Daniel Borrillo est un auteur dont j'ai déjà parlé dans un précédent article, et plus brièvement ici.
Son blog Médiapart n'était plus mis à jour depuis un an, mais il a retrouvé du poil de la bête depuis la primaire à droite et la victoire de Fillon, qui ont ramené le conservatisme sur le devant de la scène politique.
Quelles sont ses nouvelles cibles ? A part un article contre Trump écrit en espagnol, les trois autres ciblent tous la gauche "molle" ou "conservatrice". Pourquoi donc ?
Avant tout, je suppose que Borrillo cherche des boucs-émissaires à la montée du fillonisme pour ne pas avoir à contempler la faillite de sa propre ligne idéologique.
Son premier article effectue un rapprochement entre le projet politique de François Fillon et la Manif Pour Tous, et celui des "experts socialistes" à l'origine du rapport « Filiation, origines, parentalité : Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle » commandé par le Ministère de la Famille en 2014.
Borrillo y prétend que l'adoption simple ne peut permettre d'acquérir la nationalité française (ce qui est faux, c'est plus compliqué que ça). Il instrumentalise les propos d'un juriste : « le droit de la filiation n’est pas seulement un droit de la vérité. C’est aussi, un droit de la vie, de l’intérêt de l’enfant, de la paix des familles, des affections, des sentiments moraux, du temps qui passe… » Le "seulement" est important ici. Il fait encore la confusion habituelle entre différence des sexes, procréation et hétérosexualité. Et il considère que la "gauche molle" a préparé le terrain à Fillon sur la question de la "vérité biologique".
Il s'agit toutefois d'un rapprochement malhonnête, car si Fillon veut uniquement stigmatiser une partie de la population dans le droit avec un projet discriminatoire et homophobe, le rapport en question s'inscrivait dans une vision cohérente et équilibrée, que Borrillo dénonce car il croit y déceler des arrière-pensées.
La vérité est que Fillon et LMPT, nonobstant la position raisonnable des "experts socialistes" (qu'ils ont allègrement balayée d'un revers de la main, au passage), ont implicitement agité la ligne Borrillo comme repoussoir et unique alternative à leur propre projet réactionnaire. J'irais même jusqu'à dire que la force de François Fillon (et de la Manif pour Tous) se nourrit de l'incapacité de la gauche française à penser ce genre de questions et d'y apporter une réponse audible et cohérente. Et il n'est pas étonnant que cela ait été particulièrement efficace, tant l'approche Borrillo est vouée à l'échec, comme on le verra après.
Son deuxième article est une réponse à une réponse à son premier article, où Borrillo se faisait prévisiblement tancer par les auteurs du rapport suscité.
Ce nouvel article se concentre sur une critique d'Irène Théry et d'autres experts, qui se réduit à une seule expression : "Never Live It Down". Encore maintenant, Borrillo cite obsessivement des articles de 1997 pour suggérer que Théry serait toujours réactionnaire encore aujourd'hui. Il réitère également ses critiques du rapport Théry-Leroyer.
A la place croissante attribuée à la biologie et aux origines dans les propositions du rapport Théry, Borrillo entend opposer une approche de la filiation fondée sur la "volonté". Celle-ci est-elle viable ?
Je répondrais non, et pour deux raisons au moins.
La première raison est que cette approche, loin de constituer un "progrès" serait en réalité une régression extraordinaire par rapport à la vision moderne des droits de l'enfant, dans laquelle l'enfant n'appartient pas à ses parents, mais est une personne à part entière. De fait, Borrillo soutient des dispositions contraires à la Convention des Droits de l'Enfant.*
La deuxième raison, qui est en partie la conséquence de la première, est qu'en pratique cette approche ne fonctionne pas, parce qu'elle bute toujours sur "quelque chose". Ce "quelque chose", c'est le langage, la culture, la médecine... Ce n'est pas un hasard (et certainement pas à cause de l'ascension du conservatisme, bien au contraire) si l'approche fondée sur la "vérité biologique" (pour reprendre les termes de Borrillo) a le vent en poupe à l'heure actuelle : c'est parce que les progrès de la génétique rendent l'approche "volontariste" de moins en moins viable.
Pour affronter le "quelque chose", le "volontarisme" ne peut compter que sur deux options cohérentes : le cynisme libertarien et le radicalisme utopique.
Le cynisme libertarien accepte le "quelque chose" mais ne veut pas en tenir compte. Il transpose dans la sphère sociétale le discours ultralibéral en économie. Pour lui, tout est question de droits de propriété à respecter. Ainsi, il n'y a pas de droits aux origines, de la même façon qu'il n'y a pas de droit à la santé, pas de droit à l'éducation, pas de droit au logement...
Le radicalisme utopique rejette le "quelque chose". Il pense qu'on peut faire disparaître tous les stigmates et mal-êtres éventuels qui pourraient jaillir du "volontarisme" si l'Etat y met suffisamment du sien. Il se veut égalitaire, mais confond égalité et permissivité. En disant aux uns qu'ils peuvent tout faire et que leurs actions n'auront pas de conséquences, il répond aux autres qu'il sait mieux qu'eux ce qui est bon pour eux. A l'extrême, il s'agit d'un projet totalitaire qui vise à refonder la nature humaine, pour créer un homme nouveau qui ne se préoccuperait pas de questions telles que les origines biologiques, ce qui va à l'encontre de son premier objectif qui était de défendre la liberté individuelle.
Pour le reste, je réitère les critiques que j'avais émises à l'époque :
"A l'origine de l'homoparentalité ne se trouve pas l'hétéroparentalité (sauf peut-être dans un sens strictement biologique ; autrement, personne ne peut le prétendre). Mais la complémentarité des sexes dans la procréation, si. Irène Théry avait donc raison lorsqu'elle écrivait que Borrillo confondait la différence des sexes et l'hétérosexualité. La première est une loi, sinon de notre espèce, du moins de notre société. La seconde est la forme majoritaire de la sexualité humaine, qui a historiquement facilité la perpétuation de l'espèce, sans y être nécessaire de nos jours, de par l'existence des nouvelles techniques de procréation."
Autrement, si c'est être conservateur que de croire que le "volontarisme" est voué à l'échec parce qu'il ne tient pas compte du réel**, alors oui, dans un sens, je suis conservateur (mais pas plus que libéral ou socialiste).
Un exemple à méditer : en Grande-Bretagne, le mariage pour tous est non seulement passé comme une lettre à la poste, mais sous l'impulsion d'un premier ministre conservateur, qui n'hésitait pas à déclarer :
"Je soutiens le mariage gay, mais pas malgré mon conservatisme. Je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur."
Quelle différence avec la France ? Il se trouve qu'au Royaume-Uni, l'anonymat des dons de gamètes est levé depuis 2005.
---
* Article 7, alinéa 1 : "L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux." D'après certaines interprétations, les "parents" auxquels il est fait référence doivent être entendus au sens de parents biologiques.
** Ce qui signifie, assez paradoxalement, que la droite américaine contemporaine n'est pas conservatrice puisqu'elle ne croit pas au réel, comme l'en atteste l'attitude "post-vérité" du parti républicain actuel. Elle est dogmatique, réactionnaire et anti-science.
Ce blog se chargera de discuter les notions d'inné, d'acquis, de normal, de pathologique, de corps, d'esprit, et les raisonnements logiques et éthiques les plus fréquents à leur sujet. On y critiquera la psychanalyse et on y traitera également de bioéthique le cas échéant.
19/12/2016
02/05/2016
Les idées étranges d'Yves Bonnardel : les droits des enfants
Après avoir lu un article d'Yves Bonnardel sur LMSI, j'ai essayé de me renseigner davantage sur cet
auteur, et sur sa position sur les droits des enfants. J'ai trouvé
cet article, chez Christine Delphy, celui-ci, sur Vendredis intellos, et celui-ci, sur Questions de classe. Sur son site, Yves Bonnardel développe des idées que je trouve aussi bien intéressantes que potentiellement problématiques. Pour cet article-ci, je vais me concentrer sur ses positions sur les droits des enfants.
En apparence, sa critique du statut de
"mineur" possède, il est vrai, des aspects très
pertinents, (quoique peut-être exagérés de mon point de vue) et
l'auteur suggère d'abolir ce statut.
Sauf que.
Si l'on suit cette idée jusqu'au bout,
cela aurait aussi pour conséquences la disparition de la majorité
sexuelle, de tout âge légal pour fumer ou boire de l'alcool et
surtout, et cela est explicitement indiqué (et
c'est pourquoi je suis particulièrement étonné, voire choqué, de voir des personnes a priori de gauche en faire quasiment l'apologie), la
légalisation du travail des enfants et la fin de l'éducation obligatoire. Pour le coup, c'est un discours
très libéral (dans le mauvais sens du terme), puisque Murray Rothbard disait ni plus ni moins la
même chose.
Bien sûr, je pense qu'Yves Bonnardel est lui-même conscient des
limites de cette idée, puisqu'il évoque l'idée de "ressources
qui permettraient aux enfants de vivre sans travailler" ; mais, même en admettant qu'on ait résolu les questions d'inégalités sociales et les biais qui vont avec, reste entre autres le fait que cette idée amène à prendre des positions peut-être un peu trop cavalières, par exemple sur la capacité moyenne des enfants à pouvoir fonctionner en individus autonomes, à agir de façon responsable et à ne pas encourir plus de risques, physiques et/ou moraux, que les adultes s'ils venaient à jouir des mêmes libertés.
Ce que je n'ai pas trouvé non plus
dans ses textes, c'est l'idée que les droits des adultes sur les
enfants ont pour corollaire des devoirs envers eux, tels que les
nourrir, les habiller, les éduquer, les maintenir en vie... Est-ce
que ces obligations disparaîtraient également ? Là aussi, je le
soupçonne de vouloir maintenir ces obligations et de les attribuer à la
"communauté", mais ce n'est pas très clair, quoi qu'il en
soit.
Yves Bonnardel a aussi abordé la question de la punition, de l'abolition des frontières nationales et, surtout, de l'antispécisme. J'aborderais peut-être ces sujets dans de prochains articles.
19/03/2016
Luce Irigaray et la vitesse de la lumière
A l'heure où un papier de glaciologie féministe et postmoderne se fait démonter en ligne, c'est à une vieille affaire que tout cela me fait penser.
En effet, d'après l'ouvrage de Sokal et Bricmont, Impostures intellectuelles, la philosophe et psychanalyste française Luce Irigaray aurait écrit la phrase suivante : « L’équation E=mc² est-elle une équation sexuée ? Peut-être que oui. Faisons l'hypothèse que oui, dans la mesure où elle privilégie la vitesse de la lumière par rapport à d’autres vitesses dont nous avons vitalement besoin… »
Je ne pense pas être le seul à ne pas comprendre en quoi cela en ferait une équation "sexuée", mais passons. Le problème est que je n'arrive pas à retrouver le contexte de la citation d'origine, car on peut lui donner au moins deux interprétations. La première, la plus délirante, remet en cause la validité-même de l'équation parce que celle-ci serait "sexuée". Mais il est également possible de lui donner une interprétation plus charitable, à savoir que définir c comme la vitesse de la lumière serait "sexué".
Soyons clair d'emblée, ce n'est pas ce que je ferai ici. L'ironie de la théorie d'Irigaray est de postuler, de façon tout à fait gratuite par ailleurs, une différence fondamentale entre les hommes et les femmes en matière de perception de réalité, différence qui n'a jamais été attestée par aucune étude pour le moment.
Mais il n'empêche que le problème de la construction du savoir en sciences soit un problème réel, et même une science aussi "dure" que la physique n'y échappe pas. Pensons à l'apparente impossibilité de vulgariser la mécanique quantique de façon compréhensible. Mais cette critique doit être faite de façon informée, et pas de manière extérieure.
Ici, il y a un point qu'il s'agit de clarifier absolument : la constante c n'est pas la vitesse de la lumière. D'une part, parce que sur Terre, la lumière se déplace à des vitesses légèrement inférieures à c, pour tout un tas de raisons physiques que je ne détaillerai pas ici. D'autre part, parce qu'il y a d'autres objets physiques qui se déplacent à la vitesse c, comme les ondes gravitationnelles par exemple. Enfin, le concept-même de lumière est une construction objective.
On pourrait penser - de façon tout à fait légitime par ailleurs - que parler de vitesse de la lumière est discriminatoire envers les personnes malvoyantes. Quelque peu agacé par les Social Justice Warriors, et n'étant pas particulièrement fan du politiquement correct à outrance, ce n'est pas cet argument-là que je retiendrai. Reste que le concept de lumière est à la fois flou et anthropocentrique. Le terme de "lumière" désigne habituellement la lumière dite "visible", située entre 400 et 700 nanomètres de longueur d'onde, soit une toute petite portion du spectre électromagnétique, c'est-à-dire l'ensemble des fréquences du rayonnement électromagnétique. Ce dernier est un phénomène physique fondamental, dont l'expression est loin de se réduire à la seule lumière visible ; et ce, bien que dans le langage courant, les ondes radio, les rayons X ou gamma ne soient pas considérés comme de la lumière à proprement parler, alors qu'il s'agit pourtant d'une facette différente du même phénomène physique. De fait, la vitesse c régit nombre de phénomènes qui, dans notre perception commune, n'ont rien (ou peu) à voir avec la lumière, tels que la taille des atomes, la vitesse des neurotransmissions ou l'émission de chaleur, par exemple.
Pour finir, la lumière se déplace différemment selon les indices de réfraction. Pour faire simple, on peut donc dire que c est la vitesse (ou célérité) de propagation des ondes électromagnétiques dans le vide (ce dernier point est très important).
Tout ça pour dire que sur le fond, tout ce questionnement n'est pas idiot, mais qu'il convient de se pencher sur les catégories vraiment pertinentes pour notre compréhension d'un phénomène donné, et ne pas partir sur des spéculations post-modernes mal étayées et à n'en plus finir.
En effet, d'après l'ouvrage de Sokal et Bricmont, Impostures intellectuelles, la philosophe et psychanalyste française Luce Irigaray aurait écrit la phrase suivante : « L’équation E=mc² est-elle une équation sexuée ? Peut-être que oui. Faisons l'hypothèse que oui, dans la mesure où elle privilégie la vitesse de la lumière par rapport à d’autres vitesses dont nous avons vitalement besoin… »
Je ne pense pas être le seul à ne pas comprendre en quoi cela en ferait une équation "sexuée", mais passons. Le problème est que je n'arrive pas à retrouver le contexte de la citation d'origine, car on peut lui donner au moins deux interprétations. La première, la plus délirante, remet en cause la validité-même de l'équation parce que celle-ci serait "sexuée". Mais il est également possible de lui donner une interprétation plus charitable, à savoir que définir c comme la vitesse de la lumière serait "sexué".
Soyons clair d'emblée, ce n'est pas ce que je ferai ici. L'ironie de la théorie d'Irigaray est de postuler, de façon tout à fait gratuite par ailleurs, une différence fondamentale entre les hommes et les femmes en matière de perception de réalité, différence qui n'a jamais été attestée par aucune étude pour le moment.
Mais il n'empêche que le problème de la construction du savoir en sciences soit un problème réel, et même une science aussi "dure" que la physique n'y échappe pas. Pensons à l'apparente impossibilité de vulgariser la mécanique quantique de façon compréhensible. Mais cette critique doit être faite de façon informée, et pas de manière extérieure.
Ici, il y a un point qu'il s'agit de clarifier absolument : la constante c n'est pas la vitesse de la lumière. D'une part, parce que sur Terre, la lumière se déplace à des vitesses légèrement inférieures à c, pour tout un tas de raisons physiques que je ne détaillerai pas ici. D'autre part, parce qu'il y a d'autres objets physiques qui se déplacent à la vitesse c, comme les ondes gravitationnelles par exemple. Enfin, le concept-même de lumière est une construction objective.
On pourrait penser - de façon tout à fait légitime par ailleurs - que parler de vitesse de la lumière est discriminatoire envers les personnes malvoyantes. Quelque peu agacé par les Social Justice Warriors, et n'étant pas particulièrement fan du politiquement correct à outrance, ce n'est pas cet argument-là que je retiendrai. Reste que le concept de lumière est à la fois flou et anthropocentrique. Le terme de "lumière" désigne habituellement la lumière dite "visible", située entre 400 et 700 nanomètres de longueur d'onde, soit une toute petite portion du spectre électromagnétique, c'est-à-dire l'ensemble des fréquences du rayonnement électromagnétique. Ce dernier est un phénomène physique fondamental, dont l'expression est loin de se réduire à la seule lumière visible ; et ce, bien que dans le langage courant, les ondes radio, les rayons X ou gamma ne soient pas considérés comme de la lumière à proprement parler, alors qu'il s'agit pourtant d'une facette différente du même phénomène physique. De fait, la vitesse c régit nombre de phénomènes qui, dans notre perception commune, n'ont rien (ou peu) à voir avec la lumière, tels que la taille des atomes, la vitesse des neurotransmissions ou l'émission de chaleur, par exemple.
Pour finir, la lumière se déplace différemment selon les indices de réfraction. Pour faire simple, on peut donc dire que c est la vitesse (ou célérité) de propagation des ondes électromagnétiques dans le vide (ce dernier point est très important).
Tout ça pour dire que sur le fond, tout ce questionnement n'est pas idiot, mais qu'il convient de se pencher sur les catégories vraiment pertinentes pour notre compréhension d'un phénomène donné, et ne pas partir sur des spéculations post-modernes mal étayées et à n'en plus finir.
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