13/10/2012

Quand le collectif des 39 s'enfonce dans les sophismes et la désinformation

Au moment où les députés Gwendal Rouillard et Daniel Fasquelle, soutenus par des parents fortement déçus par le dernier rapport du CESE (Conseil économique, social et environnemental), réclament une commission d'enquête parlementaire sur les coûts de la prise en charge de l'autisme en France et dénoncent le lobbying actif de l'école de la cause Freudienne (deux livres envoyés à chaque parlementaire ! Niveau manipulation, on n'est franchement pas loin d'Harun Yahya et de son "atlas de la Création" envoyé dans toutes les écoles de France...), le Collectif des 39 participe à la contre-offensive engagée par leurs collègues.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le Collectif des 39, il s'agit d'un groupement de psychiatres et de psychanalystes, formé au départ pour s'opposer aux discours sarkozystes sécuritaires de 2008 à propos de la santé mentale. Ils sont également à l'origine d'un appel contre un projet de loi de 2011 concernant notamment les soins sans consentement (ce sont des motifs tout à fait légitimes, quoi qu'on en dise, mais un peu hypocrites comme on le verra après). Ceci passé, le Collectif s'est concentré sur la menace permanente du "sécuritaire", et la défense inconditionnelle de la psychanalyse face à ses adversaires, notamment sur la question de l'autisme, n'hésitant pas à nier en bloc les nouvelles connaissances scientifiques à ce sujet.

Récemment, sur leur site, ils ont d'une part republié un article du psychiatre Alain Gillis (opposé à l' "intégration"* des enfants autistes et qui n'hésite pas à justifier sa position par la rhétorique la plus corporatiste et la plus réactionnaire) déjà publié sur Mediapart le 2 octobre dernier, d'autre part mis en ligne un court article (qui contient d'ailleurs la lettre envoyée par Autism Rights Watch) signé Pierre Delion, notoire promoteur du packing.

Pierre Delion n'hésite pas à qualifier d' "agités du bocal" et d' "extrémistes" "[qui prétendent] régner par la peur et la menace" l'ONG Autism Rights Watch qui se bat pour les droits des personnes autistes en France, alors que son positionnement ne diffère que peu de celui, en moyenne, de dizaines d'associations françaises de défense des personnes autistes et de leurs parents. Tout comme Gillis, il utilise l'argument de la pente glissante, ou le "strawman" ("l'interdiction de penser" pour Delion,"on pourra bientôt envisager de brûler les livres" pour Gillis).

Quant à Alain Gillis, j'espère qu'il saura tenir compte des quelques remarques suivantes :

D'une part, attention à la déformation du débat. En l'occurrence, il ne s'agissait pas que de parler du packing ou même simplement de critiquer son interdiction, mais d'en faire la promotion. De plus, contrairement à ce que lui et Delion affirment, il s'agit de méthodes tout à fait démocratiques qu'Autism Rights Watch a mises en oeuvre. Cette conférence n'a pas été interdite par l'Etat ; ce sont ses propres organisateurs qui ont choisi de l'annuler. S'ils ne l'avaient pas fait, leurs adversaires n'auraient fait qu'exercer leur droit à la liberté d'expression. Ceux-ci considèrent que le packing est non seulement une pratique au mieux inefficace, mais aussi une atteinte majeure aux droits des autistes. Dans ce cadre, leur action est donc tout à fait compréhensible. Pour faire une comparaison, si une réunion faisait la promotion du racisme ou de la pédophilie, ou si une conférence soutenue par l'argent public faisait la promotion du charlatanisme le plus grotesque et le plus évident, j'ose espérer que Gillis s'y opposerait lui aussi.

On est donc loin d'une interdiction par la justice, comme cela a été le cas avec le film de Sophie Robert sur la psychanalyse, Le Mur. Sempiternel problème de la paille et de la poutre, ou du deux poids deux mesures pour être plus laïc. Celui-ci va revenir.

Il y a aussi un point où Gillis commet une erreur lourde. Je le cite : "Ne pas pouvoir parler de ce qui est interdit, voilà qui est une petite nouveauté. Il faut supposer qu’une réunion à propos de l’usage du hachish, ou à propos de l’euthanasie, ou des mères porteuses, ou de la prostitution, etc… toutes ces choses interdites ne devraient plus être évoquées de crainte qu’elle ne fassent « propagande ». Merci à tous ces surveillants de la pensée, vraiment zélés…" 

Il sous-entend ainsi que les adversaires du packing sont des conservateurs, ou semblables à eux. Or ceux qui sont favorables à l'interdiction du packing sont loin d'être nécessairement favorables à l'interdiction de toutes les choses qu'il cite. Moi-même, par exemple, je suis (dans une certaine mesure) favorable à la légalisation de toutes ces choses-là. Et contre le packing. Et je trouve ce type de positionnement infiniment plus cohérent que celui qui semble être celui de Gillis (je suppose, mais étant donné qu'il n'a pas cité dans sa liste le racisme ou autres choses interdites et que la gauche n'aime pas, il semble donc insister sur un point de vue et témoigner d'une vision partiale et partielle de la liberté d'expression).

Je trouve mon positionnement très cohérent pour plusieurs raisons :

D'une part, j'ose avouer que les psychanalystes membres du Collectif des 39 me paraissent semblables à des hypocrites et des tartuffes lorsqu'ils prétendent lutter contre le sécuritarisme en psychiatrie. En effet, qu'est-ce que le packing sinon une pratique sécuritaire, visant à "calmer" des enfants turbulents en leur faisant subir une baisse de leur température corporelle grâce à un linge humide et souvent froid, appliquée sans le consentement de ces enfants mutiques (évidemment, quoi que vous en disiez !), ni même, souvent, de celui de leurs parents ? Bien sûr, ils cherchent à se défendre par une batterie d'arguments verbeux concernant cette pratique et en disant que ce qu'ils font n'est "pas pire" que ce que font leurs adversaires... Même si c'était vrai, ce genre d'argumentation resterait bidon. Si les théories comportementales débouchaient sur des excès, je serais le premier à les dénoncer.

D'autre part, et cela rejoint le point précédent, je suis favorable au libre choix des individus dans leur vie personnelle - et le packing tel qu'il est appliqué dans les hôpitaux va à l'encontre de ce principe.

J'irais même plus loin : on peut légitimement s'interroger sur la mesure dans laquelle, par exemple, la gestation pour autrui est compatible avec la psychanalyse. Parce que celle-ci tend à penser que tous les troubles mentaux ont leur origine dans la psychologie de la famille et celle de la mère en particulier, cela offre un alibi en béton pour les psychanalystes lorsqu'un enfant né de mère porteuse présente des "difficultés" (a fortiori dans le cadre d'un couple homosexuel, ou "évidemment" l'Oedipe ne peut pas avoir lieu correctement, avec la place qu'occupe la différence des sexes des parents dans le développement de l'enfant selon la théorie psychanalytique), on peut ainsi toujours citer les sentiments de la mère ou le rapport avec la gestatrice. De fait, il y a au moins autant de psychanalystes contre la GPA que de favorables. Et je me dis que ceux qui y sont favorables, comme souvent, se justifient à l'aide d'arguments davantage dignes de théologiens que de scientifiques (même sociaux) méritant ce nom.

Cela fait beaucoup d'arguments très critiquables en si peu de texte, en fait. Mais ne nous cachons pas que quant au reste, la lutte continue ; la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. Et tutti quanti.

*Les militants pour les droits des autistes préfèrent généralement le terme (et le concept) d' "inclusion" : la différence est que l'intégration part du principe que c'est l'enfant différent qui doit faire des efforts pour s'adapter au milieu éducatif, tandis que selon une approche inclusive, c'est le milieu éducatif lui-même qui doit s'adapter aux enfants différents. Ainsi, d'une certaine façon, on peut dire que l'inclusion est à "gauche" de l'intégration.

2 commentaires:

  1. Je pense que la place de la psychanalyse dans le champ de l'autisme va évoluer tranquillement, malgré toutes leurs gesticulations.
    Le problème n'était pas uniquement l'effet positif ou négatif de leur pratique (packing compris) mais aussi leur position dans le système de soin. Les centres qui hébergent les autistes ne sont pas des centres de thérapie mais des centres éducatifs. Et, d'un point de vue légal, ce qui a été établit est qu'ils n'ont donc pas à remplacer les pratiques éducatives prévues par la loi (comportementales) par des pratiques liées à la psychothérapie. Ce constat a été fait au niveau légal européen, et clairement précisé par la Haute Autorité de la Santé. Tout psychanalyste officiant dans un centre éducatif et ne proposant pas les méthodes comportementales est donc en infraction avec la loi. La HAS n'interdit pas le packing mais conclut qu'il est inutile et doit être proposé sur base volontaire s'il est proposé.

    Les psychanalystes médiatisés évitent d'aborder la question de la loi, tellement occupés qu'ils sont à se victimiser et se mettre en défenseur de l'humanité.

    A ce propos, je vous conseille le blog de François-R. Dupond Muzart : http://lta.frdm.fr/
    Francois est psychanalyste et juriste et consacre son blog au lien entre les deux.
    Il y parle beaucoup du débat sur l'autisme et explique en quoi les psychanalystes sont en infraction avec la loi dans le cas de l'autisme. Il défend la position que je viens de résumer plus haut, et cela avec d'énormes détails juridiques très précis et intéressants (mais faut s'accrocher :p)

    Je pense que , au vu de la position de tout cela vis à vis de la loi, les choses vont évoluer. Pas parce que la psychanalyse ça marche pas (là on sait bien à quel point c'est dur d'avancer de ce coté). Mais bien parce que la loi contraindra à ne plus perturber l'application des méthodes comportementales et à proposer leurs pseudo thérapies uniquement sur base volontaire

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    1. "Les centres qui hébergent les autistes ne sont pas des centres de thérapie mais des centres éducatifs." En théorie, pour l'instant. Donc "devraient être", plutôt ;)

      Merci en tout cas pour votre commentaire (ça fait plaisir ! :) ) et votre lien.

      Au risque de choquer mes propres alliés, je suis plutôt contre la loi Fasquelle qui a mon avis aurait surtout pour effet d'enfermer encore plus ces psychanalystes dans leur délire de persécution.

      Voilà !

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