Alors que les députés sont actuellement en train de débattre de la nouvelle loi bioéthique, et alors que le site Les Mots Sont Importants (avec lequel je n'ai pas spécialement d'affinité idéologique particulière, par ailleurs) a récemment publié un article sur la question, et que le sujet est parfois âprement débattu sur les réseaux sociaux, je me suis dit qu'il était grand temps de donner mon avis dessus.
Tout d'abord, qu'est-ce que c'est, de quoi s'agit-il, et pourquoi en parle-t-on ?
La ROPA, acronyme pour Réception de l'Ovocyte de la PArtenaire, est une technique d'assistance médicale à la procréation (AMP) destinée typiquement à un couple de femmes (il peut aussi s'agir de personnes transgenres et/ou non-binaires), dans laquelle une des deux personnes fournit un de ses ovocytes, qui sera ensuite fécondé par le spermatozoïde d'un tiers donneur, puis transféré dans l'utérus de sa partenaire.
En ce qui me concerne, j'y suis favorable (ou du moins, je n'y suis pas opposé) d'une part parce que cette pratique ne pose de tort à personne - elle n'est pas si difficile que cela à expliquer pour un enfant, et n'est pas non plus incompatible avec l'accès aux origines - et d'autre part parce que les arguments du camp d'en face sont quasiment tous plus fallacieux les uns que les autres. Mais je considère aussi que cette question mérite mieux que d'être l'enjeu d'un affrontement binaire entre conservateurs (ou même « modérés ») d'un côté et identitaristes à la Borrillo[1] de l'autre, et j'aimerais apporter un autre point de vue sur la question.
L'article de LMSI présente (et dénonce) un certain nombre d'arguments en défaveur de la ROPA. Analysons-les de plus près.
Il y a tout d'abord l'argument du risque médical. Mais, même si cet argument était avéré, il y a tout un tas d'autres pratiques « non-nécessaires » qui sont associées à des risques médicaux, y compris en AMP. Le seul argument qui me semble valable est celui du risque pour la santé de l'enfant, mais d'une part, d'après LMSI (donc à vérifier), aucune étude n'a jamais démontré la dangerosité de cette pratique, d'autre part, même si tel était le cas, ce serait toutes les pratiques de fécondation in-vitro (FIV) qu'il faudrait ainsi remettre en cause.
Ensuite, il y a l'argument de la « pente glissante », selon laquelle cette pratique ouvrirait la porte à de « graves dérives » (Thibault Bazin, LR). Peut-être fait-il référence à la gestation pour autrui (GPA) ? C'est fort possible, étant donné que l'argumentation ultérieure de LMSI donne elle-même du grain à moudre à cette interprétation (qui a dit « balle dans le pied » ?). Mais c'est un autre débat.
D'autres, comme Agnès Buzyn, considèrent que cette technique ouvrirait la voie au don de gamètes dirigé, ce qui remettrait en cause l'anonymat du don. Cette pratique serait donc à interdire au nom du principe d'anonymat ![2]
De plus, cette assimilation de la ROPA à une GPA ou à un don dirigé (et son interdiction parce qu'assimilée en tant que tel-le) ne peut sérieusement être maintenue que par l'adhésion rigide et irréfléchie à des principes considérés comme intangibles, voire avec de la simple mauvaise foi. La vraie raison de cette opposition, je pense, est que cette pratique serait probablement perçue par ses adversaires comme « trippesque » ou « communautariste », c'est-à-dire rejetée pour des raisons, en réalité, implicitement lesbophobes.
En revanche, contrairement à LMSI, je ne suis pas particulièrement offusqué de voir la ROPA décrite comme un don (au sein d'un couple), parce que les problématiques qu'elle soulève sont en réalité très similaires à celles du don d'ovocytes.
Il y a notamment l'idée que la ROPA constituerait un bouleversement de notre concept de parenté biologique, ce qui est déploré par les conservateurs et les « modérés » tout en étant, précisément pour cette raison-là, revendiqué par les identitaristes, en particulier sur les réseaux sociaux. En réalité, rien n'est plus faux[3].
Qu'est-ce qu'un parent biologique ? C'est celui/celle qui transmet 50 % de son ADN à son enfant. La notion de parent biologique est donc équivalente à celle de parent génétique. Bien entendu, cela ne remet pas en cause l'influence biologique éventuelle de la gestatrice (épigénétique, régime, stress, etc...), mais tout ce dont la base est génétique (en particulier, le groupe sanguin et les maladies génétiques) provient du seul parent biologique. Comme on peut le voir avec ces exemples, la ROPA ne bouleverse pas notre vision de la parenté biologique, pas davantage que le don d'ovocytes auparavant.
Ainsi, la ROPA ne devrait pas être envisagée comme un moyen d'avoir « magiquement » une relation génétique vis-à-vis de ses propres enfants, comme certaines personnes ont l'air de le penser, ce qui peut être facilité par le silence des médecins au nom du « politiquement correct ».
Alors que d'un autre côté, les personnes conçues par don ont besoin d'une terminologie précise pour se construire et envisager leur existence. Essayer de manipuler le langage pour faire croire que ces personnes seraient biologiquement liées à leurs parents non-biologiques est une imposture, et le faire valoir pour combler un besoin émotionnel, alors que l'accès à des données médicales pertinentes peut être une question de vie ou de mort, est certainement déplorable.
J'irais même jusqu'à dire que ce manque de précision est probablement le signe d'un malaise persistant[4] vis-à-vis du manque de relation génétique avec ses propres enfants[5], alors que cela n'amoindrit pourtant d'aucune manière ni le rôle de parent, ni l'importance de la grossesse et de l'accouchement. Avant de discuter avec son enfant de la façon dont il a été conçu (idéalement, ce devrait être le plus tôt possible), il est important, pour un parent, d'accepter ce manque de relation biologique avec lui.
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[1]Un peu de terminologie, pour commencer.
Les opinions sur la PMA offrent un large éventail de positions, depuis les conservateurs traditionnels d'inspiration religieuse, qui s'opposent à toute évolution en la matière (LMPT), les défenseurs sincères des droits de l'enfant mais à tendance conservatrice sur la question (Jean-Pierre Rosenczveig, par exemple) les « modérés », qui acceptent certaines avancées mais restent frileux sur certains sujets tels que la ROPA, les droits des trans, la PMA post-mortem et/ou la GPA (le gouvernement et la plupart des membres de la majorité actuelle LREM) les modernistes-pragmatiques équilibrés et pro-droits de l'enfant (Irène Théry, PMAnonyme et les autres partisans de la RCA), les modernistes-pragmatiques à tendance identitariste (la plupart des opposants à la RCA regroupés au sein du « Collectif PMA ») et enfin les identitaristes radicaux, opposés à toute levée de l'anonymat (qui se définissent souvent comme « féministes matérialistes » sur les réseaux sociaux).
Ici, je considère que les autrices de l'article se rangent implicitement, sinon du côté des identitaristes radicaux, du moins de celui des modernistes-identitaristes, puisqu'elles citent à plusieurs reprises les propos de l'intellectuel franco-argentin à l'appui de leur argumentaire.
[2]Un point que certain-e-s identitaristes ont d'ailleurs eu tendance à souligner pour dénoncer ce qui, selon eux, démontrerait l'hypocrisie des « modérés ». En ce qui me concerne, je suis contre l'anonymat, mais je considère aussi que celui-ci devrait être dénoncé avec cohérence, et que critiquer la ROPA au nom du principe d'anonymat, c'est s'attendre à susciter ce genre de réactions.
[3]En particulier, je vous renvoie à cet excellent article du Donor Sibling Registry, dont je me suis beaucoup inspiré pour écrire cet article.
[4]D'ailleurs, chez certain-e-s identitaristes radicales, je constate souvent un rapport à la biologie à géométrie variable, à savoir prétendre que la biologie n'est pas très importante lorsqu'il s'agit de défendre l'anonymat des donneurs, tout en rappelant l'importance de celle-ci lorsqu'il s'agit de défendre la ROPA et/ou de pouvoir choisir un donneur d'une ethnie donnée.
[5]Mon expérience avec des personnes conçues par don est que beaucoup d'entre elles se considèrent comme adoptées avant même leur conception. Bien sûr, on peut ne pas être d'accord avec ce point de vue, mais il faut néanmoins le prendre en considération.