16/06/2020

Commentaires concernant un article d'Odile Fillod sur la PMA

Odile Fillod est une chercheuse française, connue entre autres pour son engagement féministe de longue date. En particulier, elle tient un blog concernant la vulgarisation scientifique, et en particulier sur les biais genrés qui vont avec. On peut y trouver d'excellents articles, en particulier sur l'affaire Raoult, mais aussi d'autres un peu plus critiquables, avec des cibles assez récurrentes, dans lesquels on ressent souvent un biais « anti-biologisant » de la part de l'auteur (et je pense que c'est important pour comprendre sa position sur d'autres sujets). Cela pourrait constituer le point de départ d'un débat fort intéressant, mais pour aujourd'hui, j'ai préféré me concentrer sur tout autre chose.

Notamment cet article-ci, qui aborde une thématique qui m'est chère.

L'auteur commence par y critiquer, à raison d'ailleurs, le conservatisme du Sénat et les conséquences discriminatoires, homophobes et ségrégationnistes des amendements qu'il a adoptés.

Elle se montre en revanche plus critiquable lorsqu'elle critique les positions d'Irène Théry, célèbre sociologue française ayant travaillé de longue date sur les évolutions de la famille.

A l'instar de Daniel Borrillo, Odile Fillod semble être de celles et ceux qui n'ont jamais su pardonner à Irène Théry ses anciennes prises de positions conservatrices dans les années 1990[1], et prend bien soin de rappeler celles-ci en les décontextualisant au possible. Indirectement, cela lui sert de prétexte pour critiquer la revendication d'accès aux origines, et plus particulièrement la reconnaissance commune anticipée de filiation (RCA), qui, en permettant l'inscription de la mention du don dans l'acte de naissance de l'enfant[2], constituerait un mode de filiation séparé, et implicitement discriminatoire[3].

Dans son analyse de l'expression « accès aux origines », Odile Fillod énonce un faux dilemme entre origines biologiques et origines sociales, qui est aussi un homme de paille, puisqu'aucune personne IAD que je connais ne réduirait ses origines à la pure biologie.

Ensuite, Odile Fillod prétend que l'affirmation selon laquelle l’identité des géniteurs d’une personne ferait partie des « conditions élémentaires de construction de son identité narrative » ne serait étayée par aucune étude scientifique. 

Mais suivant la façon dont on interprète cette phrase et les études déjà entreprises sur le sujet, on peut considérer cela comme faux. En effet, si toutes les personnes conçues par don ne sont pas à la recherche de leurs géniteurs, la plupart d'entre elles sont pour l'accès aux origines, quelque soit le genre de leurs parents. 

De plus, une majorité absolue de personnes conçues par don considèrent aussi que leur donneur constitue la moitié de leur identité. Il n'y a peut-être pas eu beaucoup d'études en France à ce sujet, mais il y en a déjà eu pléthore dans le monde anglo-saxon.

Par la suite, Odile Fillod sous-entend aussi que la plupart des autres arguments en faveur de l'accès aux origines seraient principalement d'inspiration psychanalytique et/ou anthropologique. 

Là encore, c'est archi-faux. D'une part, parce qu'en dehors des frontières hexagonales, la psychanalyse a une influence quasiment nulle sur le débat politique. 

D'autre part, parce qu'Odile Fillod omet d'évoquer tous les arguments ayant trait aux antécédents médicaux (dont l'accès serait facilité par l'accès à l'identité du donneur) et à l'impréparation des parents face à la curiosité de leurs enfants, qui peut mener à des comportements délétères tel que le maintien du secret, la minimisation de la biologie ou à des conflits larvés entre parents et enfants.

Enfin, et contrairement à ce qu'Odile Fillod semble elle-même penser, on peut tout à fait être pour l'accès aux origines tout en étant contre la RCA. Ce n'est certes pas forcément très cohérent, mais c'est tout à fait possible. Aujourd'hui, c'est le cas de nombre d'associations mainstream (auxquelles Odile Fillod fait elle-même allusion, oubliant que celles-ci réclament la levée de l'anonymat), mais aussi de personnes conçues par don, comme le couple Kermalvezen de l'association Origines (qui sont certes minoritaires dans leur milieu).

Cependant, je remarque que certaines de ces associations, en principe favorables à la levée de l'anonymat du fait de leur alliance avec l'association Origines, n'hésitent pas, en pratique, à partager, retweeter et/ou liker cet article Mediapart dans leurs petits milieux respectifs, sans aucune ébauche de critique des arguments d'Odile Fillod sur l'accès aux origines.

Cet article était déjà la preuve que, malheureusement, certains courants de la gauche radicale et du féminisme ont encore quelques petits efforts à fournir sur la question des droits de l'enfant, mais j'y vois aussi une preuve supplémentaire du double discours au sein des associations membres du collectif PMA (qui regroupe la plupart des associations opposées à la RCA).

C'est que, d'un côté, on peut voir Irène Théry comme une « conservatrice » reconvertie, mais de l'autre côté, on pourrait tout aussi bien dire que la plupart des associations membres du collectif PMA sont des « pro-anonymat » ou au minimum des « pro-double guichet » reconvertis ; d'ailleurs, nombre de leurs membres ou sympathisant-e-s, en privé ou sur les réseaux sociaux, continuent en réalité à tenir le même genre de discours qu'Odile Fillod sur les « origines », en adoptant un point de vue de parent, adultocentré.

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[1]Effectivement, ces prises de position paraissent rétrospectivement conservatrices dans le contexte actuel, mais si l'on considère le contexte de l'époque dans sa totalité, les positions globales d'Irène Théry étaient en réalité plutôt progressistes. On a tendance à l'oublier aujourd'hui, mais l'homophobie ouverte était beaucoup plus assumée et affichée que maintenant, tandis que le trio Borrillo-Fassin-Iacub (et ses sympathisant-e-s) ont eu tendance à surestimer leur propre influence dans le débat politique. Marcela Iacub est même tombée en disgrâce lorsque son « permissivisme » l'a amenée à prendre des positions franchement masculinistes sur certains sujets controversés.

[2]Ce qui, contrairement à ce que prétend Odile Fillod, est une revendication de personnes concernées, au moins si l'on considère les personnes conçues par don comme étant des personnes concernées (ou même certaines associations LGBT et féministes particulièrement sensibles à la question des droits de l'enfant).

[3]Ce qui est faux : il existe déjà un mode de filiation distinct pour les personnes adoptées, et pourtant personne ne hurle à la discrimination.

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