15/08/2019

Projet de loi Bioéthique : ce que j'en pense

Comme vous le savez peut-être, le gouvernement dans la future loi projette d'étendre l'accès à la PMA (procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, qu'elles soient célibataires ou en couple, avec un homme ou avec une femme. Ce projet fait débat, pour au moins plusieurs raisons.

Commençons par les aspects positifs, d'abord : l'ouverture de la PMA à toutes les femmes[1], y compris célibataires (j'ai changé d'avis sur la question depuis quelques années, pas à cause des gesticulations des militantes mais parce que j'ai moi-même fini par reconnaître que mes arguments ne tenaient pas la route). Cette inégalité d'accès à la procréation méritait amplement d'être corrigé, d'autant plus depuis le vote de la loi sur le mariage pour tous en 2013 en France, où celui-ci faisait paraître.

Mais le diable se cache dans les détails. En effet, établir de nouveaux modes de filiation pose apparemment problème d'un point de vue juridique, notamment du point de vue du titre VII du code civil, qu'il faudrait modifier en profondeur pour tenir compte des nouvelles formes de filiation. C'est pourquoi le législateur a, dans un premier temps, écarté l'idée d'étendre tout simplement le droit existant à toutes les personnes concernées.

C'est une seconde option qui a ensuite été envisagée : celui de créer un mode de filiation spécifique pour la PMA avec tiers-donneur, la déclaration anticipée de volonté (DAV), aussi appelée déclaration commune anticipée de filiation (DCAF). Idéalement, celle-ci devrait permettre à l'enfant issu d'un don, et à lui-seul (la mention ne figurant que sur la copie intégrale de l'acte de naissance) de savoir que sa conception a supposé un engendrement avec tiers donneur. Cependant, il se peut que les couples hétérosexuels puissent très facilement contourner ce système (en omettant la DAV au moment de la naissance de l'enfant, par exemple), ce qui pourrait entraîner un certain nombre de complications juridiques si tel était le cas. Par ailleurs, se posent des questions relatives au « respect de l'intimité des couples », ainsi qu'au risque de « stigmatisation » qu'induirait cette solution.

Finalement, le gouvernement a retenu une troisième option, à savoir conserver la DCAF, mais uniquement pour les couples de femmes ou les femmes seules. Je pense qu'il s'agit là du pire compromis possible. La solution est simple : soit on étend la DCAF à tous les couples, y compris hétérosexuels (c'est que je préférerais, à l'heure actuelle), soit on se contente d'étendre le droit existant, sinon on crée un système discriminatoire à deux vitesses qui ne satisfait personne, et surtout écarte les personnes qui en auraient le plus besoin (en l'occurrence ici, les enfants nés de couples hétérosexuels).

D'un côté, je comprends quelle peut être la stratégie du gouvernement, à savoir « tâter le terrain » avec un projet encore relativement conservateur, pour mieux voir si d'autres députés, en particulier ceux des partis traditionnellement hostiles à la PMA, ne seraient pas prêts à accepter des propositions plus « progressistes » émanant de députés de tout bord, mais surtout à gauche, voulant infléchir le projet actuel. Je pense qu'il risque d'y avoir des surprises, à ce sujet : plusieurs députés de droite ont dores et déjà annoncé qu'ils voteraient pour le projet, tandis que d'autres ont déclaré que la droite en général ne voulait pas revivre le « match » de 2013.

Ce n'est pas le seul aspect controversé du projet de réforme actuel ; on peut aussi citer la destruction des stocks de gamètes, que je considère comme un scandale majeur auquel il faudra bien remédier, en demandant par exemple aux anciens donneurs s'ils acceptent de passer aux nouvelles règles pour conserver leurs gamètes. A ce sujet, je vous invite fortement à signer, si ce n'est déjà fait, cette pétition des professionnels de l'AMP appelant à des aménagements au projet de loi actuel.

D'autre part, en me promenant sur Twitter, je réalise à quel point le projet de réforme souffre de nombreux malentendus.

Le plus gros d'entre tous, certainement aggravé par l'option « conservatrice » finalement retenue par le gouvernement, et par la désinformation entretenue par des médias mal informés sur ce sujet-là, réside certainement dans la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes. Ce malentendu touche aussi bien certains militants « radicaux » que certains conservateurs ; ils ont d'ailleurs beaucoup plus en commun qu'ils ne voudraient l'admettre : en effet, ce sont les plus sensibles à la désinformation médiatique autour de ce sujet, ils ont tendance à être dogmatiques, repliés sur eux-mêmes et peu ouverts à la conversation, ils confondent père et géniteur, filiation et accès aux origines, dénoncent l' « usine à gaz des bricolages » et relaient les mêmes arguments moisis sur la « baisse des dons ». Mais ce serait oublier que d'une part le donneur n'est pas, et ne peut pas être un père, d'un point de vue légal, et donc que les procès en paternité ne seront pas possibles (autrement dit, les familles resteront protégées), et que d'autre part, à long terme, la « baisse des dons » est un mythe.

Et aussi, il faut bien faire comprendre à tout le monde que l’anonymat, tel qu’il a été promis à tous il y a vingt-cinq ans, n’existe plus aujourd’hui, avec la démocratisation des tests ADN en ligne.  Aller à l'étranger pour un don anonyme ne servira à rien, à part peut-être faire perdre davantage de temps et d'argent à tout le monde. Encore une fois, le droit de l'enfant à découvrir son géniteur est conçu comme un droit qui lui appartient en propre et à lui seul, en aucun cas la transparence n'est imposée. Les inquiétudes sur la supposée « délégitimation des familles » sont donc infondées. Derrière ce rejet se cache peut-être la peur de la liberté que pourraient avoir nos propres enfants dans leur façon d'envisager leur famille, mais si l'on est pas prêts à ce que nos enfants puissent avoir leurs propres opinions sur le sujet, alors il vaut mieux ne pas en avoir du tout (cela vaut aussi pour les réactionnaires et les homophobes, bien évidemment).

En quelque sorte (je l'écris sans arrière-pensées), je pense que cela provient du paradoxe d'appartenir à une minorité opprimée et de vouloir fonder une famille « comme les autres », c'est-à-dire une structure qui, à sa manière, incarne l'ordre et l'autorité, mais qui pourtant ne pourra pas échapper à la dialectique de la rébellion et de la réconciliation.

Je pense qu'il faut aussi se rassurer par rapport à la DCAF. Bien que je regrette la frilosité du gouvernement actuel à ce sujet, les familles homoparentales ne vont pas être davantage marginalisées ou stigmatisées à cause d'un détail très technique qui ne sera accessible que sur la copie intégrale des actes de naissance. Ce n'est pas ce qui rendra la Manif pour Tous plus ou moins tolérante envers les personnes LGBT et leurs familles. Elle s'en contrefiche. Que des homosexuels puissent élever des enfants ensemble, c'est déjà trop pour elle.

Mais il n'empêche qu'il demeure une injustice dans le projet actuel, et qu'il conviendra tôt ou tard de la réparer. Cette tribune du journal Le Monde donne toutes les grandes raisons de s'y attaquer.

En ce qui me concerne, j'aurais plutôt tendance à m'y reconnaître : en effet, loin des craintes de « stigmatisation », je pense que la DCAF étendue à tous pourrait permettre de « dé-stigmatiser » définitivement les personnes nées d'un don en faisant passer cette réalité dans le droit, et pourrait faire passer la France de retardataire à pionnière des droits des personnes nées d'un don, de nombreuses personnes dans d'autres pays réclamant, à tort ou à raison, des actes de naissance au plus près de la réalité biologique pour eux-mêmes et leurs enfants.

L'autre raison qui fait que je soutiens la DCAF, c'est que parmi les opposants à celle-ci, se trouvent beaucoup d'anciens opposants à la levée de l'anonymat qui essayent de conserver tant qu'ils le peuvent cet accrochement aux droits des parents (beaucoup d'entre eux, hormis une poignée d'irréductibles[2], ayant compris que lutter directement contre l'accès aux origines était devenu politiquement peu défendable), tandis que parmi les soutiens de la DCAF se trouvent beaucoup de soutiens de longue date de la levée de l'anonymat (PMAnonyme, l'ADFH, Irène Théry, etc...) et donc des personnes globalement plus sensibles aux droits des enfants.

---

[1]si j'étais cynique, j'y verrai une très mauvaise nouvelle, car la surnatalité est l'un des principaux facteurs du réchauffement climatique. Un peu l'inverse de Jean-Marie Le Pen, qui apparemment soutient la PMA pour toutes pour des motifs racistes. Mais je ne suis pas cynique, donc bon.

[2]dont éventuellement le Planning familial, association dont le discours semble aujourd'hui devenir de plus en plus ambigu (de par leur participation au meeting des GCN, par exemple), voire communautariste.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire