04/11/2021

L'homophobie dans le mouvement des personnes conçues par don

Comment la pensée extrême et la désinformation ont obscurci des questions légitimes autour du don de gamètes

Il y a déjà plus de deux ans maintenant, j'avais écrit un article sur l'instrumentalisation conservatrice de l'accès aux origines en Amérique du Nord, certaines figures associées (de façon extrêmement périphérique) au mouvement, comme Katy Faust, se caractérisant par une homophobie virulente et des positions réactionnaires assumées. Je ne reviendrai là-dessus.

Au-delà de ces formes flagrantes de préjugé, le mouvement des personnes conçues par don est un mouvement légitime, qui grandit chaque jour en importance et qui se bat depuis des années pour interdire l'anonymat des donneurs, avec une dynamique politique très favorable dans l'ensemble, que ce soit en Europe ou en Australie.

Malgré cela, l'anonymat reste encore très répandu dans de nombreux pays. Pour les parents, il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer le recours à un donneur anonyme : la disponibilité d'un certain profil de donneur, le sentiment de sécurité juridique, mais le plus souvent c'est la facilité d'accès qui jouera un rôle déterminant. Il y a aussi des raisons idéologiques, certaines lesbiennes le considérant comme nécessaire pour ne pas faire entrer d'homme ni de « figure paternelle » dans leur famille (bien sûr, avec la démocratisation des tests ADN bon marché, cet anonymat est devenu plus symbolique qu'autre chose, ce qu'elles n'ont pas toutes l'air de réaliser).

Bien que la pratique de l'anonymat soit en déclin parmi les populations LGBT elles-mêmes et que beaucoup d'entre elleux aient soutenu l'accès aux origines lors de la dernière révision des lois de bioéthique en France, la plupart des mouvements de personnes conçues par don n'ont que très peu de liens avec les mouvements LGBT.

Encore aujourd'hui, dans de nombreux pays, l'anonymat des dons de gamètes reste un sujet relativement tabou, ce qui a pu amener certaines personnes à faire dévier le mouvement vers l'extrémisme, en particulier en ligne. Aux États-Unis, par exemple, faute de discipline et d'organisation (contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays), le mouvement est devenu une espèce de terreau fertile pour l'homophobie, la misogynie, le traditionalisme et la désinformation, qui menacent de saper les nécessaires échanges autour des techniques d'aide à la procréation, et de l'anonymat des donneurs en particulier.

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la question, j'ai très vite été conscient de l'homophobie présente sur les médias sociaux, sur certains réseaux de personnes conçues par don.

On peut par exemple citer cet article, écrit par Alana S. Newman, qui assimile les homosexuels ayant recours aux mères porteuses à des « prédateurs sexuels » en les considérant comme tout aussi dangereux pour les femmes que les proxénètes ou même les violeurs hétérosexuels. En tant qu'opposant à l'anonymat des donneurs de gamètes et partisan d'une GPA éthique et non-commerciale, je me suis souvent retrouvé exposé à des idées qui tombent dans la « zone grise » de ce que certaines personnes pourraient considérer comme homophobe et d'autres non. Cet article en sort très clairement. Il contient des passages tellement homophobes et réactionnaires qu'il ne devrait plus y avoir de débat possible à ce sujet.

On pourrait se dire qu'il ne s'agit que d'un point de vue marginal dans la communauté (et il l'est effectivement, de plus en plus) mais malheureusement, je suis forcé de constater qu'à part un vague engagement envers la diversité des modèles familiaux, les mouvements de personnes conçues par don, en général, s'engagent peu contre l'homophobie et prennent peu position à ce sujet. Certains mouvements semblent peu conscients de l'impact que leurs revendications, qui vont parfois bien au-delà de la levée de l'anonymat aux 18 ans de l'enfant pour inclure le droit à être élevé dès la naissance par ses parents biologiques (bien que cette dernière revendication ne soit pas nécessairement homophobe en elle-même), pourraient avoir sur les populations LGBT. 

On a aussi des personnes qui citent en référence AnonymousUs.Org (un site web conçu par Alana Newman et qui regroupe des témoignages dont certains ont été instrumentalisés contre l'homoparentalité), sans au minimum prendre leurs distances vis-à-vis de ses fondateurs ; ou qui relaient des liens vers des articles parus sur des sites plus que douteux, sans esprit critique ; ou qui considèrent l'ECLJ comme un organisme de défense des droits humains, alors qu'il s'agit avant tout d'un lobby chrétien ultra-conservateur qui ne fait qu'instrumentaliser la question ; ou qui, malgré leur engagement par ailleurs progressiste, se font interviewver par l'équivalent américain d'Aude Mirkovic.

Je ne pense pas qu'une personne de bonne volonté, qui dénonce l'homophobie, le racisme, le sexisme, puisse se sentir parfaitement à l'aise avec un mouvement qui, dans le meilleur des cas, n'est pas toujours très bien informé, très au clair ni très prompt à dénoncer les tentatives de récupération dont il fait l'objet, et qui, dans le pire des cas, ne montre absolument aucune sensibilité à ces questions et laisse pleinement s'exprimer ces préjugés sans aucune réaction officielle.

Ce mouvement ne vient pas de nulle part. Découvrir qu'on a été conçu par don peut engendrer une certaine forme de colère et de mal-être, y compris chez des personnes qui, autrement, sont plutôt privilégiées (attention toutefois, toutes les personnes conçues par don ne sont pas privilégiées, loin de là). Et les personnes privilégiées, surtout les hommes, ne sont pas censées se plaindre de leur position. On comprend dès lors mieux que cette colère puisse se transformer en colère mal placée, avec recherche du bouc émissaire, y compris pour certains enfants dont les parents sont elleux-mêmes LGBT.

Cependant, de par les conversations que j'ai pu avoir avec certaines personnes conçues par don, leur colère se dirige davantage à l'encontre des médecins, de l'État ou du « système » (et aussi de l'industrie et du profit que celle-ci engendre, dans une perspective nord-américaine) qu'envers un groupe défini par l'orientation sexuelle de ses membres. Les associations de personnes conçues par don revendiquent de nombreux membres LGBT ou issus de familles homoparentales dans leurs rangs. Après tout, il serait plutôt homophobe d'accorder aux homosexuels un statut particulier sur la question.

Addendum : en guise de mise au point, je dirais que la plupart des choses que j'ai citées dans cet article ne s'appliquent pas aux associations françaises de personnes conçues par don, qui, de par un contexte politique très différent du contexte nord-américain, sont au contraire très vigilantes par rapport à l'homophobie et très promptes à la dénoncer, par exemple lorsqu'un membre de PMAnonyme a relayé sur Twitter un article écrit par un proche de la Manif pour Tous et a dû s'en excuser par la suite.

Ce que j'ai écrit dans cet article ne doit pas non plus faire oublier que la violence rhétorique existe aussi de l'autre côté, et que dans la twittosphère francophone, celle-ci est infiniment plus intense que celle des personnes conçues par don (et encore, celle-ci n'émerge généralement qu'en réaction à des commentaires particulièrement insultants ou méprisants) pour en avoir été témoin moi-même, ces dernières années.

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