16/11/2012

Philippe Val, un symptôme parmi d'autres

J'ai lu un article d'Autism Rights Watch sur Philippe Val, et cela m'a donné envie de détailler ce que je pense de ses positions.

Le 9 novembre dernier, la radio de service public France Inter avait entièrement consacré une journée spéciale à Freud, en dehors de tout évènement particulier.

Et voilà que le 15 novembre, sur les ondes de la station qu'il dirige, c'est Philippe Val lui-même qui vient défendre l'organisation de cette journée.

Je dirais que sa propre page Wikipédia parle d'elle-même et permet de mieux cerner le personnage, et tout le monde, ou presque, trouvera ainsi quelque chose à critiquer chez lui, de ses prises de position incohérentes concernant la liberté d'expression à son attitude autoritaire dans les média qu'il a dirigé ces dernières années. Nommé à la tête de France Inter en 2009 par Jean-Luc Hees (donc, indirectement, par Nicolas Sarkozy lui-même), il y est responsable de l'évincement des humoristes Stéphane Guillon, Didier Porte et Gérald Dahan. Ce n'est qu'un exemple. Mais je vais quand même détailler et m'intéresser à ce qu'il a dit hier.

En l'occurrence, une fois de plus, il se ridiculise.

Une fois n'est pas coutume, de nombreux auditeurs ne s'y sont pas trompés :


" Journée qui a passionné nos auditeurs donc, mais qui a aussi suscité des interrogations ou des critiques d’une aussi belle tonicité pour vous donner une idée du ton de la correspondance que j’ai reçu. Quelques extraits de courriels : « Pourquoi pas une journée homéopathie » nous demande François.  « Pourquoi pas une journée spéciale astrologie » nous ajoute Frédéric. « La psychanalyse est la plus grande imposture du 20ème siècle » affirme Jean. « Pourquoi France Inter lui consacre-t-elle une journée de propagande ». Ou encore ce dernier extrait de Josse, qui se présente comme docteur en neuroscience, qui nous écrit : « Etes-vous conscient que les spécialistes de la neuroscience et de la psychologie cognitive pensent que nous donnons beaucoup trop de crédit à la communauté psychanalytique ». Alors Philippe Val, merci d’abord d’accepter cet échange, est-ce que vous êtes surpris par la passion contenue dans ces messages ? Pensiez-vous que Freud et la psychanalyse étaient toujours  des sujets aussi clivant ? "

Mais Philippe Val n'a apparemment rien trouvé de mieux à répondre que ça :

" Le livre noir de la psychanalyse, un livre d’ailleurs à tonalité … avec des auteurs, disons assez louches… Euh… plutôt marqués à l’extrême-droite et une extrême-droite qui ne sent pas toujours très bon, mais apparemment cela n’a choqué personne. "

Outre qu'il s'agit d'un ad hominem classique qui évite d'avoir à critiquer le fond de l'ouvrage, je peux être quasiment sûr et certain que Philippe Val n'a pas lu le livre Noir, ne fait que répéter les arguments avancés depuis des années par Roudinesco et consorts et ne sait même pas de quoi il parle. Sans même parler des auteurs, dont la grande majorité ne peuvent que difficilement être qualifiés d'extrême-droite, rappelons que l'on peut lire ce paragraphe dans le début de l'ouvrage (seulement depuis 2010, il est vrai, puisqu'il s'agit d'un passage consacré à l'histoire du livre) :

" Deuxième difficulté, le pedigree des auteurs. Outre leur compétence et leur crédibilité - préalable nécessaire à toute entreprise éditoriale -, je fus obligé d'évaluer leurs intentions. Je m'explique. La psychanalyse a de nombreux opposants, parfois pour de bonnes raisons (historiques, épistémologiques, théoriques, cliniques), parfois pour de mauvaises : il y a une longue tradition de critique de droite et d'extrême droite de la psychanalyse - certains excités voyant dans le système freudien le ver dans le fruit de la civilisation. C'est là que le bât pouvait blesser. Je devais m'assurer que nous ne laisserions pas entrer le loup dans notre bergerie. "

Ce passage devrait être rappelé à tous ceux qui prétendent que le livre Noir diffuse une idéologie droitière. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'était pas l'intention de Catherine Meyer...

Il continue dans l'ad hominem :

" Et c’est comme si il y avait toute une partie du monde intellectuel, qui était hostile à cela, qui était plutôt soucieux d’ordre, de nationalisme … d’ordre … de rangement, de dressage de l’individu, alors que la partie freudienne du monde intellectuel fait le pari de la liberté. Et ça, la liberté aujourd’hui, ça suscite énormément d’hostilité. "

Non content de souligner l'importance du déterminisme psychique chez Freud, qui, d'après des critères certes actuels, n'était pas vraiment soucieux de liberté, ni de m'interroger sur l'éventuelle ironie involontaire de tels propos, étant donné nombre d'actions et prises de position de Val, je dois avouer, et je ne pense pas être le seul, que je ne me reconnais pas du tout dans cette description, et en tout cas je ne pense pas m'intéresser à ces valeurs plus que Philippe Val lui-même.

Par ailleurs, des gens tels que Michel Onfray, Jean-Louis Racca, moi-même et d'autres, nous voulons montrer qu'il existe une gauche anti-psychanalytique en France, et même que la gauche devrait être anti-psychanalytique. Parce que la psychanalyse, à la fois, est irrationnelle et entretient des préjugés. Toute la théologie du monde ne pourra cacher le fait que l' "envie de pénis" est un concept odieusement sexiste, qui serait un peu moins dérangeant s'il n'était pas, comme nombre de concepts freudiens, irréfutable au sens de Popper. Freud a été critiqué là-dessus dès son époque ; on doit à Karen Horney l'invention de l' "envie d'utérus" pour lui répondre. De plus, Freud avait certes des opinions progressistes pour son époque par rapport à l'homosexualité, mais pensait également que le refoulement de l'homosexualité conduisait à la paranoïa ou à la schizophrénie, étant ainsi à l'origine d'un des mythes anti-gays les plus pernicieux qui soient.

Ensuite :

" Et je voudrais juste aussi ajouter qu’on n’a pas fait une journée qui était une journée de débat, mais une journée de connaissance. C’était reconnaître l’apport. On aurait pu faire Darwin, ou Einstein [...] " 

" Mais Michel Onfray, on l’entend partout depuis 10 ans, sans contradiction. Et là il n’était pas question de donner la contradiction à Onfray, ou on peut travailler sur Freud…. Par exemple, si vous voulez faire une journée sur Darwin, ce qui est un personnage absolument fantastique, un intellectuel merveilleux du XIXème siècle, est-ce que vous être obligé de faire venir des créationnistes toute la journée. " 

 " mais la figure de Freud, grand intellectuel européen, et un des deux grand génies du début du XXème siècle avec Einstein. Il fallait lui rendre hommage. Il faut que les gens se réapproprient les figures qui ont fait, qui font la richesse de leur vie intellectuelle. "

Pour commencer, il est absolument impossible de comparer Freud à Darwin ou à Einstein. Il se trouve, d'une part, que Darwin a eu plutôt raison et que Freud a eu tort sur de nombreuses questions. Mais pas uniquement. Darwin a encore aujourd'hui, dans tous les pays du monde ou presque, un prestige scientifique que n'aura jamais Freud. Darwin n'a jamais été aussi intellectuellement malhonnête que Freud. Le rapprochement avec Einstein est encore plus hasardeux, sachant que la théorie de la relativité était considérée par Popper comme l'exemple-même de la théorie scientifique réfutable et la psychanalyse comme l'exemple-même de la pseudo-science. C'est juste un exemple, mais il s'est avéré que l'intuition de Popper fut plus que juste, et Einstein eut un impact beaucoup plus grand que Freud sur la science.

On retiendra du premier paragraphe cité que Val assume, étant donné le ton général de la journée en question, quasiment parfaitement le fait d'avoir organisé une journée de propagande, et n'a aucun intérêt, patience ni considération pour les critiques de la psychanalyse, d'où qu'elles puissent venir.

Je pense avoir dit l'essentiel de ce que je pensais sur la rhétorique de Philippe Val ici. Force est de constater que quelque part, il n'en est pas à son premier coup d'essai et qu'il a impulsé autour de lui une dynamique autoritaire et dogmatique sur laquelle je ne m'attarderai pas. Au moins un point est clair ; Philippe Val, comme d'autres qui se disent de gauche d'ailleurs, est psychologiquement de droite : fermé d'esprit et autoritaire. C'est un point qui me semble important, car l'une des caractéristiques essentielles de la gauche, à mon sens, est l'ouverture d'esprit et la sensibilité aux idées nouvelles, la complexité de pensée, le fait de ne pas se laisser enfermer dans les faux dilemmes et la peur du changement.

Pour ne pas finir sur une mauvaise note, tout n'est pas sombre non plus et, à titre personnel, s'il reste des choses à défendre chez lui, je ne peux que saluer son engagement contre tous les fondamentalismes religieux et pour le fédéralisme européen. Bien que ce fut après son départ en 2009, j'ai également défendu Charlie Hebdo, chaque fois que ce journal fut attaqué concernant la religion, récemment.

edit : il est dans mon devoir de vous donner le lien vers le message de Jean-Louis Racca, autrement plus percutant et mieux construit que le mien. Ainsi que vers ce récent article du CorteX sur la reduction ad hitlerum, c'est-à-dire, indirectement, le point Godwin.

edit 2 : et voici maintenant la réaction de Jean Cottraux, particulièrement radicale.

5 commentaires:

  1. Tu as bien résumé la situation. Qu'on constate que Freud a joue un rôle dans l'histoire de la psychologie, c'est une chose, mais l'encenser comme le fait ce type, c'est quand même culotté. Le comparer à Darwin et à Einstein, là c'est carrément du délire. On peut sans doute dire que Freud à contribuer à la réflexion de son temps sur la psycho avec la psychanalyse et que les louanges comme les critiques qui lui ont été adressées ont fait avancer les choses. Malgré cela, il ne restera pas grand chose de Freud et de la psychanalyse ... Aucune grande découverte (certainement pas celle de l'inconscient, qu'on lui attribue par erreur). La théorie analytique n'apporte plus rien à la psychologie et la pratique de la psychanalyse a montré ses limites et ses travers et est en train de disparaître du monde. Quand on la prétention de la psychanalyse a être la seule à se préoccuper de l'individu dans ce qu'il a de singulier, ou encore la seule à défendre la liberté de celui-ci, c'est plus de la propagande naive que la réalité. Et on peut comparer à ce niveau la psychanalyse avec la religion qui se prétend seule détentrice des valeurs humaines et de la morale, comme si on devait être catho pour être quelqu'un de bien... Et bien non, il ne faut pas non plus faire de la psychanalyse pour s'intéresser au sujet... Bref, la psychanalyse n'a rien apporté de durable...Contrairement à Darwin ou Einstein... Au mieux elle a contribué aux débats de son époque comme elle contribue encore aux débats en France (souvent de manière très pitoyable ces derniers temps...)

    Je comprend néanmoins que les psychanalystes et leurs défenseurs perdent les pédales de plus en plus car ils sont les derniers survivants d'un groupe qui a +- cessé d'exister dans le monde... Cette situation crée certains replis identitaires qui sont compréhensibles mais regrettables.

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  2. Excellent commentaire !

    Je suis complètement d'accord avec vos analogies concernant la religion ;-)

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  3. Bravo ! Après la journée Freud-Inter et ce retour révoltant de Val, ça met un peu de baume au coeur de lire un billet comme celui-ci, ou comme celui de Jean-Louis Racca.

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  4. Et voilà un article belge sur le sujet : http://archives.lesoir.be/diagonale-quand-philippe-val-traite-de-fascistes-les_t-20121119-0267RK.html?firstHit=40&by=20&when=-1&sort=datedesc&pos=59&all=1311861&nav=1

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  5. Juste retour des choses, le point de vue d'EFB :

    http://freixa.over-blog.com/article-france-inter-freud-val-et-les-autres-112640729.html

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