20/10/2021

"The Parent Trap" - débunkage

Au cours de mes pérégrinations sur Internet, je suis récemment tombé sur un article écrit par les actives Alexandra Kimball et Tamara Lea Spira pour le compte du site Real Life Mag. De par les quelques articles que j'ai pu parcourir en naviguant dessus, le site semble globalement se doter d'une orientation « technophobe de gauche » (ce qui pourrait expliquer certaines bizarreries, que je commenterai après), mais on peut y trouver des articles intéressants.

Celui-ci s'intitule « le piège parental : comment les tests ADN compliquent la famille queer » (The Parent Trap: How DNA testing complicates the queer family). À lui seul, ce titre résume assez bien un sentiment que j'ai souvent pu déceler chez les lesbiennes radicales de Twitter, à savoir que les tests ADN seraient dangereux et menaceraient leur conception de la famille.

À vrai dire, cet article-ci, écrit en réponse par une personne conçue par don, apporte déjà beaucoup d'objections qu'on pourrait apporter à cet article. Mais il y a aussi d'autres points que j'aimerais aborder..

Le premier point que j'aimerais soulever, c'est que cet article exprime un point de vue que je qualifierais volontiers, quoiqu'assez paradoxalement, de conservateur par rapport aux évolutions en cours au sein de la communauté LGBT. En effet, toute son introduction prend la forme d'une espèce de longue tirade, déplorant le recul de l'idéologie queer à l'ancienne, du « Love makes a family » parmi les populations LGBT elles-mêmes. 

L'article attribue ce processus à un « tournant biogénétique » qui aurait lieu à l'échelle de la société toute entière. De prime abord, il semble difficile de réfuter cette assertion, mais je dirais que ce n'est pas là que se trouve le plus important.

(En réalité, je pense que cette évolution doit moins au « tournant biogénétique » qu'à l'arrivée d'une nouvelle génération qui rompt d'avec la tradition et réinterprète à sa façon ce que cela signifie que d'être queer. On peut trouver des éléments d'explication dans cet article-ci.)

Je ne reviendrai pas sur l'homme de paille tournant autour de l'importance attribuée à la génétique (personne ou presque ne pense que la génétique est plus importante que tout le reste), même si, sans grande surprise, l'article condamne le fait d'essayer de trouver une base biologique à l'homosexualité ou à la transidentité.

Sans grande surprise non plus, l'article n'échappe pas aux clichés rhétoriques les plus répandus chez les « pro-anonymat de gauche », à savoir le déshonneur par association (dès qu'on parle de génétique, autant parler tout de suite d'eugénisme, de racisme et de surveillance génétique des migrants, par exemple, ce qui équivaut un peu à qualifier toute personne pro-énergie nucléaire d'être pour la bombe atomique). Le point « Manif pour Tous » est même atteint peu après, avec l'évocation des liens supposés entre le mouvement des personnes conçues par don et des lobbies conservateurs tels que le Center for Bioethics and Culture.

(Pour ceux qui ne connaîtraient pas, le CBC est un peu l'équivalent américain de Gènéthique ou de l'Alliance Vita : une source parfois citée par les activistes des droits des personnes conçues par don, notamment à cause d'articles qui vont dans leur sens, mais en lien étroit avec des groupements ultra-conservateurs.)

Que des activistes pour les droits des personnes conçues par don se compromettent avec ce genre d'organisations est certes déplorable, mais il faut aussi se demander pourquoi cela arrive. Je pense que le CBC et Gènéthique ont saisi une opportunité politique que la gauche, de par ses liens avec les mouvements LGBT, n'était pas encore prête à saisir immédiatement. C'est le même genre de mécanisme qui explique la proximité qu'entretiennent certains ex-musulmans, voire même dans certains cas des musulmans réformistes, avec la droite radicale, par exemple.

L'article va même encore plus loin, cette fois-ci avec un « déshonneur par association au second degré » impliquant la très conservatrice Bradley Foundation, et dénonce son hypocrisie lorsqu'il s'agit de faire adopter des enfants pauvres de couleur par des blancs évangéliques de classe moyenne.

Certes, les types de la Bradley Foundation sont des hypocrites... mais, jusqu'à preuve du contraire, leurs liens avec les mouvements de personnes conçues par don ne sont que très ténus et indirects. Et, quoi qu'il en soit, celles et ceux qui prétendent défendre la liberté de de disposer de son propre corps tout en s'opposant aux tests ADN récréatifs sont tout aussi hypocrites.

Dans l'article, l'expression des revendications des personnes conçues par don est également caricaturale et mal informée. En France, par exemple, PMAnonyme a milité pour l'accès à l'identité du donneur à partir de 18 ans ; elle ne milite pas pour que le donneur soit considéré et reconnu comme un parent dès la naissance de l'enfant (ce qui est sous-entendu dans l'article). Cela permet aux autrices de mettre en avant un faux dilemme : soit le donneur est anonyme, soit il est considéré et reconnu comme parent dès la naissance de l'enfant. C'est pourquoi l'idée selon laquelle la « famille génétique » équivaut à l'idée que « les enfants appartiennent à leurs parents » n'en apparait que d'autant plus étrange : n'est-ce pas l'anonymat des donneurs, plutôt, qui entérine le fait que les enfants appartiennent à leurs parents d'intention ?

Vers la fin, l'article, qui était jusque là idéologiquement cohérent, prend une direction plus inattendue, se montrant apparemment anti-ROPA, anti-greffe d'utérus, et anti-appariement racial. 

Pour terminer, l'article déplore la pathologisation des formes de parenté non-exclusives et non-hiérarchiques... Sans se rendre compte que l'anonymat des donneurs et la pathologisation des tests ADN, pris au sérieux, ne peut déboucher que sur la réinvention d'un modèle familial autoritaire, précisément exclusif et hiérarchique. Le point « droits de l'enfant = fascisme » étant là pour clôturer le débat, de façon tout à fait péremptoire, comme si le débat ne portait pas avant tout sur l'autonomie de l'enfant par rapport à ses parents.


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