15/08/2013

The Blank Slate - Steven Pinker




The Blank Slate : The Modern Denial Of Human Nature (traduit en français sous le titre Comprendre la Nature humaine, publié aux éditions Odile Jacob) est un livre du psychologue évolutionniste américain Steven Pinker, qui se charge de critiquer certaines des théories utilisées dans les sciences sociales, notamment fondées sur la tabula rasa ou "feuille blanche" (c'est-à-dire l'idée que l'esprit humain naît sans traits innés) et également deux autres théories souvent liées, selon lui, qui sont le bon sauvage (l'idée que l'homme est naturellement bon et qu'il devient mauvais au contact de la société) d'une part et le fantôme dans la machine (l'idée que le corps et l'esprit sont séparés) d'autre part. Contre cela, Pinker défend l'idée que nous restons influencés par notre biologie et par nos gènes.

D'abord, quelques précisions : Steven Pinker, bien qu'étant psychologue évolutionniste, est loin de penser que tout, dans notre comportement, est dû seulement à la biologie, et il a même écrit un livre entier pour montrer que la diminution tendancielle de la violence au cours du temps n'était pas due à la génétique mais à des changements institutionnels profonds. Il se réjouit des progrès de la science par rapport aux idéologies simplistes du passé en rapport avec la Nature humaine. Il critique la "feuille blanche" et le "bon sauvage" avant tout parce que ce sont des théories extrêmes qui ne correspondent pas à la réalité.

Le livre est divisé en six parties ; tout d'abord, la première partie est consacrée à la présentation des trois thèses qu'attaque l'auteur, c'est-à-dire la "triade" constituée par la feuille blanche, le bon sauvage et le fantôme dans la machine, et à leur ascension dans la vie intellectuelle moderne.

La partie II s'occupe du défi posé par l'émergence d'une nouvelle vision de la nature humaine qui vient concurrencer les trois thèses de départs.

La partie III dénonce les quatre peurs, associées à la volonté de s'en tenir aux trois thèses de départ :

Il y a tout d'abord, la peur de l'inégalité : c'est-à-dire la peur que, si les inégalités sont naturelles, alors elles devraient être justifiées et insurmontables. En effet, les concepts de justice, d'équité (les individus valent la même chose) ne sont pas la même chose que l'identicité (les individus sont la même chose). Le problème est que le passage de l'un à l'autre n'est pas naturel. Même si on trouvait des différences moyennes intrinsèques entre des groupes, cela ne justifierait pas des discriminations collectives, affirme Pinker. En effet, nous sommes tous membres d'une même famille humaine. On retrouve l'idée de Hume selon laquelle le positif est distinct du normatif.

Ensuite, la peur de l'imperfectibilité : la peur que nos défauts seraient naturellement insurmontables, que nous serions viciés par nature, et que nous ne pourrions véritablement faire du monde un endroit meilleur. Là aussi, c'est une peur non fondée ; en effet, ce n'est pas parce que l'on a des motifs ignobles que l'on va se mettre à avoir un comportement ignoble, car le cerveau est un organe complexe dans lequel certaines parties peuvent contrecarrer d'autres.

La peur du déterminisme : la peur que le déterminisme biologique provoque une perte du sens de la responsabilité, que l'on ne puisse tenir quelqu'un responsable de ses actions. Mais Pinker appelle à redéfinir le concept-même de responsabilité : en réalité, on impose un certain nombre de facteurs externes (loi, réputation, punitions, récompense) qui viennent influencer le comportement des individus et sont mêmes des causes, indirectes certes, de ce comportement. On peut alors analyser cela dans le cerveau.

La peur du nihilisme : la peur que nous n'aurions plus de valeurs, de sens à notre existence, si tous nos sentiments peuvent être ramenés à une "stratégie" d'évolution. Il en existe une version religieuse et une version laïque. La version religieuse est critiquable parce qu'elle dévalorise la vie sur Terre. Concernant la version laïque, il ne faudrait pas confondre l'échelle du temps humain et celle du temps évolutionnaire.

La partie IV plaide pour une conception plus riche de la Nature humaine, davantage ancrée dans la connaissance de la réalité, en s'appuyant sur les biais de la perception humaine, mais contre le post-modernisme ; une conception qui s'appuie sur le "matériel de base" de la pensée humaine, qui nous permet de comprendre le monde autour de nous et de communiquer ; qui nous permette de repenser la frontière entre l'humain et le non-humain, entre la vie et la non-vie, entre le naturel et le non-naturel ; qui comprenne mieux et prenne mieux en compte notre sens moral et ce que nous percevons ou non comme moral.

La partie V s'occupe de questions chaudes et de controverses, concernant le genre, la violence, le genre, les enfants et les arts ; le dernier point peut sembler hors sujet, mais Pinker s'est rendu compte lors de ses recherches qu'il était en fait très controversé et lié à un certain nombre de questions importantes en esthétique.

La partie VI est une sorte de conclusion, qui reprend la critique en règle développée au cours de l'ouvrage.

Son idée tout au long de l'ouvrage est, grossièrement, de nous dire que les différences biologiques ne sont pas graves après tout : en effet, elles n'empêchent pas de mener une politique progressiste. Au contraire : si l'on se trouvait en situation d'égalité des chances parfaites, la "triade" appuierait davantage un raisonnement de type libéral. On apprend également qu'il est carrément dangereux de construire une conception du monde sur la "triade".

L'auteur nous montre par ailleurs des ponts de la biologie à la culture, qui d'après lui, sont au nombre de quatre :

en premier, les sciences cognitives ;

en second, les neurosciences : les sciences du cerveau ;

ensuite vient la génétique comportementale ;

enfin, la psychologie évolutionniste.

On peut dire pour paraphraser Freud, que les sciences cognitives constituent la véritable troisième "blessure narcissique", ici, d'une certaine façon.

En fait, le livre ne vise pas que les raisonnements associées aux sciences sociales "de gauche", mais aussi des idées d'inspiration religieuse, chrétienne voire créationniste. D'ailleurs, la peur du déterminisme et du nihilisme sont plutôt à trouver là, en général.

De même, l'idée de dualisme cartésien se trouve en général plutôt à droite (parce qu'elle permet de justifier la responsabilité individuelle), mais elle bénéficie d'une bienveillance de la part de nombreux intellectuels de gauche (en particulier du courant psychanalytique, même s'ils s'en défendent souvent). Un point intéressant à noter est que cette idée a été défendue par des personnalités relativement libérales pour leur époque, contre le matérialisme/mécanicisme de Hobbes et sa pensée politique autoritaire/conservatrice.

Steven Pinker met ici dos à dos la religion et les sciences sociales.



Quand on voit l'attitude de la psychanalyse par rapport à l'autisme, c'est exactement ça ! On y retrouve la feuille blanche (l'homme est formé par ses expériences de la petite enfance), le bon sauvage (l'homme naît bon et innocent, et c'est la société, en l'occurrence les expériences de la petite enfance, qui le rendent méchant), et le fantôme dans la machine (l'inconscient, déterminisme psychique immatériel).

De même, le comportementalisme et la génétique n'ont absolument rien à voir, malgré ce que nous disent certains psys... Ce qui est aussi intéressant, c'est que Pinker classe la pensée de B.F.Skinner dans la "feuille blanche" ! Ça se rejoint un peu donc, d'autant plus que cela fait longtemps que la psychologie scientifique moderne n'est plus comportementaliste au sens strict...

Pour conclure : alors certes, oui, le livre est caricatural (et encore, pas tant que ça, quand on connaît un peu le milieu des sciences sociales en France) oui, l'auteur accorde peut-être trop d'importance à la biologie et à la part d'inné - mais moins que je le pensais en lisant certaines critiques, toutefois. Reste qu'à mon sens, il est peut-être un peu trop complaisant vis-à-vis de la sociobiologie et du livre clairement raciste The Bell Curve. Mais son but est, avant tout, de critiquer des modes de raisonnement, et on peut dire qu'il réussit et qu'il atteint son objectif. N'ayant pas lu la traduction française, je ne sais pas ce qu'elle vaut, néanmoins je pense que ce livre mériterait largement d'être lu, parce qu'en France, il mérite largement un succès au moins aussi important que dans son pays d'origine.




4 commentaires:

  1. même si on peut émettre certaines critiques, je trouve que c'est un livre génial et une porte ouvertes vers des réflexions de tous ces sujets passionnants :)

    RépondreSupprimer
  2. C'est un livre clairement incontournable!

    RépondreSupprimer
  3. D'abord mes félicitations pour une excellent synthèse du Blank Slate.
    Pinker est adepte de la psychologie évolutionniste. Il est partisan de l'idée que "Nothing in Biology Makes Sense Except in the Light of Evolution" - et moi pareil.
    J'ai créé une association qui veut lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes. Nous allons organiser un colloque pour débattre notre démarche. Je cherche des spécialistes de la psychologie évoutionniste pour ce colloque. En existent-ils en France. Où peut-on les trouver? J'ai envoyé un message à Phippe Gouillou, mais il n'a pas répondu. Toute piste sera la bienvenue.

    RépondreSupprimer
  4. Intéressant résumé et commentaire. Je le cite dans mon propre blog : http://brikbrakbrok.blogspot.com/2016/01/the-blank-slate-un-livre-remarquable.html
    Je vais continuer à lire le votre.

    RépondreSupprimer