22/12/2012

Le Collectif des 39 nouveau est arrivé

Pour ceux que ça intéresserait, c'est ici. C'est toujours sur la soi-disant interdiction des conférences sur le packing. Malgré ce que le début peut laisser suggérer, l'article parle peu d'Autism Rights Watch en réalité, et on reste sur notre faim concernant ce qu'ils auraient pu en dire.

Mais de quoi parle cet article, au juste ?

Il commence ainsi : "Sans bruit, sans que personne ne s'en indigne, autres que ceux qui en ont pâti directement, sans même qu'une ébauche d'étonnement médiatique ou politique ne se fasse jour[...]" Cela a le mérite d'être franc et direct, il faut le reconnaître ; on entre tout de suite dans le vif du sujet. Si j'étais narquois, je dirais que ce passage montre tout de suite à quel point ils sont en train de perdre la partie, à l'heure actuelle.

Par exemple, et je ne peux voir cela que comme une bonne chose, la critique, sinon de la psychanalyse elle-même, du moins de ses dérives, est en train de gagner petit à petit les médias de gauche. Après le Nouvel Observateur (depuis maintenant un bon moment), Marianne a écrit une critique favorable du livre Au secours, mes parents sont psys ! , Télérama a accueilli favorablement les documentaires récents sur l'autisme et a laissé Joseph Schovanec (ami avec Jean-Claude Ameisen de France Inter, et qui doit son emploi à la Mairie de Paris et à Hamou Bouakkaz) critiquer ouvertement le packing dans leurs pages, et il n'est pas sûr que Le Monde et Libération puissent sortir des articles aussi outrageusement pro-psychanalyse ou pro-packing dorénavant.

Une belle entrée en matière, en tout cas.*

La suite immédiate nous montre apparemment que le Collectif a quelques difficultés avec le concept de liberté d'expression. Aux Etats-Unis par exemple, il me semble, on a tout à fait le droit de "menacer" quelqu'un de faire quelque chose (de légal) si celui-ci dit ou écrit quelque chose qui ne nous plait pas. Ce n'est pas vu comme contradictoire avec le concept de liberté d'expression, bien au contraire. Ce qu'a fait ARW n'est guère très différent, quand on y pense.

Pour être plus précis : "Mais voilà que la demande par laquelle elle se glisse sur la scène publique est une demande d’interdiction d’expression" Faux. A ce sujet, il me semble utile de rappeler ce que j'avais déjà écrit dans un précédent article : "D'une part, attention à la déformation du débat. En l'occurrence, il ne s'agissait pas que de parler du packing ou même simplement de critiquer son interdiction, mais d'en faire la promotion. De plus, contrairement à ce que lui et Delion affirment, il s'agit de méthodes tout à fait démocratiques qu'Autism Rights Watch a mises en oeuvre. Cette conférence n'a pas été interdite par l'Etat ; ce sont ses propres organisateurs qui ont choisi de l'annuler. S'ils ne l'avaient pas fait, leurs adversaires n'auraient fait qu'exercer leur droit à la liberté d'expression. Ceux-ci considèrent que le packing est non seulement une pratique au mieux inefficace, mais aussi une atteinte majeure aux droits des autistes. Dans ce cadre, leur action est donc tout à fait compréhensible. Pour faire une comparaison, si une réunion faisait la promotion du racisme ou de la pédophilie, ou si une conférence soutenue par l'argent public faisait la promotion du charlatanisme le plus grotesque et le plus évident, j'ose espérer que Gillis s'y opposerait lui aussi." 

Rappelons par ailleurs le passage fréquemment cité dans la lettre en question : « NOUS VOUS DEMANDONS DONC PAR LA PRESENTE DE BIEN VOULOIR ANNULER CETTE ACTION DE FORMATION. A défaut, nous communiquerons sur le fait que l’Université XXX contrevient officiellement aux recommandations de la HAS. Nous ferons part de notre émotion auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la Recherche et nous exigerons la liste et les montants des financements ayant permis l’organisation de ce séminaire, si besoin devant un recours devant la CADA. »

Etant donné la suite du passage, je me pose une question, en fait : si ces psychanalystes tenaient tant à leur liberté d'expression, pourquoi ont-ils cédé si facilement aux demandes d'ARW ? Certes, s'ils les avaient maintenues, ils en auraient subi les conséquences, mais je pense qu'elles auraient été assez mineures du point de vue médiatique ou même judiciaire. J'ai une autre hypothèse, plus personnelle : le fait d'avoir cédé leur permet de mieux attirer l'attention sur eux en désignant un coupable qui participerait à leur persécution. Pour parler vulgairement, ces psychanalystes sont en train de devenir les "attention whores" du web psy**.

Mais j'ai peut-être écrit trop vite en ce qui les concerne. D'abord, il est vrai que la décision provient in fine des universités, pas des psychanalystes eux-mêmes. Examinons alors les véritables raisons avancées : 

- On voit, d'une part, que l'HAS est, sans surprise, en ligne de mire. En ce qui me concerne, je ne vois pas en quoi nous avons assisté à un usage abusif des ses recommandations, ils en parlent en termes quasiment complotistes, en fait - comme c'est le cas sur tant d'autres sites. Par ailleurs : "La soumission immédiate à cette demande de la part des universités n’est pas sans soulever les effets de la nouvelle loi LRU." Je ne vois pas tout à fait le rapport, mais bon...

- Ensuite : "Il apparaît à l'évidence que nous ne sommes plus dans le domaine des recommandations de combat, mais que nous avons versé progressivement vers des recommandations de maitrise et de contrôle d’une supposée qualité des pratiques courantes." Personnellement, je ne vois pas en quoi il devrait s'agir d'un problème...

Cela continue sur la dénonciation de la HAS, de son prédécesseur, de la "maîtrise médicalisée" accusée de ne proposer qu'un "seul chemin" et d'imposer un savoir gestionnaire. La question est intéressante mais n'a à vrai dire que peu de rapport avec le sujet qui nous préoccupe : oui, soutenir les méthodes ayant les meilleurs rapports avantages/coûts s'impose comme une évidence. Et je ne vois pas en quoi cela signifierait l'abandon de la question politique.

Par la suite, la HAS est carrément accusée de représenter la "vérité, [...] indépendante, [...] au-dessus de la politique...". Chose que personne de censé ne défend, en réalité. C'est pourquoi, paradoxalement d'ailleurs, ce passage a malgré lui une certaine pertinence. Je ne suis pas compétent en ce qui concerne le passage suivant. Passons à celui d'après :

"Cela fonctionne comme un nouveau modèle, qui n'est pas sans rappeler le dispositif techno bureaucratique soviétique, l'État supposé au service du peuple fabrique une machinerie qui met le peuple au service de l'État." J'allais dire la même chose, mais concernant le système actuel ! D'ailleurs, je me demanderais presque si toutes vos agitations ne sont, au fond, que des justifications idéologiques pour défendre vos intérêts-propres...


"C'est un peu comme si l'art de la table et les métiers de la bouche étaient passés sous le contrôle de leur stricte qualité chimique et calorique, comme si les grands chefs cuisiniers se devaient de se soumettre à une haute autorité de la bouche faute d'être désignés comme de vilains garnements désobéissants.Tout ça pour masquer que les marchés en fruits, légumes, volailles et autres denrées ne sont plus approvisionnés comme il le devrait. Surtout le peuple ne doit pas être trop au fait des réelles données du problème."


Analogy fail, comme disent les anglo-saxons. En effet, le soin comporte une part d'objectivité, que l'on peut mesurer à l'aide de différentes échelles par l'effet direct ou non sur l'organisme. Et puis, surtout, quelle idée de comparer le fait d'aller mieux, voire d'avoir la vie sauvée, au simple plaisir des papilles ? La deuxième phrase, ainsi que le paragraphe suivant, perdent alors leur sens.

Alors qu'on ne voyait pas de rapport direct entre tout ça et le sujet de départ, c'est seulement maintenant qu'on revient à nos moutons :


"Cela ne peut être un hasard que ce soit au sein du domaine du soin, là où la question de l'inégalité de chacun devant le devenir de son corps et de son esprit est criante, là où la solidarité collective doit se montrer exemplaire pour lutter contre les inégalités du destin" 

A vrai dire, je ne peux que saluer cette phrase !


"Que ce soit là que se soit infiltré un processus antidémocratique, qui sous prétexte, à son origine, d'un coup politique, se soit transformé en un virus destructeur des espaces de travail, du débat contradictoire, virus qui ne cesse de détourner au profit de sa reproduction une somme non négligeable des forces vives de la nation." 

C'est vous qui le dites, en revanche, là...

La fin de ce passage montre d'ailleurs qu'on redescend dans le conspirationnisme pur jus.

Et les mots de la fin :


"L'éducation n'est pas le soin. Chaque parent à la liberté d'orienter son enfant vers des choix de rencontre avec le monde qu'il lui imagine profitable. Le soin n'a rien à dire en son nom de ce genre de choix. Il est heureux que la psychiatrie, la psychanalyse, les psychologies, n'ait aucune généralité à affirmer quant à ce genre de choix, qu'il relève d'une éducation musicale ou artistique, d'une éducation sportive, d’un renforcement éducatif, d'un soutien pédagogique ou d'une éducation religieuse… Bien sûr en respect avec les règles et lois régissant nos sociétés. Les enfants dits autistes comme les autres. Si des parents souhaitent que des méthodes éducatives leur soient appliquées, tant que cela ne compromet pas le devoir des parents envers leurs enfants ainsi que le droit des enfants tels qu'il a été récemment édicté qu'ils le fassent. Ils peuvent d'ailleurs en débattre s’ils le souhaitent avec l'ensemble des sciences humaines concernées par les sciences de l'éducation."

Je suis assez ravi d'entendre cela, reste à rester cohérent avec ces principes, chose dont je doute, bizarrement.


Il ne suffit pas de passer du domaine de l'éducatif au domaine du soin pour devenir prophète,  nul n'est prophète en son pays n'a jamais voulu dire qu'on devenait naturellement prophète en allant dans le pays des autres. Là par contre, je ne vois pas le rapport avec ce qui précède... Plus généralement, je pense que le choix des méthodes éducatives est un fait plutôt positif, indicateur du fait que l'on va progressivement vers un monde où l'autisme ne sera plus reconnu comme maladie, mais comme condition nécessitant une approche particulière.

Les derniers paragraphes montrent bien, d'ailleurs, à quel point ces psychoprêtres sont de plus en plus dans un monde à eux, accusant leurs adversaires d'erreurs qu'ils ne font pas, pour détourner l'attention. Aussi, je ne vois pas vraiment le rapport avec la laïcité.

En attendant, avec toutes ces belles paroles, le Collectif ne parle pas de l'interdiction toujours persistante (et bien réelle, cette fois-ci) du film Le Mur de Sophie Robert par la justice française.

De plus, j'avoue avoir un peu du mal à lire leur style inutilement alambiqué***, qui participe à l'attention qu'ils essaient d'attirer sur eux, et que j'appellerai volontiers "cache-misère" si j'étais politiquement incorrect, alors si quelqu'un de bonne volonté pouvait vérifier que je n'ai pas fait de contresens...

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*comme pour les autres articles sur le Collectif des 39, je reprendrai les passages pertinents de cet article et les commenterai.

**si bien que je finis par me demander pourquoi je passe autant de temps à les critiquer, si c'est pour ça...

***pour tout vous dire, je comprends mieux l'anglais écrit que ce genre de chose !


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