02/07/2013

Introduction aux études sur le genre - présentation et remarques générales



Introduction aux études sur le genre est un ouvrage collectif, de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, publié aux éditions De Boeck.

Le livre s'attache à présenter les études sur le genre, les principales idées et théories qui leur sont liées ainsi que le cadre conceptuel qui leur est associé.

Il est divisé en six chapitres :

- le premier, Sexe et genre, définit le sexe, traite du féminisme radical et de la question trans ;

- le deuxième, Genre, sexualité et vie conjugale, traite de la sexualité et de la perception sociale de celle-ci ;

- le troisième, Genre et socialisation, traite de la socialisation des enfants et de la construction sociale du genre au cours du temps ;

- le quatrième, Genre et travail, traite de la répartition des tâches, des inégalités salariales et d'accès à l'emploi ;

- le cinquième, Genre et politique, traite de l'histoire des revendications des femmes en politique et des inégalités d'accès aux fonctions politiques ;

- enfin le sixième, Intersections, traite du concept d' "intersectionnalité" ; l'idée que les différentes formes de discrimination - de genre, de classe, de race - se combinent, s'interpénètrent et sont comparables à de nombreux égards.


Après cette brève présentation, il est temps de poser la question : mais au fond, qu'est-ce que le genre ? Revenons un peu sur l'intro (de l'intro !) pour avoir des éléments de réponse. On découvre que quatre piliers définissent le genre :

- les différences systématiques entre hommes et femmes sont une construction sociale ;
- le genre est relationnel ; il existe une forme d'opposition entre masculin et féminin ;
- le genre est un rapport de pouvoir, de domination, et de normes ;
- le genre doit être comparé à d'autres formes de pouvoir et de domination.

Dès le départ, ce champ est donc doté d'une portée militante et prescriptive, puisque l'intro continue ensuite sur l'émergence de ces études au sein du mouvement féministe durant les années 1970. Juste une note de terminologie, qui vaudra pour la suite : ce qui y est appelé "féminisme matérialiste" correspond en réalité à un féminisme "marxisant", qui transpose l'analyse de la lutte des classes avec les sexes (et donc pas vraiment matérialiste au sens philosophique classique, ou même usuel).

Le principal écueil de ces études, à mon sens, est donc qu'elles reposent sur ce que Steven Pinker appelle la "feuille blanche" (The Blank Slate), à savoir, l'idée selon laquelle nous ne serions tous, hommes et femmes, que des "feuilles blanches" à la naissance, et que c'est notre socialisation qui expliquerait toutes nos différences.

Cette idée pose problème, évidemment : en effet, que se passerait-il si des découvertes scientifiques réfutaient cette idée et montraient qu'il existe bel et bien, en moyenne, des différences innées de comportement entre hommes et femmes ? Dans ce cas, les études sur le genre seraient-elles condamnées à ne devenir qu'un corpus idéologique et anti-scientifique, incapable de s'adapter à la réalité ? Car la scientificité même, notamment la réfutabilité, du concept de genre, pose aussi problème, pris à l'extrême et notamment dans ses variantes post-modernes : si l'on part du principe que "le genre précède le sexe", alors toute réfutation potentielle ne peut-elle pas être interprétée comme pensée dans les catégories imposées par le genre lui-même, et donc à abandonner pour cette raison ? Et même au-delà, l'activité scientifique elle-même ne peut-elle pas être entièrement analysée sous l'angle du genre, et de lui seul, posé en vérité ultime ? C'est ce genre de dérives qui avait déjà été dénoncées par Sokal et Bricmont dans Impostures intellectuelles. Mais bon, je le reconnais, les études de genre vont rarement jusque là.

Tout ceci devient moins gênant si l'on part du principe que les études de genre ne sont que des interprétations de faits à l'aune d'une théorie, même fausse, et qu'en pratique elles cherchent surtout à tirer dans leur direction en remettant en question les discours inégalitaires et les clichés courants et injustifiés. Dans ce cas, elles ne font pas pire que tant d'autres sciences sociales - y compris l'économie - et cet effort devient même très louable, même si la prudence devrait être de rigueur.

Mais les autres dérives associées à la croyance en la "feuille blanche" sont également visibles, ici : en plus d'une certaine confusion entre le positif et le normatif qui leur est inhérente, les études de genre font une confusion entre la justice (fairness, l'idée que nous valons tous la même chose) et l' "identicité" (sameness, l'idée que nous sommes tous la même chose). De plus, elles vivent sur ce que Pinker appelle la "peur de l'inégalité" : c'est-à-dire l'idée selon laquelle si des différences innées de comportement étaient constatées chez les hommes et les femmes, cela pourrait justifier des inégalités de traitement. Ce n'est pas vrai : si l'on pose que nous faisons tous partie d'une même famille humaine au-delà de nos différences statistiques, et qu'une femme vaut autant qu'un homme, alors l'égalité des sexes doit être respectée. Le fait que la gravité existe ne doit pas empêcher d'imaginer des moyens de s'envoler.

En résumé, si vous pensez - que vous soyez ou non vous-même dans les normes de genre, par ailleurs - que les études de genre et domaines liés (queer, etc...) sont une forme de masturbation intellectuelle élitiste, alors ce livre n'est pas vraiment pour vous, car il risquerait plutôt de vous renforcer dans votre sentiment - et encore, il y a pire comme livre, dans le "genre", si j'ose dire... 

Autrement, le livre est quand même très bien fait, et il faut reconnaître qu'un effort considérable est accompli pour rendre accessibles des théories clairement alambiquées, conçues pour relier une multitude de concepts et réalités disparates. 

De plus, il est effectivement très instructif sur le plan du "diagnostic", concernant les inégalités entre les genres et entre les sexes, les biais selon lesquels elles se manifestent, et comment le genre se construit socialement, en rejetant toutes les explications simplistes et fourre-tout d'une certaine pseudo-biologie.

Si vous vous intéressez sérieusement à ce sujet, je vous le recommande donc, quelque soit votre opinion dessus par ailleurs.



La suite de cet article traitera du premier chapitre et devrait approfondir certains aspects de la critique du constructivisme social pur.

11 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Votre chapitre "Tout ceci devient moins gênant..." est intéressant mais en fait il y a un autre écueil. Les études de genre visant (et c'est louable), au plan politique, à être un outil contre la sursexualisation acquise, elle DOIVENT viser aussi à convaincre. Or, la "blank page", déjà considérée par bien de ceux qui (comme moi) considèrent les gender studies comme utiles, comme un parti-pris idéologique idiot, braque instantanément n'importe qui d'autre. Donc moi je considère que tout discours qui dérive sur un caractère sexuel 100% acquis est à la fois stupide factuellement et contre productif socialement.

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  3. J'ai un peu de mal a comprendre la spécificité qu'aurai le concept de "feuille blanche", c'est quoi la différence avec la "tabula rasa" de Locke ?
    J'ai l'impression que personne ne lit les classiques et que tout le monde passe son temps a essayé de réinventer la poudre...
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Tabula_rasa_%28philosophie%29

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    1. "J'ai un peu de mal a comprendre la spécificité qu'aurai le concept de "feuille blanche", c'est quoi la différence avec la "tabula rasa" de Locke ?" Quasiment aucune, c'est à peu près la même idée (un peu plus radicale, même, parce que Locke serait perçu comme très réac aujourd'hui, les temps changent). Dans son livre The Blank Slate, Steven Pinker fait explicitement référence à l'idée originale de John Locke. Il schématise un peu, bien sûr, mais les partisans modernes de cette idée ne l'appellent pas "feuille blanche", "blank slate", ou "tabula rasa", mais "constructivisme social"...

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  4. Parfaitement d'accord avec renaudbb. On ne peut pas faire de la science en POSANT "les différences systématiques entre hommes et femmes sont une construction sociale". Puisqu'il s'agit d'un fait vérifiable, le poser comme point de départ fait que la théorie du genre tombe dès qu'on a la preuve que cet axiome est faux.
    D'ailleurs je ne comprends pas cette obsession. L'étude des facteurs sociaux de différenciation est intéressante en soi et ne nécessite aucun dogme. C'est bien dommage que sous couvert de science on trouve en fait un programme politique, même si les intentions sont bonnes.
    Ca me rappelle les délires auxquels arrivent les sociologues du programme fort lorsqu'ils passent de "la science est le résultat d'interactions sociales" (OK) à "la science n'est aucunement sous l'influence du monde extérieur"...

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    1. Vous êtes Nicolas Gauvrit ? Je suis plutôt d'accord avec vous, effectivement. Les fondations des "gender studies" me posent problème pour des raisons que j'ai détaillées dans cet article et le suivant. Mais je pense qu'il ne faut pas voir les études de genre comme un champ strictement scientifique à proprement parler, mais comme une façon d'interpréter des faits, qu'elle soit bonne ou non, pour en tirer des intuitions éventuellement intéressantes. Le fait que cette théorie soit prise un peu trop au sérieux par ses propres partisans, c'est autre chose.

      Beaucoup de champs des "sciences sociales" fonctionnent comme ça, et parfois l'idéologie peut être tout à fait différente, comme dans le cas de l'économie néoclassique...

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    2. Au fait, voulez-vous que je vous ajoute comme auteur de ce blog ? Votre aide pourrait m'être utile, éventuellement. Mais il faudrait que vous me donniez votre adresse mail par MP...

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  5. Vous remarquerez que l’image de couverture de l’ouvrage ressemble étrangement à une tête de Baphomet…

    Ils ont représenté l’horreur satanique que constitue le mélange des sexes.

    Voir cette image : http://37.media.tumblr.com/11d6258ec476c1a1f79d90cbb594e239/tumblr_mrzv4d2Ffo1rbxhzso1_1280.jpg

    Si on compare on voit que la femme au bas de cette image correspond aux lèvres et au symbole féminin à la base du logo sur la couverture du livre. Les moustaches et les 2 cornes (symboles sur le livre du masculin et de l’indifférenciation) correspondent à Baphomet et aux 2 serpents qui abusent de la femme. On voit ainsi que la femme est encore plus esclave et soumis à l’homme avec la promotion du gender, on la sacrifie même à Satan.

    Que Dieu nous vienne en aide et réveille la conscience de nos concitoyens ! Et défendons la dignité de la femme et celle de l'homme, leur richesse et égalité dans la complémentarité, non l'indifférenciation !

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    1. Ornithorynque consterné28 mai 2014 à 21:47

      Excellent. Vous me faites bien marrer ^^

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  6. On ne juge pas les livres a leur couverture et les bâtiment a leur façade.

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