est pas pour autant qu'on en devient moins humain. (les foucaldiens radicaux ne seraient peut-être pas d'accord, mais laissons-les de côté pour le moment)

Le refus de l'évaluation a donc pour origine, non seulement l'attitude des seuls psychanalystes, mais aussi, plus fondamentalement, certains "tabous" concernant la façon dont on appréhende l'esprit humain, tabous eux-mêmes issus du dualisme (grand ennemi du matérialisme philosophique), c'est-à-dire le fait de voir le corps et l'esprit comme deux choses séparées. L'introduction de ce dossier commence d'ailleurs (dans la seconde phrase) par dénoncer l'héritage de ce courant de pensée, et on comprend pourquoi.


Le deuxième article (Utilité et dangers des catégorisations psychopathologiques) est celui de Jacques Van Rillaer : il traite évidemment des catégories et classifications utilisées par les psys. Il en souligne brièvement le caractère historiquement arbitraire, leur usage sécuritaire, et le fait qu'on ait tardé à chercher des explications rationnelles à l'origine de certains troubles mentaux (et en profite pour taper un peu sur Freud au passage) ; et fait un bref historique du DSM, qu'il juge "imparfait mais nécessaire", car il a pour but de faciliter la concordance des diagnostics.

Il souligne également le danger de ces catégorisations, qui peuvent avoir un effet contre-productif et renfermer les individus diagnostiqués dans une image d' "anormaux" ; en quelque sorte, elles ont un effet un peu autoréalisateur. C'est pourquoi il faut les utiliser avec une prudence nécessaire.

Ce court article est donc un rappel bienvenu, qui nous indique que les psys scientifiques sont tout à fait conscients des limites des outils qu'ils utilisent eux-mêmes.

Edit : l'article en question : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2025

Le deuxième article de Franck Ramus (Classifications internationales des troubles mentaux : vraies limites et faux problèmes) est consacré plus précisément au DSM. Il s'agit d'une reprise de cet article-ci (plus des extraits de celui-ci à la fin). Ces deux articles sont assez intéressants et me semblent pertinents.


Le quatrième article est L’autisme d’un DSM à l’autre du québécois Baudouin Forgeot d'Arc, consacré aux controverses sur le diagnostic de l'autisme suite aux modifications du DSM-5. D'après lui, c'est la peur du "sur-diagnostic" - il y eut effectivement une explosion des diagnostics aux Etats-Unis - qui aurait conduit à adopter des critères plus restrictifs pour l'unique diagnostic (TSA) du DSM-5, qui vient remplacer 5 diagnostics du DSM-IV. D'où la crainte de tomber dans l'excès inverse. Ces controverses font rage chez les psychiatres américains, et pour de bonnes raisons ; on voit donc qu'il ne s'agit pas d'une communauté monolithique qui suit aveuglément les modifications du DSM sans broncher, au contraire ! Mais il ne faudrait pas assimiler la critique d'une version du DSM avec la critique du DSM dans l'absolu, comme sont prompts à le faire certains psychanalystes qui ne se donnent même pas la peine de lire en entier les liens qu'ils postent sur leurs propres blogs...

Cependant, l'auteur lui-même ne semble pas prendre parti (pro- ou anti-DSM-5) et se contente de décrire brièvement les conséquences possibles de la nouvelle classification, et les mesures à appliquer selon lui en cas d'échec de celle-ci.


Enfin, le cinquième article est celui de Jean Cottraux, Vers le DSM-5 : la classification des troubles de la personnalité : comme son nom l'indique, toujours sur le DSM, l'évolution de la classification des troubles de la personnalité du DSM-IV au DSM-5, le premier regroupant dix grands troubles selon plusieurs critères, le second privilégiant une approche dimensionnelle pour remettre en cause le "rangement en cases" de l'édition précédente. Ainsi, quatre troubles de l'édition précédente n'ont plus de diagnostic spécifique dans la nouvelle édition, et il sera possible d'être davantage précis (ou "créatif") en matière de nouveaux diagnostics grâce au système dimensionnel, par rapport à l'édition précédente. Cette nouvelle édition aura bien évidemment, les défauts de ses avantages, pour parler ainsi.


En résumé, je vous conseille donc de le lire si vous le pouvez, car c'est intéressant et cela constitue un antidote au discours psychanalytique le plus répandu dans les médias, montrant ainsi, entre autres, que les psys scientifiques sont tout à fait conscients des limites de leurs outils. A plus !




*Les autres articles sont également dignes d'intérêt, même si certaines personnes pourront trouver un peu agaçante l' "obsession" anti-anti-OGM souvent associée au journal. Mais ce n'est qu'un détail, heureusement d'ailleurs...

2 commentaires:

  1. J'ai commencé à lire les articles qui sont intéressants.
    C'est marrant de voir que tu dis que ça montre que les psy ont conscience des limites de leurs outils.
    Déjà lors de mes études on apprenait les limites et problèmes du DSm, du testing de personnalité et des tests de Q.I d'une manière parfaitement nuancée et objective. Je pense donc que les psy ont depuis bien longtemps conscience de tout cela. Mais il semble que le grand public ou certains professionnels (psychanalystes essentiellement,...) ne semblent pas au courant de ce fait.
    On entend toujours les mêmes critiques alors que la pratique et l enseignement des psy prend déjà en compte de ce qui critiqué depuis des années. Problème de médiatisation? De vulgarisation? De détournement politique? je sais pas trop. Cette semaine encore un collègue assistant social critiquait les tests de Q.I qui, selon lui, ne permettent pas de mesurer l'intelligence. Et que les résultats sont pas très stables... Tout cela, les psy l'ont toujours su et le test de Q.I est enseigné avec ses limites qui sont très clairement connues et acceptées. Les abus sont liés non plus au test lui même mais aux détournement qu'en font certains... Il en va de même avec le DSM dans une large mesure. Les professionnels savent très bien quelles sont les limites du DSM, c'est pas parfait mais c'est mieux que rien quand on l'utilise avec conscience de ses limites... bref, très chouette articles (le tien et les leurs) et ça serait bien que tout le monde le lise :)

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    1. Totalement d'accord avec vous sur ces points. Je pense effectivement que le grand public français, notamment à cause de la "propagande" de certains psychanalystes, a une image assez caricaturale de la psychologie scientifique.

      Cela dit, il ne faut pas être naïf non plus, et certains psys anglo-saxons se comportent effectivement comme si les outils qu'ils utilisaient étaient parfaitement fiables, c'est-à-dire en scientisme dans le mauvais sens du terme. Cependant, leurs collègues ne sont généralement pas dupes, et ils se font vite rappeler à l'ordre sur le plan méthodologique, sous peine de voir leur image se ternir, voire d'être mis au ban de la profession...

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