29/10/2012

Deuxième réponse aux 39

Pour rappel : cet article-ci et celui-là.

Le collectif des 39 a, cette fois-ci publié un long texte pour défendre la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle (abrégée en PI). Ce texte de Patrick Chemla sera une fois de plus l'occasion d'analyser et de décortiquer leur rhétorique.

Sans surprise pour ceux qui les connaissent un peu, ils dénoncent "les menaces fascisantes de ces groupes qui tentent actuellement de nous faire taire et d’interdire de parler, penser, agir avec la psychanalyse et la PI" ce à quoi je répondrai que c'est le film Le Mur qui est toujours interdit aujourd'hui par décision de justice. Je ne commenterais donc pas plus longuement sur leur continuel délire de persécution.

C'est à partir du deuxième paragraphe que l'on aura l'occasion d'analyser leur langage codé. Tout d'abord, pour commencer : 

"entre l’image du « fou à délier » de l’Asile traditionnel qu’une génération de psy a voulu libérer de ses chaines"  

Personnellement, je ne suis pas favorable à cette image et je combattrai ce genre de conceptions et de stéréotypes s'il venaient à réapparaître.

"et celle du handicapé psychique qu’il s’agit de gérer et de normaliser"

C'est là que ça se corse et qu'il faut savoir lire entre les lignes. Le plus probable, c'est qu'ils entendent indirectement par "gérer" et "normaliser", le fait de permettre permettre aux "handicapés psychiques" d'être inclus à l'égal de leurs pairs dans notre société.

 "il semble bien qu’une constante demeure, celle de faire taire et de mettre au silence les témoignages et la tentative que représente la crie (sic) de folie de trouver un lieu d’adresse. Envers et contre tout la Folie s’exprime à sa manière."

Outre l'habituel procès d'intention, je devrais préciser que je n'ai rien constaté de tel sur les forums où je vais habituellement, bien au contraire. Alors, on me reprochera peut-être que cela reste bien restrictif et, peut-être, que je ne m'aventure pas du côté plus "sécuritaire" de la chose, il n'empêche que cette assertion est tellement fausse que cela en devient outrageant. 

Analysons maintenant la proposition "et la tentative que représente la crise de folie de trouver un lieu d’adresse". Je serais tenté de répondre que selon leur conception, ce "lieu d'adresse" est, selon toute vraisemblance, l’hôpital psychiatrique. Or, si j'en crois les très nombreuses descriptions que j'ai pu lire à ce sujet là où je vais d'habitude, c'est loin d'être un endroit idéal, avec des patients régulièrement gavés de neuroleptiques, souvent pris en charge par de jeunes débutants inexpérimentés et ayant droit à toute une batterie de traitements pseudo-scientifiques sans preuve de leur efficacité. On perçoit ici la véritable motivation du Collectif : derrière un discours de respect de la différence, il sont partisans d'une société ségrégative. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne Alain Gillis, qui a écrit plusieurs articles usant d'une rhétorique aux aspects bizarrement (?) assez droitiers, il le concède lui-même d'ailleurs.

Je continue :

"Cela alors que les méthodes se réclamant d’une pseudo-scientificité s’appuyant sur la biologie ou le comportementalisme ont fait la preuve de leur peu d’efficacité : il n’y a eu aucun progrès significatif dans l’approche thérapeutique malgré les progrès des neurosciences."

Affirmation extraordinaire qui nécessite des preuves extraordinaires : dans le cas de l'autisme par exemple, l'ABA a une efficacité prouvée, bien supérieure à celle de la psychanalyse. C'est un fait. Alors après, on peut toujours discuter du bien-fondé de l'ABA - je suis le premier à le faire - mais là n'est pas la question.


Le paragraphe suivant laisse assez rêveur, dans le genre paille/poutre il fait plutôt fort. Celui d'après :

"Bien plus grave : certains lobbys de parents d’autistes ont obtenu de la HAS la « non recommandation » du packing et de toute approche fondée sur la psychanalyse et la PI. Et même la promesse de généraliser cet interdit de penser à toute la psychiatrie !"

Je rappelle qu'en fin de compte, suite notamment à des opérations de "contre-lobbying", la psychanalyse est classée "non consensuelle" et non pas "non recommandée". On notera d'ailleurs que les parents d'autistes cités ici y sont toujours qualifiés de "lobbys", alors que ces psychoprêtres ne s'interrogent pas sur leur propre lobbying pourtant très conséquent. La dernière phrase est assez douteuse ; même si l'on interdisait toute pratique psychanalytique en psychiatrie, je ne pense pas que l'on pourrait assimiler cela à un "interdit de penser"  et j'ose espérer que celui-ci serait perçu comme anticonstitutionnel, tant mieux d'ailleurs.


Il s’agit à proprement parler d’une déclaration de guerre que l’on aurait bien tort de négliger en croyant qu’elle pourrait cesser à la faveur d’un changement de gouvernement.


Voilà qui me rassure...

Car elle est le symptôme d’une défaite que j’espère provisoire de toute  pensée critique et de la promotion de « pensées » techniques et opératoires qui se prêtent aisément à l’évaluation, à la mesure de la performance et sont ainsi en sympathie profonde avec l’ordre néolibéral. Nous aurions bien tort de croire que ces attaques soient uniquement centrées dans le champ spécifique de notre praxis, alors qu’elles s’appuient sur une conception du monde et de l’humain qui envahit tous les espaces de la société.

Rhétorique habituelle. C'est plutôt bizarre d'ailleurs, parce que ce que moi (et d'autres) veulent, ce sont des soins et une éducation de qualité pour tous, ce qui va à l'encontre de la logique de l' "ordre néolibéral" tel que je le conçois, qui est justement de nous refuser ces services pour peu qu'on ne puisse pas payer derrière. Mais bon, passons...

"Cette nouvelle raison du monde que Pierre Dardot a exposé à l’ouverture de ce colloque ne pouvait qu’entrer en collision frontale avec nos représentations de l’homme en tant que sujet parlant"

Vous n'abordez pas l'individu humain en tant que sujet non-parlant...

"Cette intrication qui est le ressort crucial de notre praxis est absolument antagonique avec l’ordre néolibéral. Et les efforts pathétiques de certains analystes pour inventer des échelles d’évaluation afin de rivaliser avec les TCC sont bien à côté de la plaque d’enjeux bien plus radicaux."

Cf. ma critique ci-dessus.

Le long paragraphe suivant est rempli de blabla psychanalytique, mais donne une idée du genre de divisions qui secoue ce milieu. Passons :

"Sans un acte de foi sans cesse à relancer dans l’inconscient freudien"

Serait-ce un lapsus ? Etes-vous en train de révéler votre vrai visage ? La suite de la phrase est assez ambigüe, elle aussi.


Le reste du texte commence par une remise en contexte historique. Etant donné qu'il est particulièrement long et difficile, je ne reprendrais donc que les passages qui m'intéressent : 

Car il faudra en cabinet comme en institution tenir cette dimension de la fiabilité qui a toujours manqué au patient psychotique ou borderline : que l’on reprenne l’hypothèse winnicottienne de l’agonie primitive et de l’effondrement ou l’hypothèse lacanienne de la forclusion, nous butons toujours sur une zone de catastrophe, une zone de mort psychique au sens de Gaetano Benedetti.

Sans commentaire.

D’où l’importance des lieux de métaphorisation que j’ai évoqués précédemment et qui peuvent permettre aux soignants d’exprimer leurs éprouvés sensibles, voire d’élaborer leur contre-transfert en théorisant leur traversée en se fabriquant une boite à outils métapsychologique. Mais aussi en rencontrant les éprouvés des patients, des familles et de tous ceux qui se sentent concernés par la folie et la souffrance psychique.

Quid de ceux qui sont incapables de "métaphorisation" ?

Des témoignages qui m’ont d’ailleurs atteint et montré à quel point je méconnaissais la gravité de la situation de la psychiatrie, et le retour de pratiques barbares que je croyais sottement révolues.

C'est l'hôpital qui se moque de la charité...

Je vous conseille de lire le texte jusqu'au bout, il est assez difficile, mais vaut le coup car il contient de sacrées perles même en grattant l'enrobage jargonesque.

Par ailleurs, je tiens à préciser qu'à titre personnel, je suis contre tous ces discours droitiers de criminalisation et de stigmatisation, et contre le sécuritarisme. Mais je m'oppose également à l'approche du Collectif des 39. Et oui...

3 commentaires:

  1. J'ai un lien qui devrait vous intéresser à ce sujet, c'est sur un forum anarchiste. Le gars à une vision complètement délirante du problème, c'est là que nous pouvons voir les effets de la propagande freudienne.

    http://www.pirate-punk.net/message.php?t=22483&highlight=autisme

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    1. De qui parlez-vous ? De Patrick Chemla ou d'un des intervenants sur le topic du forum que vous liez ?

      Dans ce dernier cas, c'est quand même fou de voir que des gens censés être des rebelles peuvent être aussi sensibles que les autres aux arguments de certains lobbies s'ils y trouvent leurs repères. Après, ce qu'ils disent n'est pas forcément dénué d'intérêt dans le fond, mais ils utilisent des arguments assez caricaturaux. Par ailleurs, il ne faudrait pas confondre "progressisme" et "déconnexion vis-à-vis de la réalité".

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